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  • Je chante et la montagne danse – Irene Solà

    Dans une vallée encaissée des Pyrénées catalanes, tandis qu’une jeune femme, Sió, s’occupe de son deuxième enfant juste née, l’herbe se dresse sous les doigts du vent et ses ongles électriques. Un jeune homme, Domènec, est sorti, fuyant le bruit, peut-être, cherchant un autre silence avec moins de reproches et plus de poésie. Au milieu de ses vaches, c’est un éclair qui le trouvera, soudain et définitif. Et alors que Domènec tombe pour la dernière fois, les dones d’aigua gardent les histoires qui ébranlent les montagnes, génération après génération.

    Nous sommes arrivées avec nos panses gonflées. Douloureuses. Nos ventres noirs, chargés d’eau sombre et froide et d’éclairs et de coups de tonnerre. Nous venions de la mer et d’autres montagnes, et allez savoir de quels autres endroits, et allez savoir ce que nous avions vu. Nous passions en raclant la pierre des sommets, comme du sel, pour que rien n’y pousse, pas même les mauvaises herbes. Nous choisissions la couleur des crêtes et des champs, et le scintillement des cours d’eau et des yeux qui regardent en l’air. Quand elles nous ont aperçus, les bêtes sauvages se sont tapies dans leur tanière et ont tendu le cou et levé le museau, pour sentir l’odeur de terre mouillée qui s’approchait. Nous les avons tous enveloppés, comme une couverture. Les chênes, les buis, les bouleaux et les sapins. Chhhht. Et tous, ils se sont tus, parce que nous étions un toit sévère qui décidait de la tranquillité et du bonheur de garder l’esprit au sec.

    Il y a d’abord Sió et Domènec, puis Mia et Hilari et Jaume. Il y a eu Ton, il y aura Oriol, Lluna. A Camprodon et ses environs, pendant les longtemps les gens ne partaient pas, ou pas bien loin. Ici, on a gardé les histoires de famille, les habitudes de la vie déjà rude de la moyenne montagne et le silence sur les années du franquisme. Après la mort de Domènec, Sió a élevé seule ses deux enfants, qui ont a leur tour vécu leur vie, connu leurs drames et laissé passer le temps. Et autour d’eux, la montagne aussi a laissé passer son temps, a accueilli les amours discrètes, les tragédies indicibles et les fantômes inquiets.

    Irene Solà donne la parole à un bouquet de protagonistes qu’on laisserait d’habitude dans son silence, taiseux et pudique, pour raconter puissamment la vie dans ce qu’elle a de plus commun, de plus attendu et de plus beau. Elle donne voix à la montagne, elle donne voix aux dones d’aigua, témoins immobiles de ces vies qui s’étiolent le temps d’un soupir, dans la beauté brute, sauvage et mortelle de ces Pyrénées, qui seraient peut-être le tombeau de Pyrène, ou bien le berceau de tant d’autres.

    L’écriture d’Irene Solà sent la pierre mouillée et la forêt après l’orage, elle goûte la nuit avant la neige et l’ombre de l’ours. Elle est brute et délicate, et transporte avec elle mille sensations en une. Chacun de ses personnages est l’une des gouttes qui rend dentelle la toile d’araignée, et ses vibrations nous accompagnent longtemps.

    Traduit du catalan par Edmond Raillard
    Éditions Points
    215 pages

  • Propre – Alia Trabucco Zerán

    L’autrice chilienne nous revient après son puissant et prometteur premier roman La soustraction dans lequel elle racontait l’héritage des histoires familiales et la construction de soi au milieu des fantômes. Avec Propre, elle nous plonge dans l’intimité d’une famille aisée de Santiago racontée par leur employée de maison.

    Estela parle, elle parle, comme si personne ne pouvait l’arrêter. C’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’elle est là, parce qu’on veut l’écouter. On veut connaître sa version, son histoire, elle qui travaille depuis tant d’années dans cette maison, avant la naissance de la petite puis après, elle qui a élevé l’enfant presque comme si c’était la sienne. Peut-être sait-elle comment, pourquoi la gamine est morte.

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    nouveaux espaces latinos
  • L’invincible été de Liliana – Cristina Rivera Garza

    Le 16 juillet 1990, Liliana Rivera Garza est assassinée par son ex-petit ami, Angel Gonzalez Ramos. Trente ans plus tard, sa grande soeur, Cristina, revient à Mexico pour demander la consultation du dossier de l’enquête. Tandis que l’administration mexicaine peine, elle retrouve les cartons des affaires de sa sœur, patiemment entreposés et attendant qu’on les ouvre. Se faisant, elle revient dans le passé et nous raconte Liliana, à travers ses souvenirs personnels et ses mots, à elle.

