Étiquette : Aux forges de Vulcain

  • Zona cero – Gilberto Villarroel

    Gabriel est un journaliste habitué aux zones de guerre. Mais alors qu’il est sur la plage de Pichilemu, face au Pacifique et dos à Santiago, à observer des surfeurs courir sur la page et plonger dans les vagues, tandis que sa compagne, Sabine, il apprend au téléphone qu’elle est enceinte, il n’imagine pas que tout son univers s’apprête à devenir l’une de ces zones de guerre. Car soudain, la terre se met à trembler, la mer se retire, et l’enfer surgit.

    C’était une chaude nuit d’été à Pichilemu. Précédée par son ronronnement asthmatique, la Volkswagen de Gabriel Martinez se traînait sur le pavé brûlant de la rue principale de la ville en direction du bord de mer. Elle s’arrêta près du centre culturel Agustin Ross, un bâtiment qui abritait précédemment un casino du début du XXème siècle.
    Gabriel descendit de voiture et marcha le long du parc situé au pied du vieil édifice. De nuit, ses volumes en piteux état – alors que du temps de sa splendeur, le bâtiment se démarquait par son élégance- donnaient l’illusion d’un manoir gothique comme ceux que l’on trouvait sur les photogrammes des films d’horreur à petit budget.
    Il prit un chemin en pente qui conduisait directement à la plage. Il avait envie de se dégourdir les jambes et de fumer une cigarette au bord de l’eau avant de reprendre la route direction Punta de Lobos. Il y avait loué une cabane, son futur centre d’opérations pour couvrir un championnat international de surf.
    C’était un vendredi de pleine lune. Une étrange lune d’été, d’une couleur rouge sang, veinée de jaune, ce qui lui donnait un aspect inquiétant. Au moins, se consola Gabriel, la nuit était-elle déjà tombée.

    La suite sur le site des Nouveaux Espaces Latinos !

  • Trois lucioles – Guillaume Chamanadjian

    Après les événements tragiques qui ont clos le 1er tome, nous retrouvons Nox, le jeune commis d’épicerie et protégé du Duc de la Caouane. Après avoir rompu tout lien avec son protecteur, il gère désormais l’une des échoppes de Saint-Vivant, dans le quartier du Port. Gemina, la grande Cité, s’échauffe de jour en jour et le soulèvement, voire la guerre civile, couve. Les manigances et jeux de pouvoir vont de plus belle, et Nox reste une pièce maîtresse dans les plans de nombres d’entre eux. Son ressentiment envers Servaint de la Caouane pousse plusieurs comploteurs et autres éminences grises à l’approcher pour le convaincre du pire : assassiner le duc !
    Un beau jour, un navire étranger arrive au port avec à son bord des rescapés d’une guerre lointaine. Est-ce le premier d’une longue série ?
    Quelle est cette guerre qui tonne au loin ? Les rumeurs disent que Dehaven, la lointaine voisine du Nord, est également touchée par de dramatiques événements. Gemina parviendra-t-elle à tenir sur tant de fronts ? Car en son sein, ce sont non seulement les maisons ducales qui s’allient, s’invectivent et se trahissent, mais également d’antiques menaces qui remontent. Nox n’est peut-être pas le seul à connaître l’existence du Nihilo et à pouvoir s’y mouvoir…

    C’est par une froide matinée du début de l’hiver que les voiles du Sadalsuud pointèrent par-delà l’horizon. Elles étaient rouges et blanches, frappées de croissant étoilé, le vent de sud-est les poussait droit vers la Cité.
    Sur le port, les hommes et femmes levèrent le nez de leur ouvrage l’espace d’un instant, puis s’y replongèrent dans une indifférence polie. Des collines du Massif descendirent des ordres enroulés dans deux tubes de fer scellés. Ils passèrent d’un messager à l’autre, dévalèrent l’escalier des Gigues. Un jeune Cerf les fit tomber sur la place des Charrières, ils roulèrent un temps entre les pieds des bonimenteurs, au milieu des feuilles de chou et des navets. Un gamin les ramassa, réclama deux pièces, mais ne reçut qu’une taloche pour sa peine. Puis, arrivées sur les quais, les missives se séparèrent. Un Cerf partit vers l’est, l’autre vers l’ouest. Et, toujours, la caraque s’approchait du port.

