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  • Le cornet acoustique – Leonora Carrington

    Marion Leatherby a 99 ans, a priori toutes ses dents et sa tête aussi. Elle vit au Mexique chez son arrière-petit-fils et sa famille, dans une petite chambre au rez-de-chaussée, près des poules et des chats. Une vie ma foi tranquille, ponctuée de petits rituels, comme les visites à sa chère amie Carmella. Un beau jour, Carmella lui offre un cornet acoustique (parce que si le reste va bien, l’ouïe, un peu moins). Armée de ce magnifique engin, Marion va vite découvrir que sa famille en a un peu ras-le-bol de se coltiner la vieille, et a décidé de la placer dans un hospice…

    Le jour où Carmella me fit cadeau d’un cornet acoustique, elle aurait pu prévoir les conséquences de sa générosité. Carmella n’est pas ce que j’appellerais une fille malicieuse ; il se trouve seulement qu’elle possède un curieux sens de l’humour.
    Le cornet, dans son genre, était un bel appareil. Sans être vraiment moderne, il était très joli avec ses incrustations de motifs floraux d’argent et de nacre, et il se recourbait splendidement comme la corne d’un bison. La beauté n’était pas la seule qualité de ce cornet ; il amplifiait le son à un point tel que, même pour moi, la conversation courante en devenait parfaitement audible.

    Adieu les rêves de voyage en Laponie, les poules et les chats, Marion déménage donc à Santa Brigida, dans l’étrange hospice du Dr Gambit et sa femme, appelé Le puits de la lumière fraternelle. Occupé par une dizaine de vieilles dames qui vivent dans des maisonnettes en forme de gâteau d’anniversaire, de tour, ou d’igloo… le lieu tient tout autant de la maison de retraite que de la secte, le bon docteur et sa femme cherchant à hisser leurs pensionnaires vers un idéal de pureté à travers une ascèse imposée qui ne réjouit que peu Marion. Mais l’endroit est également dominé par le regard peint d’une nonne étrange, un peu lubrique et peu catholique à première vue, Doña Rosalinda Alvarez Cruz de la Cueva, d’El convento de Santa Barbara de Tartarus. Au fil des jours, Marion commence à comprendre les tensions, les jeux de pouvoirs et les mesquineries qui régissent les rapports dans cette étrange maison, et ne tarde pas à comprendre que de mystérieuses aventures lui tendent les bras.

    Leonora Carrington, je t’en avais parlé, pour ses contes (tu peux lire ça ici, si tu veux) , qui étaient déjà une petite merveille de surréalisme, perturbant, vert mousse et parfois envahissant, laissant sur la peau la sensation d’un voile de moisissure qui se rappelle à soi, dans toute son aberration et sa fascination.
    Avec Le cornet acoustique, Leonora Carrington fait des aventures d’une vieille dame et de ses compagnes d’hospice une lutte pour les libertés : celle qui est au-delà des murs de l’hospice, celle qui extirpe du dogme abrutissant de la pseudo-religiosité du Dr Gambit et ses affidées, celle qui met à bas le pouvoir, celle qui fait sortir de soi pour enfin se rencontrer. Avec beaucoup d’humour et de dérision, elle embringue ses héroïnes du quatrième âge vers une transformation totale, une révolution cosmique qui réunira de vieux et vieilles ami-es, des entités ancestrales et des produits de luxe sous l’œillade complice d’une nonne honnis. Et qui sait, peut-être qui si Marion ne peut pas aller en Laponie, c’est la Laponie qui pourrait venir à elle ^^

    Traduit de l’anglais par Henri Parisot
    Préfacé par Annie Le Brun et Daria Schmitt
    Gallimard – L’imaginaire