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  • Lire Quichotte – Dans le texte

    Cuenta Cide Hamete Benengeli en la segunda parte de esta historia y tercera salida de Don Quijote que el cura y el barbero se estuvieron casi un mes sin verle, por no renovarle y traerle a la memoria las cosas pasadas, pero no por esto dejaron de visitar a su sobrina y a su ama, encargándolas tuviesen cuenta con regarlarle, dándole a comer cosas confortativas y apropiadas para el corazón y el celebro, de donde procedía, según buen discurso, toda su mala ventura. Las cuales dijeron que casi lo hacían y lo harían con la voluntad y cuidado posible, porque estaban de ver que su señor por momentos iba dando muestras de estar en su entero juicio.

    Don Quijote, Miguel de Cervantès, Edición Alfaguara

    No importa si no entiendes todo
    Conociésedes : genre de subjonctif futur ? Avec vos ? Pourquoi -es à la fin ?
    Vos -> terminaison en –xd ? Quelle différence avec –xis ? Une proximité ou juste un impératif lambda ? Sancho et Teresa se voseisent (faux, Teresa oui, Sancho non), le barbier et le curé avec Quijote aussi, je crois, comme Carrasco. Mais on a des vosotros aussi. Relever quand ils apparaissent, ou a minima la terminaison -xis.
    Patochadas, faut que je le raconte à M. et A., celui-là !
    No importa si no entiendes todo

    Je ne me voile pas la face. Je sais que je suis en train de devenir un peu obsessionnelle. Et comme je le sais, j’essaie de bien viser sur qui je déverse tout ça.
    Au travail, j’ai deux collègues, qui sont aussi des ami-es, et qui sont hispanophones natifs. Ils n’ont pas lu Quichotte, mais on en parlait souvent (pour dire que ça va hein, on a autre chose à faire que le lire, mais un jour, peut-être). Quand j’ai lu le premier tome en français, ça les a amusés, on en a parlé, c’était rigolo.

    Quand je l’ai attaqué en espagnol, je pense qu’ils ont trouvé ça courageux, et sans doute un peu con, aussi. Tandis que j’écris ces lignes, je crois qu’ils commencent à s’inquiéter. Parce que je leur envoie des photos du texte n’importe quand, que je leur pose des questions sur la grammaire et les codes sociaux de l’époque (spoiler, ils n’y étaient pas, ils n’en savent rien), que je débarque des fois le livre à la main pour leur montrer des mots ou des phrases qui m’ont plu. C’est sûr, ils vont finir par craquer. Alors que franchement, je me retiens. Tellement.

    Il me manque tout pour lire ce livre dans le texte. Un minimum de vocabulaire en espagnol contemporain, un peu de culture sur le contexte : les auteurs, les coutumes, l’histoire (ne me juge pas, lecteurice français-e, toi aussi c’est sûr t’es pas ouf en histoire de la péninsule ibérique du XVIe et XVIIè siècle), dans l’idéal une connaissance approfondie de l’évolution grammaticale de la langue (mais bon, là, j’en demande beaucoup). Dis-toi en plus que mon espagnol contemporain est plus latino que ibérique, le vosotros et ses conjugaisons, je ne connais pas. Du tout. Alors entre les archaïsmes et juste l’espagnol d’Espagne, c’est pas facile.
    Mais c’est vraiment très très bien. Et c’est vrai, c’est pas si grave de ne pas tout comprendre. D’autant que je ne peux pas tout comprendre, c’est impossible. Je dois accepter de laisser passer des choses, il y a un pan, je pense très important, des 600 pages de ce deuxième livre qui vont m’échapper, que je ne peux pas attraper. ça me demanderait des lectures préparatoires, des recherches avancées sur l’époque, les mœurs, les us et coutumes, le fonctionnement de la société, l’histoire littéraire. Il faudrait que je lise les autres grands auteurs de l’époque, et d’avant (j’ai peu lu de romans de chevalerie, je connais les codes mais beaucoup de références, je pense, me filent entre les doigts). Comme en français, finalement. Pour le moment je ne lis pas encore l’œuvre Don Quichotte, mais le roman.