    Le tome 2 de Capitale du Sud nous amène au milieu de ce projet littéraire passionnant, et après avoir fait connaissance avec les deux villes, nos cher-es protagonistes, et poser les bases d’une intrigue intriquée, les choses commencent à s’accélérer !
    Les troubles évoqués à Dehaven ont des répercussions immédiates sur Gemina, qui voit donc arriver à proximité de ses côtes des navires de réfugiés. Que fuient-ils ? Mystère. Une guerre, sans doute, mais personne n’en sait bien plus, et ne s’y intéresse tant, car la situation en ville est de plus en plus explosive. Servaint a réussi à énerver à peu prêt toutes les maisons, voire plus. De son côté, Nox va découvrir de nouvelles choses sur la mythologie de la cité et des deux sœurs, qui ne sont peut-être pas si mythologiques que ça. Et puis il y a Adelis, la jeune ingénieure apprentie à la Caouanne arrivée sur le Sadalsuud, qui tente de faire comprendre à ses nouveaux amis et protecteurs le danger qui les menace.

    Que de foisonnement dans ce tome ! Pour notre plus grand plaisir (moins celui de Nox), notre héros va plonger plus profondément dans l’histoire fondatrice de Gemina, son histoire personnelle également, et commencer à distinguer les liens entre tous ces éléments. Et c’est un vrai régal que de découvrir tous ces mystères avec lui. Le projet dans son ensemble prend de plus en plus corps au fil des tomes. La découverte de Dehaven avait déjà amené un peu plus de sel, et ce nouvel opus trace une nouvelle voie dans cette carte étrange et déroutante entre les deux villes (réelles) et entre leurs doubles. D’où vient ce Nihilo ? Qui peut le maitriser ou non ? Quelle est la véritable histoire et rôle des deux sœurs dans ce qui ressemble à un combat bien ancien sur la ville ?

    On quitte Gemina avec encore plus de questions sur son passé et son avenir, et avec une envie toujours plus grande d’y retourner. L’attente va être longue, mais heureusement, la capitale du Nord nous revient à l’automne. Et ça, c’est une excellente nouvelle !

    Aux forges de Vulcain
    406 pages

  • Citadins de demain – Claire Duvivier

    Te souviens-tu, très chèr·e lecteurice, de ce merveilleux projet entamé l’année dernière aux Forges de Vulcain ? Une double trilogie, à quatre mains, développant en parallèle une histoire dans deux lieux différents d’un même univers ? Je t’avais parlé ici du premier tome de la première trilogie, Le sang de la cité. Et bien voici venu le moment de te parler du second tome de La Tour de garde, le premier tome de la seconde trilogie. Tu suis ?
    Autant te dire que je frétillais d’une grande impatience, car l’autrice de cette seconde trilogie n’est autre que Claire Duvivier, dont j’avais adoré le premier roman, Un long voyage (si tu ne l’as pas lu encore, rue-toi dessus, c’est une véritable merveille ! La chronique est disponible ici !).