    Nous sommes sous un arbre peuplé d’oiseaux invisibles. Au début je pense qu’il s’agit d’un orme -le tronc robuste et solitaire doté de branches verticales que je sais reconnaître depuis mon enfance- mais assez vite, un ou deux jours plus tard, je me rends compte que c’est un de ces peupliers transplantés il y a bien longtemps dans cette partie de la ville où la végétation originelle est rare. Nous nous sommes assises là, sous son feuillage, au bord du trottoir peint en jaune. Le soir tombe. Derrière la lourde grille d’acier s’élèvent les tours grises des usines et les gros câbles électriques s’incurvent, défiant l’horizontale. Les semi-remorques passent à toute vitesse, comme les taxis et les voitures. Les vélos. Parmi tous les bruits du soir, celui des oiseaux est le plus inattendu. Le plus improbable. J’ai l’impression qu’au-delà du feuillage, on ne les entend plus. Ici, sous cette branche, tu peux parler d’amour. Au-delà c’est la loi, la nécessité, la voie de la force, le territoire de la terreur. Le fief du châtiment. Au-delà, non. Mais nous les entendons, et c’est peut-être absurde, insensé, mais leur chant monotone, insistant, à la fois pacifique et puissant, passionnée et désespéré, trop réel ou trop léger, distille un calme que l’incrédulité n’entame pas. Tandis qu’elle allume une cigarette, je demande à Sorais, Tu crois qu’elle va arriver ? La juge ? Oui, la juge. Je n’ai jamais su décrire cette moue qui décompose le visage en lui ôtant toute symétrie. On est si proche du but, dit-elle pour toute réponse, en crachant un brin de tabac. On n’est pas à une demi-heure près.

    Liliana était étudiante en architecture, elle avait des ami-es, de bonnes notes, de grands rêves. Franche, sérieuse et étonnante, elle avait aussi ses amours, plus ou moins sérieuses, mais toujours avec défiance. Car elle voyait encore l’ombre noire de son ex petit copain, un amour de lycée, un garçon ombrageux et jaloux, possessif, violent, qui continuait à la suivre, à lui rendre visite, à garder un œil sur elle.
    Trente ans plus tard, donc, Cristina retrouve toute une collection de carnets, feuilles volantes, photos, ayant appartenu à sa petite sœur, qui adorait écrire. Des lettres, des mots, des notes, des brouillons maintes fois réécrits, d’autres jamais envoyés. L’adolescence et les premières années de sa vie d’étudiante racontée de son point de vue. Et Cristina se demande, serait-il possible d’y trouver quelque chose ? Un indice, un pressentiment, une phrase écrite noir sur blanc qui dirait la crainte, la violence et le danger ? C’est d’abord cette quête de la vérité et de l’alarme, de l’alerte manqué, qui pousse Cristina Rivera Garza à écrire. Comment, dans le Mexique de la fin des années 80, parlait-on des hommes violents ? Racontait-on à ses copines, ses cousins, sa sœur, ses parents, l’inquiétude dû à un amoureux ? Comment traitait-on ces enquêtes ? Après son crime, Ángel Gonzalez Ramos s’est enfui et n’a jamais été retrouvé, il s’est évaporé dans la nature, a commencé une autre vie après avoir arraché celle de Liliana.

    Ici, Cristina Rivera Garza fait œuvre multiple. Elle cherche d’abord à analyser la violence systémique faites aux femmes au Mexique et dans de nombreux autres pays en se basant entre autre sur le travail de la journaliste Rachel Louise Snyder qui a écrit sur les violences domestiques, ainsi que sur les nombreux mouvements féministes qui se battent pour que la justice considèrent enfin ces crimes pour ce qu’ils sont, non pas des crimes passionnels et romantisés mais des meurtres, des féminicides insupportables et injustifiables. Le terme feminicidio s’est d’ailleurs forgé au Mexique, pour qualifier, parmi d’autres, les meurtres de femmes à Ciudad Juarez. Militante et activiste féministe, Cristina met en évidence le déni des spécificités de ces meurtres par les institutions et la société mexicaine, l’indulgence pour les accusés et le mépris pour les victimes. Mais ici, l’acte militant est de rendre à Liliana son statut de femme, au-delà de celui de victime, justement.
    En lisant et nous transmettant les lettres, les pensées et la vie de sa sœur, elle remet au centre l’être qu’elle était, lui rend sa voix. En retrouvant ses ami-es de la fac d’architecture, en nous donnant à lire ses textes, elle nous présente cette jeune fille puis jeune femme qui avançait avec vaillance et joie dans la vie, étudiante brillante, amie passionnée et fidèle et expérimenteuse littéraire, elle qui commençait ses lettres par la fin, se passait de ponctuation, tentait de tordre la syntaxe et les mots pour exprimer tout ce qui la traversait. On devine à travers ses écrits le traumatisme laissé par sa relation avec Ángel et son besoin de se libérer des hommes, de ne pas être soumise à une histoire d’amour qui deviendrait une prison.

    Nous n’avons pas fini de lire sur les violences conjugales et domestiques et les féminicides. Ce livre-là, puissant et lumineux, plein de rage et de pudeur, en plus de décrire et analyser un système hypocrite qui cautionne et excuse ces actes, remet au cœur la victime, non en tant que telle mais dans toute son humanité et son existence, lui redonne corps, voix, et vie pendant quelques pages, et avec elle toutes les autres.

    Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron
    Éditions Globe
    400 pages

  • Les étoiles ne fileront plus – Élodie Serrano

    Camille travaille depuis longtemps sur un étrange phénomène qui provoque accidents et agacements. Il semble que, par moments, la voûte céleste se déplace, prenne épaisseur, et heurte les vaisseaux spatiaux qui traversent le vide galactique. Camille, astronome et cryptozoologue, en est persuadée, il s’agit là d’un être vivant. Alors quand elle découvre l’existence de gigantesques baleines constellées d’étoiles qui sillonnent le ciel, tout bascule.

    […] Là où les étoiles bougent, d’aucuns s’extasient. Moi, je cherche à comprendre. Et à découvrir ce qui se cache derrière. J’ai toujours été curieuse et, après tout, qu’est-ce que la science, si ce n’est la forme de curiosité la plus absolue ? […]
    Extrait de « Journal intime de Camille Grandbois », éditions La Baleine, 2789

    *
    – J’ai un truc juteux pour toi !
    Je relevai la tête de mes documents, un monceau de données astronomiques, et offris un grand sourire à Sarah, ma collègue de labo. Elle n’exagérait jamais rien, alors son annonce me mettait de bonne humeur avant même de savoir de quoi il retournait.
    – Oh, je peux essayer de deviner ? m’exclamai-je.
    Sarah secoua la tête.
    – Tente toujours, mais je doute que tu trouves.
    Je me grattai la tempe du bout de l’index. Quelle nouvelle juteuse pouvait bien m’amener Sarah ?

    Ces incroyables êtres, qu’on pourrait qualifier d’animaux, de créatures indubitablement vivantes, sont attirés par les hauts sommets, les roches, le métal, le verre et se complaisent à frôler et se frotter aux plus hauts sommets des massifs de la galaxie. Mais l’expansion de la présence humaine et sa propension à construire des immeubles de plus en plus haut vient perturber ces nageuses célestes, qui déclenchent catastrophes et effrois en détruisant les plus hautes tours des villes coloniales. Pour Camille, sa femme et son équipe de recherche, la mission change et passe de la compréhension et l’analyse d’une nouvelle espèce à sa préservation coûte que coûte.

    Novella qu’on qualifiera sans trop hésiter d’écologiste, Les étoiles ne fileront plus nous montre toutes les facettes des luttes pour la protection des espèces animales. Riche de sa propre expérience, l’autrice (qui a fait des études vétérinaires et a travaillé sur le loup (dans les littératures de l’imaginaire) pour sa thèse), parvient à illustrer dans ce court texte les contradictions et l’arrogance humaine dans son rapport au vivant. Après avoir dévasté la terre, on comprend la leçon non apprise et le besoin de rester seul maître à bord, décidant de la manière dont l’environnement devrait interagir et s’adapter (ou disparaître) à son désir d’expansion. Mention particulière à « l’annexe » qui suit et prolonge l’histoire, qui donne à voir l’évolution du sentiment vis-à-vis de ces baleines et des mesures prises pour leur survie, comment se transmet une mission, une charge, un combat de la vie d’une seule personne aux générations suivantes, qui n’ont plus le même rapport à cette histoire. Le livre se conclut, pour boucler la boucle, sur un essai de l’autrice au sujet du loup et de l’évolution de notre rapport à celui-ci, venant théoriser, en sorte, le propos de son livre.

    Un court récit prenant et fouillé qui ne rassure pas sur nos propensions destructrices et dominatrices (en même temps, y a t-il vraiment matière à être rassuré-e ? Non, hein, c’est la merde. Vivement le collapse). Tu pourras rebondir sur le sujet, s’il t’intéresse, lectrice, lecteur, ma Nyctophilus howensis, tu peux aller jeter un œil ici à ma chronique de La grande ourse, de Maylis Adhémar.

    Éditions Goater
    140 pages

  • Ese verano a oscuras – Mariana Enriquez

    L’été 89 en Argentine. Il fait très chaud, les coupures d’électricité rythme le court des journées et deux adolescentes s’ennuient un peu. Dans la lourdeur de plomb du soleil, elles recherchent l’ombre, écoutent du rock et se passionnent pour les serial killers venus des États-Unis. Parce qu’il semble qu’il n’y en ait pas, en Argentine, des serial killers. Mais peut-être bien que si, tout dépend à qui on demande, tout dépend qui on cherche.