    Sur la compréhension générale des aventures de cette troisième sortie de l’hidalgo et de son fidèle escudero, je ne m’inquiète pas, car je sais que je pourrais le lire en français et que tout deviendra limpide, avec, en prime, ce plaisir que je savoure déjà de pouvoir, un peu, faire le pont entre la version originale et sa traduction. J’entamerai ce deuxième tome en lectrice attentive, en lectrice de la traduction, non uniquement du roman.

    Continuará

    épisode 1 : Affronter ses propres moulins
    épisode 2 : Traductor traidor

  • Lire Quichotte – Traductor traidor

    On ne serait rien sans elles et eux, et on les oublie pourtant bien souvent. J’admire le travail des traducteur-ices. C’est un exercice que j’avais aimé pratiquer les quelques fois où j’avais eu l’occasion de l’essayer en cours, cet aller-retour entre deux langues, deux approches, avec toutes les subtilités et les complexités que cela appelle. Je n’irai pas plus loin pour éviter les poncifs et les lieux communs sur la question, je dirai juste que c’est pour moi l’exercice même de l’altérité, et je trouve ça beau. Et grâce à elles et eux, nous aussi pouvons nous ouvrir au monde. Alors merci.

    Et traduire des classiques, alors ? Traduire El Quijote dans la deuxième partie du XXè siècle, ce livre déjà granit, déjà décortiqué et dépecé jusqu’à sa sainte moelle. Comment doit-on transmettre ce texte plus de quatre cents ans après sa parution ? Il ya plusieurs approches, je me dois d’en choisir une. Et c’est un choix important. Rappelle-toi, j’y vais volontairement mais un peu à reculons et pleine d’a priori. Si je rate le coche, si je choisis la mauvaise traduction, la rencontre sera définitivement ratée. A mon âge on devient tête de bois, et il y a tant d’autre chose à lire.

    Mais c’est quoi, la bonne traduction ? En règle générale, on se pose peu la question, déjà parce que souvent il n’y en a qu’une, et pour pouvoir juger de la qualité d’une traduction, il faudrait pouvoir lire l’œuvre originale. Le texte peut sembler parfois mauvais, sans qu’il ne s’agisse de la faute de la traduction. J’ai donc décidé d’enquêter. Y a-t-il plusieurs traductions française du Quichotte ? De quand datent-elles ? Qu’en dit-on sur les internets ? Je finis par découvrir que trois traductions semblent dominer le marché quichottien, chacune avec un parti-pris, une intention bien définie. Une de Jean-Raymond Fanlo, une autre de Claude Allaigre, Jean Canavaggio et Michel Moner (choisie pour l’édition Pléiade), et une troisième d’Aline Schulman. Je continue mes recherches et lis, des articles à moitié ou en entier, des avis Babelio et des fils Reddit. Des incipts de thèses et des retours de colloques. Doucement, mais sûrement, je fais mon choix. Peu importe finalement de savoir quelle est la meilleure traduction : si tant est qu’elle existe, je serai de toute manière incapable d’en juger. Je dois trouver la meilleure pour moi, celle qui m’aidera à affronter ce monstre, mon géant à moi, à lui donner apparence livresque et me donner envie de le trimballer avec moi. Et il y en a une qui a l’air de correspondre. Je me rends donc dans la librairie la plus proche, et choisis L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduit par Aline Schulman (éditions Points, et en plus, la couverture est jolie). De ce que j’en ai retenu, son parti pris à elle est de rendre le texte le plus accessible possible au lecteur contemporain, de redonner l’élan initial du roman, qui était lu sur les places des cathédrales et des marchés, à la cantonnade, pour le plaisir des foules. Un roman populaire, qui se moquait et donnait à rire au clampin moyen. Ça me va. Et surtout, SURTOUT, quasiment aucune note de bas de page. Peu de contextualisation, de retours, de précision, d’explications. On est dans le texte, dans l’histoire, sans interruption, et ça c’est un plaisir.