    Après avoir découvert la cité de Gemina, capitale du Sud, ses murailles, sa bonne chère, ses clans et ses mystères, bien entendu, direction cette fois Dehaven, capitale du Nord.
    Amalia Van Esqwill est une jeune aristocrate, fille de grande famille. Elle, son camarade Hirion de Wautier, autre héritier, et leur fratrie, reçoivent une éducation très progressiste et rationnelle, afin d’en faire des citoyen·nes éclairé·es qui sauront guider la cité vers de meilleurs horizons. Des tensions politiques vont les mettre sur le devant de la scène plus tôt que prévu, et bien évidemment, une découverte mystérieuse va bouleverser leur manière de concevoir le monde.
    Amalia et Hirion, nos deux héros et héritiers de familles puissantes, ont été élevé·es dans la dignité qui sied à leur rang et ne connaissent du monde que sa face logique, concrète et scientifique. C’est aux côtés de leur ami Yonas, autre héros, fils d’éclusier, qu’ils découvriront avec étonnement et parfois un brin d’incompréhension les traditions folkloriques, les contes et les merveilles de l’imagination. Au détour d’une escapade, le jeune Hirion découvrira d’anciens objets, aux propriétés étonnantes, qui leur montreront une autre Dehaven. Tandis qu’ils exploreront cette ville-miroir, des tensions parcourent la ville et ses colonies, précipitant leur quotidien dans un lent et long cauchemar.

    « Je suis le produit d’une expérience éducative.
    Une expérience telle qu’il n’aurait pu en exister que dans ma ville et pour ma génération. Car c’est à peu près à l’époque de ma naissance que les choses se mirent à changer pour Dehaven. A force de s’étendre, chassant la population dans les Faubourgs, elle finit par déborder de ses propres fortifications. Les Conseils décidèrent alors d’ériger une seconde rangée de murailles, qui serait, comme la première, longée de canaux tenant lieu de voies de communication ainsi que de douves. A côté des Faubourgs proprement dits, au sud-ouest, un nouveau quartier sortit du sol au sud de la vieille ville, en l’espace de quelques années : la Grille, nommée ainsi en raison du plan d’aménagement rigoureux mis au point par les délégués du Haut Conseil. Au nombre desquels on comptait ma grand-mère, Quilliota Van Esqwill, toujours en première ligne pour tout ce qui concernait la modernisation de la cité. »

    On retrouve ici ce qui faisait déjà le sel du Sang de la cité, et mon grand plaisir : une ville-personnage originale et centrale. Dehaven semble aussi froide et rationnelle que Gemina était vivante et chaleureuse. À l’instar de leur ville, les dirigeants de Dehaven brillent par leur pragmatisme et leur intelligence tranchée. Mais nous sommes ici dans une histoire qui m’a semblé d’emblée beaucoup plus sombre. Ce pragmatisme peut-être, tellement ancré chez Amalia, que l’on sent très vite qu’il n’y aura pas la moindre place pour un espoir vain. Cette apparente froideur est d’une efficacité redoutable, qui nous embarque immédiatement dans les péripéties folles et de plus en plus tragiques d’Amalia. Pas de faux semblants, pas de fioritures, la personnalité de notre héroïne et de sa ville nous fait vite comprendre l’importance et la violence des événements, facilitant notre immersion dans ce monde si carré et si clair qui s’abîme brusquement dans le chaos.

    Et que dire de cette Dehaven-miroir ? Sans trop t’en révéler, lecteur·ice de mon cœur, car tu dois la découvrir par toi-même, sache qu’elle est d’une beauté et d’une fascination qui m’a rappelé Le désert des tartares, dans ce qu’elle a d’insaisissable, de glissant, d’insensé. Lorsque l’on comprend que nos sens et notre raison jamais ne parviendront à comprendre, il ne reste que l’imagination. Et c’est là l’autre idée merveilleuse de ce roman, cette ignorance volontaire, ce mépris dans l’éducation donnée à Amalia et Hirion de tout ce qui touche au merveilleux, au folklore, aux croyances. Seule la raison prime, mais dans certains moments, il faut connaître les racines des histoires, l’origine des peurs et accepter que parfois certaines choses n’aient pas de sens, avant de réussi à les comprendre. Changer de paradigme. C’est en se détachant du réel, que l’on peut comprendre, ou tout perdre…

    Dehaven se présente comme le négatif de Gemina, tant dans son urbanisme et ses habitudes que dans les mentalités et traditions de nos protagonistes. Les parties de Tour de garde leur donne une habitude commune, ainsi que l’existence de leur double, leur ombre, dangereuse et incompréhensible. On voit les liens se tisser de loin en loin, avec autant d’impatience que d’appréhension pour nos jeunes héro·ïnes !