    La ciudad era pequeña pero nos parecía enorme sobre todo por la Catedral, monumental y oscura, que gobernaba la plaza como un cuervo gigante. Siempre que pasábamos cerca, en el coche o caminando, mi padre explicaba que era estilo neogótico, única en América latina, y que estaba sin terminar porque faltaban dos torres. La habían construido sobre un suelo débil y arcilloso que era incapaz de soportar su peso : tenía los ladrillos a la vista y un aspecto glorioso pero abandonado. Una hermosa ruina. El edificio más importante de nuestra ciudad estaba siempre en perpetuo peligro de derrumbe a pesar de sus vitrales italianos y los detalles de madera noruega. Nosotras nos sentábamos enfrente de la Catedral, en uno de los bancos de la plaza que la rodeaba, y esperábamos algún signo de colapso. No había mucho más que hacer ese verano. La marihuana que fumábamos, comprada a un dealer sospechoso que hablaba demasiado y se hacía llama El Súper, apestaba a agroquímicos y nos hacía toser tanto que con frecuencia quedábamos mareadas cerca de las puertas custodiadas por gárgolas tímidas. Nunca fumábamos apoyadas contra las paredes de la Catedral, como hacían otros, más valientes. Le teníamos miedo al derrumbe.

    Tu le sais, lectrice, lecteur, ma part de nuit, Mariana Enriquez je l’aime fort fort fort. Limite c’est pour elle que j’ai décidé d’apprendre l’espagnol, pour pouvoir lire ce qui n’est pas encore traduit. Et bim ! ça y est, c’est parti, avec cette première lecture de la grande prêtresse du fantastique latino-américain. Je commence donc avec cette nouvelle, Ese verano a oscuras, qui a la particularité d’être (magnifiquement) illustrée à l’aquarelle (je crois) par Helia Toledo.
    Virginia et notre protagoniste s’ennuient donc un peu, pendant ce chaud été qui est ponctué par de longues coupures d’électricité, l’Argentine peinant à produire l’énergie nécessaire en cet année 1989. Tombées sur un livre parlant des serial killers, nos deux ados un peu rebelles, un peu punk et gothique à la fois, se passionnent pour ces figures morbides, touchant du doigt un frisson d’aventures et d’excitation, de peur et de danger qui paraît bien éloigné de leur quotidien à l’ombre de l’immense cathédrale. Mais tout change le jour où Carrasco, habitant du 7ème étage, assassine sa femme et sa fille et s’enfuit. Le quotidien bascule, la chaleur devient plus pesante et l’absence d’électricité, jusqu’alors propice à la création d’ilots de fraîcheur et de cachettes discrètes pour les filles, devient un gouffre immense dans lequel se dissimule Carrasco.

    Helia Toledo – Ese verano a oscuras

    On retrouve ici dans ces quelques pages, tous les sujets de Mariana Enriquez : la violence, l’adolescence, la musique, la dictature, le sida. Sous le regard un peu blasé mais bien affûté de la protagoniste, les conversations à mots cachés, les sous-entendus entre ses parents, avec les voisins, les commerçants, prennent un autre sens. Les anciens complices et les opprimés, les opposants et les attentistes, tous vivent ensemble dans ce début de retour à la démocratie, mais rien n’est vraiment comme avant. Et les assassinats terribles et violents commis dans l’immeuble vient faire retomber une chape de plomb sur les habitants. L’obscurité des êtres humains ne s’arrête jamais de grandir, et face à elle, nous sommes démunis, seul-es et ensemble. Elle emportera des gens, aveuglément, le visage déchiré par un rictus acéré tandis que la vie continuera son chemin inopportun, sans se soucier de ce qu’elle laisse derrière elle.

    Helia Toledo – Ese vernao a oscuras

    Avec la finesse qui est la sienne, Mariana Enriquez raconte cette histoire violente et tragique vue par une ado en restant sur le fil, et nous rappelle comment elle est passée maîtresse dans l’art de nous faire frémir avec l’horreur quotidienne, à laquelle il ne faut parfois pas rajouter grand-chose pour la rendre surnaturel. Les illustrations de Helia Toledo, tout en ton orange, ocre, et noir tranchant, viennent souligner cette ambiance étrange, entre langueur estivale, anormalité électrique et dangers enfouis.
    L’horreur est partout, tout le temps, tapie dans l’ombre d’une cage d’escalier, attendant la coupure qui l’enveloppera.

    Illustrations de Helia Toledo
    Paginas de Espuma
    72 pages

  • Des cendres dans la bouche – Brenda Navarro

    Diego et sa sœur quittent le Mexique un beau jour, pour rejoindre leur mère en Espagne. Ils laissent derrière eux les cousins, la famille, les ami-es, les grands-parents, les habitudes, la violence. Quelques années plus tard, Diego se suicide, et sa sœur ramène ses cendres au Mexique, retrouvant pour la première fois depuis son départ sa famille et sa terre.