    Traduire un texte du passé, une écriture parvenue jusqu’à nous, mais que des siècles séparent de nous, c’est, qu’on le veuille ou non, faire œuvre de « restauration ». Ce terme, tel qu’il est défini dans le dictionnaire Robert, peut prendre des sens différents, voire contradictoires, comme « rétablir en son état ancien » ou « remettre à neuf ». C’est bien ainsi que l’on pourrait résumer le choix qui s’offre au traducteur : l’option historicisante, philologique, ou celle qui rechercherait avant tout l’actualisation -ces deux attitudes étant des variantes, tout aussi légitimes l’une que l’autre, de notre rapport au temps et à l’histoire de la langue.

    Aline Schulman, Traduire Don Quichotte aujourd’hui. L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, éditions Points (ouais, de Miguel de Cervantès, TMTC)

    Alors Quichotte, Sancho et moi, on a commencé à se fréquenter. D’abord doucement, puis de plus en plus. Et au gré d’un voyage en train un peu long, je l’ai défoncé, le tome 1 des aventures de l’ingénieux hidalgo, je ne l’ai pas lâché, des moulins à la Sierra Morena, les allers-retours à l’auberge et sous les coups (nombreux) de bâtons que le pauvre Sancho se prend à tour de bras. Mais je ne lisais, déjà, pas que l’histoire que nous a donné Cervantès il y a une double paire de siècle, je lisais aussi sa traduction, que j’avais choisi consciencieusement. Je me demandais ce qu’elle me racontait, les choix qu’elle avait fait. Je me demandais comment c’était, en vrai, dans la langue de Mariana Enriquez. A peine lues, j’avais déjà fait mienne et décortiqué les deux célèbres phrases qui ouvrent le roman. Celle du prologue au lecteur, et celle du texte lui-même. Le « desocupado lector« , qui semble si sensible, le « En un lugar de la Mancha, de cuyo nombre no quiero acordarme […] » si imposante, à la manière du Call me Ishmaël de Moby Dick ? Clair, et pourtant gigantesques.
    Les autres, quels choix avaient-ils fait ?

    Traduire un bouquin comme celui-ci doit être, j’imagine, l’apogée et l’abîme d’une carrière, la roche tarpéienne, le Capitole, tout ça, quoi. Car tout le monde vous attend au tournant, surtout celles et ceux qui ont déjà un avis sur ce qu’il convient de faire et comment traiter un texte aussi mythique, qui n’appartient à personne, sinon à tout le monde, mais un peu plus à eux, parfois. Garder le texte le plus proche possible de ce qu’il était à l’époque ou le rapprocher de nous. Donner toutes les informations de contexte, de langage, d’histoire, toutes les références de l’époque pour que nous comprenions bien qui, d’où, de quoi et comment on nous parle ? Chacun peut trouver sa traduction du Quichotte, selon ses besoins et son moment. Je lirai peut-être un jour une autre traduction, mais celle d’Aline Schulman retrouvera sa place dans ma poche pour le tome 2 (avec toujours la jolie couverture), et je sais que ce choix était le bon, car j’ai très très hâte de m’y mettre.

    Mais pour le moment, j’ai retardé cet achat (j’espère qu’ils ne changeront pas la couverture d’ici là), car j’ai toujours une petite voix, dans le creux de l’oreille, qui me murmure « Sí, en español, no importa si no lo entiendes todo« . Alors, comme grâce à Aline Schulman, j’ai un peu moins peur des aventures de l’hidalgo, depuis quelques temps je regarde mon étagère et je le vois, ce gros livre au dos rouge estampillé Edición conmemorativa IV centenario Cervantès. Plein de notes de bas de pages. Lui aussi, il a une jolie couverture.