    Un premier/second tome absolument passionnant, dans lequel le projet initial dévoile toute son ampleur et Claire Duvivier tout son talent. Vivement la suite !

    Aux forges de Vulcain
    365 pages

  • Le sang de la cité – Guillaume Chamanadjian

    La cité de Gemina, sise au Sud d’une plus vaste région, est divisée en plusieurs quartiers, chacun régi par plusieurs ducs, au blason à la tendance animalière et aux alliances bien évidemment politiques et économiques. Cité maritime, ou tout au moins portuaire, Gemina s’entoure d’une double muraille et ses habitants semblent n’avoir que peu de contact avec l’au-delà, si ce n’est quelques marchands, notamment venus de Dehaven, la grande cité du Nord.

    Nohamux, plus couramment appelé Nox, est un jeune commis d’épicerie qui vit sous la protection du duc de la Caouane, la tortue de mer. Passionné de poésie, par l’histoire de la cité et joueur de Tour de garde, variation ouverte et à tendance collectionneuse des échecs, il est connu comme le loup blanc de par son passé et son métier, ce dernier lui donnant l’avantage de connaître et d’arpenter la ville qu’il aime tant.

    Mais qui dit sous la protection d’un duc dit, forcément, problèmes à venir. Et Nox n’y échappera pas, malgré son envie d’une vie simple, il se retrouvera au cœur des intrigues politiques de la ville. Il va aussi découvrir une partie de la cité qu’il ignorait et qui dissimule de sombres choses dans la brume…

    Une pièce d’argent pour un conte en or.
    C’est de cette manière que les histrions et les poètes apostrophent les passants. Il est rare qu’ils obtiennent ainsi plus d’une pièce de cuivre, mais la formulette est pour ainsi dire traditionnelle. Elle existait avant que leur congrégation déambule dans les rues avec un bandeau sur les yeux, avant les maisons. Certains disent avant même la création de la Cité.
    Une pièce d’argent pour un conte en or.
    Des dizaines de milliers de poèmes et chansons commencent ainsi. Des dizaines d’entre eux parlent de la ville, quelques dizaines du duc Servaint. Et une petite poignée parmi ceux-là a cru bon de me mentionner.

    Garçon très attachant et assez omnipotent, Nox fréquente donc toutes les sphères de la ville, aime la poésie, est attaché aux valeurs de l’amitié, de la franchise, de l’honnêteté et de la fidélité. C’est donc un garçon (un peu trop ?) bien. Il développe un lien particulier avec sa ville, dont il sent le rythme, les battements, les vibrations. Les mystères urbains, qu’ils soient issus de la stratégie humaine ou bien de la mythologie millénaire, vont bien vite mettre à bas ses idéaux et lui mettre le nez dans la violence du monde qui l’entoure.

    Le sang de la cité est le premier tome d’une saga ambitieuse et qui était attendue avec impatience par les fans du genre ! Le cycle va se répartir entre Gemina et Dehaven, chaque ville ayant droit à trois tomes, leur histoire étant sous la responsabilité de deux auteurs différents. Guillaume Chamanadjian a donc sous sa plume la vie de Nox, de sa bande, et surtout l’histoire de Gemina.
    Un premier tome très prometteur, qui met sur le devant de la scène un héros certes un peu lisse, mais dans un univers assez intrigant et très bien posé, dont les ramifications lancées mettent en bouche un goût de sel et d’épices, dont on reprendrait bien une cuillère.

    S’il faudra attendre un an pour retrouver la capitale du Sud, le prochain tome est prévu, lui, pour cet automne, et nous emmènera à Dehaven, la ville du Nord, sous la plume de Claire Duvivier (oui oui, le merveilleux Long voyage), et là, j’ai vraiment, mais vraiment hâte !