    Je ne l’ai pas vu, mais c’est comme si je l’avais vu, parce que ça me transperce le crâne et ça m’empêche de dormir. C’est toujours la même image : Diego qui tombe et le bruit de son corps qui frappe le sol. Et là, je me réveille et je me dis que ce n’est pas à moi que c’est arrivé, ni à Jimena, ni à Marina ou à Eleonora. C’est à Diego que c’est arrivé. Encore et encore, ce son dans ma tête, comme un coup frappé dans les côtes, comme une vitre qui se brise en mille morceaux contre un sac de sable, comme ça, tout à coup, sans avertir. Sec, contondant, le choc des côtes et des poumons contre l’asphalte. Comme ça : boum. Non, comme ça : bouuum. Non, comme ça : crak. Non, comme ça : trak, trakout. Non, comme ça : baaam, clap, crach, brouuum, brooom, grouuum, grrr, groooo… Et un écho. Non, aucun son ne peut décrire le bruit entendu. Un corps qui s’écrase contre le sol. Diego voulant être tapageur, voulant interrompre la musique de son corps. Diego nous laissant comme ça, suspendu entre nous. Diego, une étoile.

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  • L’absence est une femme aux cheveux noirs – Émilienne Malfatto & Rafael Roa

    En 1976 débute en Argentine le « Processus de réorganisation nationale », nom policée de la dictature initiée par le général Videla et sa junte. Trois autres lui succèderont jusqu’en 1983 et le retour de la démocratie avec l’élection de Raul Alfonsin. Si les années qui précédèrent le coup d’état de la junte militaire étaient déjà compliquées et sombres, le coup d’état de 1976 écrase de sa botte des milliers de vies.

    C’est une ville étrange où il faut savoir où on va

    j’ai posé la question l’autre soir au chauffeur du bus 29
    ce bus que j’attends en face du grand parc où on torturait
    en technique

    grand parc avec des grands arbres et des bâtiments blancs
    aux toits de tuiles
    et un peu partout
    dans les allées
    les visages en noir et blanc de ceux
    qu’on torturait
    en technique
    dans une des bâtiments blancs
    les griffes du tigre

    il faut savoir où on va ici.

    La dictature argentine, terme singulier pour des juntes plurielles qui ont fait de la torture et de la mort un art, ce sont des milliers de victimes, de desaparecidos et d’enfants volés. Les juntes sont passées maitresses dans l’art de dissimuler, de dissiper, de faire s’évanouir aux yeux de tous leurs crimes. Le principal, le plus connu des centres de torture et de détention, la lugubre École de la marine (ESMA) trône au centre de la ville, le long de l’avenue Libertador. Les enfants arrachés à leurs parents sont confiés aux militaires tandis que leurs parents sont jetés dans le Rio de la Plata, ou dans des fosses communes.
    L’Argentine est aujourd’hui sans doute la plus connue des dictatures de cette époque, alors qu’à ce moment-là elle est le dernier pays à plier sous « les ailes noirs du Condor » comme l’écrit Émilienne Malfatto. C’est tout le cône Sud qui meurt sous le talon des militaires, pour le plus grand plaisir de Nixon et Kissinger qui peuvent souffler un peu, la terreur rouge est arrêtée.

    Émilienne Malfatto et Rafael Roa remontent le cours de cette histoire, du coup d’état aux procès récents en prenant pour fil les enfants volés. Symboles de la dictature par le projet que ces enlèvements sous-tendent, ils sont également l’un des maillons d’une opposition pacifique qui garde encore aujourd’hui la mémoire et la lutte, celles des mères et grands-mères de la place de Mai.
    Les deux nous emmènent dans une déambulation dans les rues hantées de Buenos Aires et d’autres histories argentines, à la recherche des ombres des desaparecidos, dans les pas des locas de la plaza de Mayo, comme les surnommait les militaires, elles qui tournaient en rond, un lange sur la tête, réclamant leurs enfants, leurs petits-enfants. Elles qui, après que le président Alfonsin aura fait un début de procès, et bien que le président Menem aura libéré et amnistié les tortionnaires, sauront se glisser dans la faille, mettre le pied dans la porte qui permettra de ramener tout ce petit monde devant les tribunaux. Mais restent les absents. Restent les enfants aujourd’hui de quarante ans qui ignorent leur véritable identité (et ignorent qu’ils l’ignorent). Trente mille desaparecidos, cinq cents enfants volés.

    C’est un pays qui ment qui ne veut pas se souvenir
    une ville de mensonge
    Buenos Aires aux longues avenues et aux relents
    humides
    où l’espagnol a l’accent italien
    où le fleuve ressemble à la mer
    où on prétend avoir oublié
    C’est un pays étrange où il manque des gens
    c’est comme ça
    comment le dire autrement
    il en manque quelques milliers
    on les a emmenés et ils ne sont jamais revenus

    Alors que Milei suit de son regard fou placardé sur les murs, son regard froid de révisionniste les chemins hésitants de la narratrice, celle-ci s’interroge à son tour sur le rapport de l’Argentine avec son passé. Des grands procès de 85 aux amnisties jusqu’aux nouveaux procès de 2011 marqués (trop ?) du sceau du kirchérisme. Toutes ces étapes qui amènent à maintenant, aujourd’hui, à Milei. Un hommes qui nie, qui rejette, qu’on imagine bien s’arroger le pouvoir pour ne jamais le rendre et rouvrir les plaies encore suintantes de ce pays mal cicatrisé.

