Étiquette : Claire Duvivier

  • Citadins de demain – Claire Duvivier

    Te souviens-tu, très chèr·e lecteurice, de ce merveilleux projet entamé l’année dernière aux Forges de Vulcain ? Une double trilogie, à quatre mains, développant en parallèle une histoire dans deux lieux différents d’un même univers ? Je t’avais parlé ici du premier tome de la première trilogie, Le sang de la cité. Et bien voici venu le moment de te parler du second tome de La Tour de garde, le premier tome de la seconde trilogie. Tu suis ?
    Autant te dire que je frétillais d’une grande impatience, car l’autrice de cette seconde trilogie n’est autre que Claire Duvivier, dont j’avais adoré le premier roman, Un long voyage (si tu ne l’as pas lu encore, rue-toi dessus, c’est une véritable merveille ! La chronique est disponible ici !).

    Après avoir découvert la cité de Gemina, capitale du Sud, ses murailles, sa bonne chère, ses clans et ses mystères, bien entendu, direction cette fois Dehaven, capitale du Nord.
    Amalia Van Esqwill est une jeune aristocrate, fille de grande famille. Elle, son camarade Hirion de Wautier, autre héritier, et leur fratrie, reçoivent une éducation très progressiste et rationnelle, afin d’en faire des citoyen·nes éclairé·es qui sauront guider la cité vers de meilleurs horizons. Des tensions politiques vont les mettre sur le devant de la scène plus tôt que prévu, et bien évidemment, une découverte mystérieuse va bouleverser leur manière de concevoir le monde.
    Amalia et Hirion, nos deux héros et héritiers de familles puissantes, ont été élevé·es dans la dignité qui sied à leur rang et ne connaissent du monde que sa face logique, concrète et scientifique. C’est aux côtés de leur ami Yonas, autre héros, fils d’éclusier, qu’ils découvriront avec étonnement et parfois un brin d’incompréhension les traditions folkloriques, les contes et les merveilles de l’imagination. Au détour d’une escapade, le jeune Hirion découvrira d’anciens objets, aux propriétés étonnantes, qui leur montreront une autre Dehaven. Tandis qu’ils exploreront cette ville-miroir, des tensions parcourent la ville et ses colonies, précipitant leur quotidien dans un lent et long cauchemar.

    « Je suis le produit d’une expérience éducative.
    Une expérience telle qu’il n’aurait pu en exister que dans ma ville et pour ma génération. Car c’est à peu près à l’époque de ma naissance que les choses se mirent à changer pour Dehaven. A force de s’étendre, chassant la population dans les Faubourgs, elle finit par déborder de ses propres fortifications. Les Conseils décidèrent alors d’ériger une seconde rangée de murailles, qui serait, comme la première, longée de canaux tenant lieu de voies de communication ainsi que de douves. A côté des Faubourgs proprement dits, au sud-ouest, un nouveau quartier sortit du sol au sud de la vieille ville, en l’espace de quelques années : la Grille, nommée ainsi en raison du plan d’aménagement rigoureux mis au point par les délégués du Haut Conseil. Au nombre desquels on comptait ma grand-mère, Quilliota Van Esqwill, toujours en première ligne pour tout ce qui concernait la modernisation de la cité. »

    On retrouve ici ce qui faisait déjà le sel du Sang de la cité, et mon grand plaisir : une ville-personnage originale et centrale. Dehaven semble aussi froide et rationnelle que Gemina était vivante et chaleureuse. À l’instar de leur ville, les dirigeants de Dehaven brillent par leur pragmatisme et leur intelligence tranchée. Mais nous sommes ici dans une histoire qui m’a semblé d’emblée beaucoup plus sombre. Ce pragmatisme peut-être, tellement ancré chez Amalia, que l’on sent très vite qu’il n’y aura pas la moindre place pour un espoir vain. Cette apparente froideur est d’une efficacité redoutable, qui nous embarque immédiatement dans les péripéties folles et de plus en plus tragiques d’Amalia. Pas de faux semblants, pas de fioritures, la personnalité de notre héroïne et de sa ville nous fait vite comprendre l’importance et la violence des événements, facilitant notre immersion dans ce monde si carré et si clair qui s’abîme brusquement dans le chaos.