    405 pages
    Aux forges de Vulcain

  • Cochrane vs Cthulhu – Gilberto Villarroel

    Napoléon vient de revenir de son exil sur l’île d’Elbe et tient à prendre sa revanche et à montrer au reste de l’Europe (et surtout aux Anglais), de quel bois il se chauffe. Dans sa stratégie de défense du littoral, le fort Boyard, destiné à protéger l’arsenal de Rochefort, semble tenir une place importante. Mais lorsque des artefacts mystérieux sont retrouvés pendant les travaux, c’est un danger bien plus grand que les Anglais qui émerge de la brume…

    Le capitaine Eonet, en charge de la garnison du fort, attend de pied ferme les experts envoyés par l’Empereur pour étudier ces étranges découvertes. Cependant, ces fameux experts sont précédés par une prise de choix : Lord Thomas Cochrane, de la Royal Navy. Ennemi farouche de l’empire français et marin aussi efficace que brutal, il s’est fait un nom au charbon dans le cœur des soldats français après avoir été l’instigateur du tragique épisode des brûlots, dans cette même rade, qui a vu partir en flammes une partie de la marine française. Cette prise surprise est pour Eonet une bénédiction. Seulement, d’autres dieux vont venir se mêler à la rencontre, et les deux ennemis vont devoir dépasser le mépris et la rage qui les tenaillent pour survivre aux prochains jours.

    Tu aimes l’aventure ? Les héros, les vrais, en bottes de cuir, chemise déchirée, cheveux hirsutes et courage démesuré ? Parfait.
    Tu aimes les grosses bêbêtes, surtout à tentacules ? Encore mieux !
    Tu n’as jamais entendu parler de Cthluhu ? C’est pas grave, eux non plus.

    Personnage peu connu, me semble-t-il, dans nos contrées, Thomas Cochrane est pourtant célèbre non seulement sur sa terre britannique natale, mais également en Amérique latine, pour sa participation et son soutien lors des guerres d’indépendances péruvienne et chilienne. Il est l’incarnation parfaite, avec son camarade d’infortune le breton Eonet, de l’aventurier dumasien. Honnête, courageux, dur et brave. Villaroel renoue avec beaucoup de talent avec cette tradition du roman héroïque et nous livre une aventure aux petits oignons, passionnante et cinématographique en diable. Sens de l’honneur, sacrifice, méchants très détestables, amitié improbable mais indéfectible, tout est là !

    Les aficionados des créatures lovecraftiennes se feront plaisir avec cette réécriture de l’Appel de Cthulhu et la mise en scène de ce mythe dans les eaux de l’Atlantique. Les non-connaisseurs ne seront pas pour autant perdus et chacun y trouvera son content, entre les fans de reconstitution historique ou les accros au fantastique.

    Loïc Eonet, capitaine des Dragons de la Garde Impériale de Napoléon 1er, terminait sa collation, composée de deux tranches de pain de campagne dur, de soupe de légumes, de reste de saucisson, d’un morceau de fromage et d’un pichet de vin rouge de Bordeaux, quand un soldat appela à la porte de la cellule de pierre où il avait installé son quartier général et l’informa que les sentinelles annonçaient l’arrivée d’un bateau. Eonet prit aussitôt son sabre réglementaire, mit sa capote, se couvrit la tête de son bicorne et sortit dans la cour, en faisant résonner sur les pavés les talons de ses bottes de cavalerie. 

    Un bon page-turner qui nous propose des héros comme on n’en fait plus beaucoup, avec talent et panache ! Une deuxième aventure du Lord est d’ores et déjà disponible, et, paraît-il, encore meilleure !

    Traduit par Jacques Fuentealba
    Aux Forges de Vulcain / Pocket
    480 pages

  • Un long voyage – Claire Duvivier

    Alors qu’il n’est qu’un enfant, Liesse est donné, sous un archaïque contrat d’esclavage, à des fonctionnaires impériaux de Tanitamo. Il apprendra à lire et écrire en armique et découvrira les rouages de l’administration impériale. Lorsque Malvine Zélina de Félarasie, jeune et fougueuse haute fonctionnaire envoyée sur l’île pour faire ses preuves, lui propose de la suivre vers son nouveau poste à l’autre bout de l’empire, Liesse n’hésitera pas. Il part pour un long voyage qui dessinera sa vie et celle de l’empire.