    Comment raconte-t-on une dictature ? On savait déjà avec ses textes précédents (je t’ai déjà parlé de deux d’entre eux : Les serpents viendront pour toi et Que sur toi se lamente le Tigre) qu’Émilienne Malfatto savait rendre la dureté et la violence avec une luminosité et une poésie empreinte d’une humanité tranchante. Elle n’a pas peur des mots, des questions les plus simples comme les plus inconcevables, car pour avancer quand on ne sait pas où l’on va, il faut bien, à chaque intersection, se demander pourquoi, comment, qui, où, pourquoi, comment ? Elle ne nous épargne pas, et après tout pourquoi le ferait-elle. Elle ne l’a pas été, elle s’est heurtée à la réalité de la junte, à celles des Argentins encore troués de ces années passées sous l’aile noir du Condor. Les viols, les enlèvements, la picana, les fractures, le Pentothal. La formation par les généraux français, bien aguerris par la guerre d’Algérie et ravis de partager leurs méthodes. L’internationale de la terreur. En parcourant Buenos Aires, Émilienne Malfatto est à l’affût, elle guette les silences et les cris étouffés. Comment une ville absorbe-t-elle le sang ? Résonne-t-elle des absents ? Ou bien même là, il y a des trous noirs ? Que se passe-t-il quand le massacre de son propre peuple devient un sujet de débats, de questionnements.
    Les photographies de Rafael Roa viennent souligner son texte, poésie parlante comme un fil de pensées qui se déroule, se faufilent et s’effilent au fil des entretiens et tandis qu’elle remonte l’avenue Libertador, la calle Peru et les rives du Rio de la Plata. Autre regard sur cette histoire qui, si elle est difficile à raconter, l’est encore plus à montrer. On peut afficher la torture, les corps les blessures le sang, mais ici ce que l’on veut ramener à la surface ce sont les absents, les inexistants, les parfois et peut-être un jour apparaissants. Images d’archives, portraits des mères, grands-mères, enfants retrouvés. Bouts de murs, de place, siège d’avion. Parfois détachés de leur contexte, pris pour ce qu’ils sont, un fleuve, une rive, une route, entrant en résonance avec les entretiens, les témoignages, les photographie se chargent tour à tour de marquer la parole, de sous-tendre l’étrange, l’insaisissable, l’incompréhensible pourtant bien réel.

    S’il est important de continuer encore et toujours de raconter les oppressions, les terreurs et les dictateurs, il y a des moments où cela devient primordial. L’Argentine aujourd’hui a fait un choix, vu d’ici improbable. Mais ce ne sont pas les premiers, et tout autour, ailleurs, et chez nous aussi, des bulles nauséabondes remontent, éclatent et nous contaminent doucement mais sûrement, s’insinuant dans les maillons indispensables et si fragiles de notre unité, de notre humanité collective. Le livre d’Émilienne Malfatto et Rafael Roa arrive non seulement à un moment décisif, mais sa puissance en fait un récit indispensable sur la mémoire, son évanescente permanence, la force des combats et la vaillance de ces femmes impressionnantes, ces mères et grands-mères, folles de la place de Mai, dont on doit faire nôtre leur acharnement et leur dignité, qui ont fini par faire éclater de nouveau la porte qui voulait garder caché, dans l’oubli et une honteuse honte inversée, l’horreur de la dictature.

    Éditions du Sous-Sol
    176 pages

    (un aparté, pour sérendipiter comme le dirait Curiosithèque, sur le titre magnifique et un peu énigmatique de ce livre, qui fait résonner en moi un autre titre, similaire, reflet d’une autre époque et pourtant avec de nombreux points communs. Alors si celui-ci te plaît, de titre, tu devrais aller jeter un œil ou une oreille à Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués, de Jean-François Vilar. Une citation de Natalia Sedova, veuve de Trotsky pour un roman noir sublime, dont la structure, tiens, me fait aussi penser, même si ça n’a rien à voir mais un peu quand même, à Austral, de Carlos Fonseca. En attendant la prochaine boucle.)

  • Chiennes de garde – Dahlia de la Cerda

    Elles sont filles ou fiancée de narcos, mère ou sœur de mortes, tueuses à gages, ou encore mortes. Elles sont 13 et nous parlent, nous racontent leur histoire.