    Et que dire de cette Dehaven-miroir ? Sans trop t’en révéler, lecteur·ice de mon cœur, car tu dois la découvrir par toi-même, sache qu’elle est d’une beauté et d’une fascination qui m’a rappelé Le désert des tartares, dans ce qu’elle a d’insaisissable, de glissant, d’insensé. Lorsque l’on comprend que nos sens et notre raison jamais ne parviendront à comprendre, il ne reste que l’imagination. Et c’est là l’autre idée merveilleuse de ce roman, cette ignorance volontaire, ce mépris dans l’éducation donnée à Amalia et Hirion de tout ce qui touche au merveilleux, au folklore, aux croyances. Seule la raison prime, mais dans certains moments, il faut connaître les racines des histoires, l’origine des peurs et accepter que parfois certaines choses n’aient pas de sens, avant de réussi à les comprendre. Changer de paradigme. C’est en se détachant du réel, que l’on peut comprendre, ou tout perdre…

    Dehaven se présente comme le négatif de Gemina, tant dans son urbanisme et ses habitudes que dans les mentalités et traditions de nos protagonistes. Les parties de Tour de garde leur donne une habitude commune, ainsi que l’existence de leur double, leur ombre, dangereuse et incompréhensible. On voit les liens se tisser de loin en loin, avec autant d’impatience que d’appréhension pour nos jeunes héro·ïnes !

    Un premier/second tome absolument passionnant, dans lequel le projet initial dévoile toute son ampleur et Claire Duvivier tout son talent. Vivement la suite !

    Aux forges de Vulcain
    365 pages

  • Un long voyage – Claire Duvivier

    Alors qu’il n’est qu’un enfant, Liesse est donné, sous un archaïque contrat d’esclavage, à des fonctionnaires impériaux de Tanitamo. Il apprendra à lire et écrire en armique et découvrira les rouages de l’administration impériale. Lorsque Malvine Zélina de Félarasie, jeune et fougueuse haute fonctionnaire envoyée sur l’île pour faire ses preuves, lui propose de la suivre vers son nouveau poste à l’autre bout de l’empire, Liesse n’hésitera pas. Il part pour un long voyage qui dessinera sa vie et celle de l’empire.

    Un long voyage commence comme une chronique de la vie d’un homme humble qui s’est retrouvé presque par hasard aux côtés de la femme qui a marqué son temps, continue comme la biographie de cette incroyable femme qu’est Malvine, et de l’empire pour lequel elle œuvre, se poursuit par une invasion inimaginable et de funestes moments et se termine en nous interrogeant sur ce qui fait peuple, sur l’histoire d’un pays, la construction de son identité propre et de l’identité collective dans un éclat d’humanité, d’émotion et de beauté. Les aventures de Malvine et les bouleversements que vit l’empire sont d’une inventivité brillante et terrifiante. La langue de Claire Duvivier, poétique et drôle tout en restant simple, à l’image de Liesse, nous mène par le bout du nez d’une histoire tranquille aux côtés de personnages vibrants et vivants à un chamboulement historique complètement fou. Ses personnages sont d’une beauté incroyable, Malvine une figure fascinante et Liesse un narrateur qui retranscrit merveilleusement bien les ambiances, tensions langagières et culturelles de cet étrange monde archipélagique.
    Ce long voyage, est-il celui de Liesse, narrateur omniprésent et témoin malgré lui d’un changement de paradigme dans un empire dont les rouages étaient gravés dans le marbre ? Est-ce celui de Malvine, au destin brillant tout tracé et pierre angulaire de ces bouleversements ? Est-ce enfin, peut-être, celui d’un pays, d’un empire confronté à son histoire, ses traditions, qui doit s’examiner à l’aune du chemin parcouru avant de continuer ?

    Gémétous, ma hiératique, c’est pour toi que j’allume cette lanterne, que je sors ces feuilles, que je trempe cette plume dan l’encre. À vrai dire, je me lance dans cette entreprise sans savoir si je pourrai la mener à bien : il y a fort longtemps que je n’ai pas couché des mots sur le papier et, même à l’époque où cette tâche m’était quotidienne, mes œuvres se limitaient à des rapports et des procès-verbaux. Mais après tout, ce n’est pas une épopée que tu m’as demandé ; toi, tu veux la vérité sur Malvine Zélina de Félarasie, et je suis l’un des derniers en vie à l’avoir connue.

    C’est à coup sûr l’un des plus beaux voyages littéraires que tu peux faire, lectrice, lecteur, un roman sublime et indispensable !

    Aux Forges de Vulcain
    240 pages