    Un long voyage commence comme une chronique de la vie d’un homme humble qui s’est retrouvé presque par hasard aux côtés de la femme qui a marqué son temps, continue comme la biographie de cette incroyable femme qu’est Malvine, et de l’empire pour lequel elle œuvre, se poursuit par une invasion inimaginable et de funestes moments et se termine en nous interrogeant sur ce qui fait peuple, sur l’histoire d’un pays, la construction de son identité propre et de l’identité collective dans un éclat d’humanité, d’émotion et de beauté. Les aventures de Malvine et les bouleversements que vit l’empire sont d’une inventivité brillante et terrifiante. La langue de Claire Duvivier, poétique et drôle tout en restant simple, à l’image de Liesse, nous mène par le bout du nez d’une histoire tranquille aux côtés de personnages vibrants et vivants à un chamboulement historique complètement fou. Ses personnages sont d’une beauté incroyable, Malvine une figure fascinante et Liesse un narrateur qui retranscrit merveilleusement bien les ambiances, tensions langagières et culturelles de cet étrange monde archipélagique.
    Ce long voyage, est-il celui de Liesse, narrateur omniprésent et témoin malgré lui d’un changement de paradigme dans un empire dont les rouages étaient gravés dans le marbre ? Est-ce celui de Malvine, au destin brillant tout tracé et pierre angulaire de ces bouleversements ? Est-ce enfin, peut-être, celui d’un pays, d’un empire confronté à son histoire, ses traditions, qui doit s’examiner à l’aune du chemin parcouru avant de continuer ?

    Gémétous, ma hiératique, c’est pour toi que j’allume cette lanterne, que je sors ces feuilles, que je trempe cette plume dan l’encre. À vrai dire, je me lance dans cette entreprise sans savoir si je pourrai la mener à bien : il y a fort longtemps que je n’ai pas couché des mots sur le papier et, même à l’époque où cette tâche m’était quotidienne, mes œuvres se limitaient à des rapports et des procès-verbaux. Mais après tout, ce n’est pas une épopée que tu m’as demandé ; toi, tu veux la vérité sur Malvine Zélina de Félarasie, et je suis l’un des derniers en vie à l’avoir connue.

    C’est à coup sûr l’un des plus beaux voyages littéraires que tu peux faire, lectrice, lecteur, un roman sublime et indispensable !

    Aux Forges de Vulcain
    240 pages

  • Souviens-toi des monstres – Jean-Luc André d’Asciano

    Raphaël et Gabriel sont les derniers-nés d’une famille uni-maternelle mais multi-paternelle et complètement matriarcale. Ils ont le talent miraculeux de chanter aux anges et aux ténèbres, et sont, accessoirement, frères siamois.
    Habitants de la petite île de Sainte-Marie des deux-mers, île de pirates, d’apostats et autres renégats, ils grandissent sous la protection de Sofia, grande sœur aussi silencieuse que forte, et de leurs frères, du 1er au 4ème. Chef de famille, religieux fou, protecteur de constellations ou fine lame, les frères rythment la vie de la petite île et de ses habitants, Agrigente, faux prêtre (ou vrai repenti) et son fils Giovannito, Begher le marionnettiste-anarchiste, les filles du bordel, Raspoutine… Toute cette clique haute en couleur va vivre des événements fantasmagoriques et révolutionnaires, des batailles, des passions et des spectacles.

    Dans une Italie plus proche de Pinocchio et Calvino que de Berlusconi, les frangins magiques et leur tribu vont aller de révélations inouïes en rencontres folles, et nous suivons leurs aventures, emportés par l’esbrouffe la plus totale. Tout est grand, majestueux, presque caricaturalement italien, et nous n’en avons jamais assez ! La langue est mirifique, alliant poésie, argot et insulte avec une aisance naturelle, et les péripéties, les révélations de la troupe de personnages incongrus, entre destinée picaresque et représentation biblique, ne sont jamais assez énormes pour nous lasser. On pleure beaucoup, on rit tout autant et on tremble à chaque page pour ces personnages beaux, brillants, humains ou non mais qui tous débordent d’émotions.