    Je me suis assise sur la cuvette, j’ai pissé sur le test de grossesse, et j’ai attendu la plus longue minute de ma vie. Positif. J’ai eu une crise d’angoisse et juste après une timide bouffée de joie : je me suis caressée le ventre avec tendresse. Chaque fois que j’avais vu ce genre de scènes, la nana qui scrute son test de grossesse dans les toilettes, ça m’avait semblé pathétique. « Ca aussi, c’est pathétique », j’ai epnsé. Même si pour être honnête, j’ai l’habitude d’être pathétique, c’est peut-être pour ça que je m’identifie a des personnages comme Jessica Jones ou Penny Lane dans Presque célèbre. Je me suis relevée, j’ai passé mon visage sous l’eau et je suis sortie des toilettes pour aller m’écrouler sur le lit.
    J’ai uen certaine capacité à encaisser les mauvaises nouvelles.Certains vous diront que je les ignore, mais pas du tout, c’est juste que j’ai tellement la poisse que c’est pas crédible. J’ai été cocufiée, attaquée en pleine rue, mes animaux de compagnie sont tous morts empoisonnés ou écrasés, je ne connais pas mon père et j’ai perdu ma mère il y a quelques années. Et maintenant, dans le tiroir de droite de mon bureau, j’ai un test de grossesse avec deux lignes roses. J’ai fait une prise de sang pour confirmer. Positif. Je ne savais pas, moi, que les tests en vente libre ne pouvaient être faux que quand ils sont négatifs, jamais quand ils sont positifs. Je n’étais pas prête à donner naissance à un enfant dans ce monde de merde.

    Faux recueil de nouvelles et vrai roman ? Si chaque histoire est bien séparée des autres par cette page noire et son titre en gras, au fil de la lecture on retrouve des résonnances, un autre point de vue sur l’historie déjà contée par la précédente. La première a voulu venger son amie lâchement et sauvagement assassinée par son petit ami, on trouvera quelques pages plus loin le récit de l’amie, celui de la garde du corps, et d’autres encore. Page après page c’est une narration globale qui se tisse, rassemblant toutes les histoires en une grande, celle de celles qui ont été dévorées, de celles qui ont décidé que ça suffisait. Contre les hommes et sans l’aide de Dieu, elles n’ont qu’elles pour se défendre, se venger, se faire entendre. Yuliana, furieuse devant l’inaction de son puissant paternel face au meurtre de son amie prendra les choses en main. La China, sa garde du corps, venue de rien et maintenant tueuse au sang froid pour l’un des plus puissants narcos, raconte son ascension. Une femme amoureuse de son prêtre perd pied, une autre veut se venger de sa voisine et du chien qui chie dans son jardin. Une jeune travailleuse des maquiladoras de Ciudad Juarez ressuscite pour se venger de ses meurtriers, et venger toutes les autres avant elle, et les suivantes.

    On pensera à La saison des ouragans, de Fernanda Malchor pour la thématique et le côté choral, aussi aux Jeunes mortes, de Selva Almada (d’ailleurs cité) ou encore plus à Des os dans le désert de Sergio González Rodríguez (dont je ne t’ai pas parlé ici, mais ça viendra sans doute). Le sujet des violences faites aux femmes dans la littérature latino est assez prégnant ces derniers temps, et Dahlia de la Cerda vient y ajouter sa pierre avec un style et une force toute particulière. Avec cette adresse directe au lecteur-ice, elle nous entraîne dans un dialogue, ou plutôt un entretien, une conversation avec celles qui sont en première ligne. Les féminicides au Mexique atteignent des niveaux insupportables, notamment dans les régions frontalières avec les États-Unis (il faudra vraiment que je te parle de Des os dans le désert, à ce sujet), et Dahlia de la Cerda exhibe les (potentielles) victimes dans ce texte, mais des victimes qui n’ont pas l’intention de mourir sans arracher quelques morceaux au passage, des femmes qui ont bien compris les codes et qui, dès qu’elles en ont la possibilité, vont les habiter et jouer avec pour venir mettre à terre la destinée macabre qui les attend. Hargneuses et décidées, les protagonistes de ces histoires ne s’en laissent pas compter, quitte à repousser la mort pour faire payer aux vivants.

    Au rythme des corredores et de la cumbia qui donnent le tempo des événements, Dahlia de la Cerda met sur le devant de la scène celles qui sont constamment invisibilisées, ignorées, résumées à une place de vierge ou de putain, de victime ou de marâtre, bâillonnées, tuées et nous apporte sur un plateau punk-goth leurs paroles, à coups de crosses et de reggaeton, et c’est très bien !

    Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron
    Éditions du Sous-sol
    240 pages

  • Bataille (pas l’auteur) – Aurélie William Levaux

    Il y a elle, la narratrice, une artiste belge qui vient d’une (très) grande famille (très) catholique. Il y a la petite sa fille, à l’âge indéterminée et la gouaille affirmée. Et il y a Baptiste, l’amoureux. Autour de tout ça, une galerie de personnages et surtout beaucoup d’aventures banales du quotidien, des réflexions, des questionnements et des angoisses, que nous conte Aurélie William Levaux.

    Je me suis assise à une terrasse près de la gare de l’Est pour écrire. C’était pas très original, je passais ma vie à faire ça, écrire, et attendre, et écrire que j’attendais. Un gars m’a demandé une cigarette, puis un autre du fric et un troisième derrière, du feu. Le premier est resté planté devant moi pour fumer, il a fit qu’il détestait les pages blanches, qu’il fallait que je parle de lui, de nous, de la ville, mais de lui surtout. Je serai ton influe, il a dit. Il tenait une cannette de bière entre ses doigts dégueulasses. Les hommes aux cannettes m’aiment bien en général, ou c’est moi qui les attire, à trop les observer, ils me font penser à mon ancien mari. J’ai dit que je ferai ça, que j’écrirai sur lui, et qu’il sera mon influe si seulement il me laissait écrire seule. Il a répondu que mes yeux étaient comme l’azur, comme le ciel. J’ai regardé le ciel. Il était gris sale, gris pisseux, couleur dépression. Mon café est arrivé. Le serveur m’a dit que c’était cinq euros et j’ai failli m’étrangler. J’ai expliqué que j’étais belge, et qu’en Belgique, dans les bars de bord de gare, c’était moins cher. Lui, le serveur, ça l’a fait exploser de rire, et il a dit qu’il connaissait bien la Belgique, parce qu’il était congolais. Et j’ai dit que oui, on avait une belle et grande histoire en commun, tu parles, et il a ri encore plus fort. Et puis je me suis pelée les miches devant mon café à cinq euros en réfléchissant à ma vie, pour changer.

    Viens te balader dans ce qui pourrait être un journal intime, une chronique d’un quotidien ma foi plutôt banal et pourtant plein de surprises. Car là où Aurélie William Levaux parvient à faire de ces anecdotes personnelles une curiosité littéraire, c’est en jouant sur des détails qui donnent une profondeur tout autre. Une chute inattendue, un fil tiré dans une direction surprenante, et c’est tout un flot d’émotions qui se découvre brutalement. Des repas de famille, des jeux avec la petite sa fille, une discussion, une prise de tête, un moment de déprime ou un trajet, tous ces moments répétitifs voir ennuyeux prennent une nouvelle dimension. Aurélie William Levaux prend sa journée, son entourage, ses problèmes et les plie pour en faire des oiseaux en papier, des bateaux, des avions, exposant des crêtes et des ombres que nous n’imaginions pas, des complexités, des subtilités qui surgissent sous son regard pointu et attentif.

    Bataille (pas l’auteur) se dévore goutte à goutte, tantôt iridescent tantôt un peu amer, mais des gouttes pleines de surprises, souvent drôles, qui donne un nouvel éclat aux petites choses qui se cachent dans les petites choses.

    Éditions Cambourakis
    208 pages

  • Stallone – Emmanuèle Bernheim

    En entrant dans cette salle de cinéma pour aller voir Rocky III, Lise ne se doutait pas que sa vie allait changer. Elle en ressort profondément bouleversée par l’histoire de ce champion déchu qui, par orgueil, s’entraîne et se bat pour retrouver la gloire perdue. Et si lui, pourquoi pas elle ?

    Quatre… Cinq… Six… Sept… Huit… Neuf… Dix…
    Clubber Lang reste au sol.
    L’arbitre se redresse.
    « Clubber Lang est vaincu par knock-out. Le champion du monde des poids lourds est l’Étalon Italien : Rocky Balboa… »

    Des spectateurs applaudirent. Pas Lise. Ses mains restèrent agrippées aux accoudoirs, tellement crispées que le velours lui piquaient les paumes.
    L’image se figea. Michel se leva. Il avait déjà sorti ses cigarettes et son briquet.
    – Tu viens ?
    … Rising up, back on the street, did my time, took my chances…
    Lise ne répondit pas. Elle écoutait la chanson.
    … So many times, it happens too fast, you change your passion for glory…
    – Je t’attends dehors.
    … It’s the Eye of the Tiger, it’s the thrill of the fight…
    Des spectateurs de sa rangée voulurent sortir, Lise ne se leva pas pour les laisser passer, elle ne se poussa même pas. Ils durent l’enjamber.
    Elle ne bougeait pas.

    Secrétaire médicale à la colle avec un homme assez oubliable, Lise décide de reprendre ses études de médecine, de quitter Michel et de tout donner pour atteindre ses rêves, portée par l’œil du tigre et allant, année après année, voir chaque nouveau film de Sylvester Stallone, enchantée et terrifiée à l’idée que son idole, l’homme qui avait changé sa vie, puisse un jour ne plus séduire le public et disparaître du grand écran.

    Lectrice, lecteur, mon coup de poing, tu as là soixante pages percutantes à tout point de vue. D’humour, de nostalgie, de volonté, de tristesse. Soixante pages d’une efficacité totale qui nous raconte avec un sourire en coin la puissance d’une icône (et pas n’importe laquelle), le besoin de modèle pour se libérer d’une vie fade et aliénante et le combat d’une femme pour atteindre ses désirs. A coups de phrases courtes et intenses, sans détour ni emphase, Emmanuèle Bernheim détourne un symbole de la culture ciné des années 80-90, parfois moqué et souvent caricaturé, et sa plus grande fan française pour interroger l’influence des œuvres sur nos vies et la force que l’on peut y puiser, quelles qu’elles soient.
    Un court-métrage, presque, et une nouvelle qui peut-être pourrait changer ta vie, qui sait ?

    Éditions Folio
    61 pages