    Mon frère vient de sombrer dans le coma, à moins qu’il ne me faille le considérer comme mort. Si cela est vrai, nous accomplissons alors un miracle de plus, une obscénité nouvelle, celle d’être à la fois mort et vivant.

    Ça vit, ça aime, ça saigne, ça tue, ça ne s’arrête jamais, c’est une déferlante de vie et c’est merveilleux !

    Aux Forges de Vulcain
    520 pages

  • Les abysses – Rivers Solomon

    Yetu est une Wajinru, un peuple de sirènes vivant dans les confins des océans. Et parmi son peuple, Yetu est l’historienne, elle est la gardienne de la mémoire de son peuple, toute sa mémoire. Au sens littéral. Elle est la seule, comme l’historien qui l’a précédé, à se rappeler pour tous l’origine de son peuple, ses souffrances, ses épreuves et son parcours. Tous les ans, lors de la cérémonie du Don de Mémoire, l’historien partage ses souvenances avec le reste des Wajinrus, pour que chacun se souvienne pendant un instant d’où il vient, puis il récupère les souvenances afin que le reste de son peuple puisse vivre l’esprit léger et vide toute la souffrance endurée par le passé.
    Mais Yetu, accablée par le poids de cette mémoire, va en décider autrement.

    Dans ce roman court et efficace, Rivers Solomon aborde de nombreux thèmes complexes de manière simple sans être simpliste et nous guide dans un cheminement à travers l’histoire de l’esclavage, dont sont issus les Wajinrus, la place de la mémoire collective et du devoir de mémoire dans une société qui pense avancer et se verrait comme résiliente alors qu’elle est aveugle à son passé. Comment se construire comme individu et en tant que peuple quand on ne sait pas d’où l’on vient ? Est-il préférable d’ignorer les sévices et les blessures, les guerres et les tortures subies par ses ancêtres pour conserver l’espoir et la joie d’un futur qui ne peut être inquiétant si le passé n’y jette pas son ombre ? Ce sont toutes ces questions que Rivers Solomon nous pose et iel apporte ses réponses à travers l’histoire de Yetu, ses peurs et ses rencontres. Car si les Wajinrus sont ignorants volontaires de leur passé, Yetu ne le connaît que trop bien et le vit chaque jour par chaque pore de sa peau, chaque nerf de son corps à vif, et cela devient insupportable. À travers un acte de rébellion et plusieurs rencontres, elle sera amenée à réfléchir à la meilleure façon de porter ce lourd fardeau, à équilibrer cette balance entre ignorance et rage, douleur et acceptation, pardon et vengeance.

    -C’était comme un rêve, dit Yetu.
    Elle avait mal à la gorge, elle pleurait sans arrêt depuis plusieurs jours, s’étant égarée dans la souvenance d’un des premiers Wajinrus.

    Ne te fie donc pas à la finesse de l’ouvrage, les 200 pages des Abysses sont un condensé très intelligent sur des sujets sensibles et pourtant primordiaux, et la vision que nous propose Rivers Solomon est indispensable !

    À noter : Les Abysses vient apporter sa pierre à un projet transmédia puisque à l’origine la mythologie selon laquelle les enfants nés des femmes esclaves jetées des bateaux négriers vient du groupe electro Drexciya, prolongé par le groupe de hip-hop clipping. et son album-concept The deep, qui aura inspiré Rivers Solomon pour son roman. C’est donc un univers en évolution permanente auquel se rattache Rivers Solomon, et je ne peux que vous inciter à aller écouter clipping. pour prolonger l’expérience.

    Traduit par Francis Guévremont
    Aux forges de Vulcain