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    Pour lire sur les/la traduction de Don Quichotte, une revue non exhaustive de ce que j’avais trouvé à l’époque. Je n’ai pas réussi à remettre la main sur tous les articles, malheureusement.
    Je conseille vraiment l’entretien entre Aline Schulman et Gustavo Guerrero (directeur du domaine latino-américain à la NRF), qui est passionnante.

    épisode 1 : Affronter ses propres moulins

  • Lire Quichotte – Affronter ses propres moulins

    Il y a plusieurs mois de cela, j’ai, enfin, sauté le pas. J’ai commencé à lire Don Quichotte. Ça peut sembler anodin, voire un peu m’as-tu-vu, mais c’est une décision qui, quand je la regarde, trouve ses prémisses il y a ma foi fort longtemps. Le choix d’un livre n’étant jamais anodin, celui de s’attaquer à certains titres l’est encore moins, et pour de multiples raisons. Comme j’aime bien tourner les choses dans tous les sens, que cette lecture évolue et me fait aussi beaucoup réfléchir, je vais tenter de tenir, si ce n’est un journal de lecture, n’exagérons pas, à tout le moins des notes de réflexions sur ce que c’est que de lire et découvrir Quichotte, le texte et le métatexte, le paratexte et le péritexte, aussi, quand on l’a évité pendant des années.

    La première fois (dont je me souvienne) que l’on m’a parlé de Don Quichotte, le livre, j’étais ado, et l’une des rares choses qui me reste en mémoire de cette conversation, c’est que le pavé de Cervantès m’avait semblé être un livre très gros, très philosophique, et très ennuyeux. Un de ces livres sans histoires, qui tournent autour de lui-même. Et moi, à l’époque déjà, ce que j’aime ce sont les histoires. Alors non, le livre d’une vie, peut-être, mais pas la mienne. Et puis en plus, je n’aime pas les classiques. Qu’ils aient cinq cents ans ou cinquante, je n’aime pas les classiques, par principe, par rejet, par peur. Je les évite, je les regarde du coin de l’œil avec la suffisance qu’ils irradient, me renvoyant l’image d’une lectrice médiocre, un peu bête, pas à la hauteur de leur grandeur. Et Quichotte, c’est un classique. Le classique, presque définitoire. Un succès énorme à son époque, qui est devenu une référence, cité, recité, repris, et un tournant dans l’histoire de la littérature espagnole, et mondiale. Le premier roman moderne. Ça en jette, ça impressionne.
    De page en quatrième de couverture, mes glissements de lectrice m’amènent vers la littérature latino, et de temps à autre, je regarde un peu la littérature espagnole. Et toujours, Quichotte traîne ses savates dans les parages, avec ces mille imposantes pages et sa leçon de vie, celle qui redéfinit tout. Quelle pression… Je le garde à distance, mais le méprise moins, la peur que j’en ai se mue doucement en curiosité, mais cette curiosité pour une chose un peu fantasmée, dont on sait qu’elle est inatteignable, dont on parlerait au subjonctif imparfait. Et puis un beau jour, une paire de mains me le donne, le Quichotte. Sur un plateau et dans la langue, por favor. Et une autre voix m’empresse d’y aller, les yeux fermés, sí, en español, no importa si no lo entiendes todo.
    Pero si, quand même un peu, lire un truc chiant, éventuellement, mais dans ma langue, que je sache pourquoi je n’y pane rien. Alors j’y pense un peu plus, parce que bon, j’aime bien voir des signes et des histoires dans ce qui m’entoure.
    Et puis un autre signe, en cours d’espagnol où, allez savoir comment, pourquoi, on se retrouve à parler del Quijote. Aucune de nous ne l’a lu, à l’exception de la prof, por supuesto. Alors on trouve le début sur les internets, et l’une après l’autre, on découvre la langue de Cervantès, sans périphrase cette fois. Et là, c’est une double révélation, sans fioriture, et au sens propre :
    – Il y a une histoire, même plusieurs, dans Don Quichotte.
    – C’est incroyablement bien écrit.
    Même en espagnol, même dans un espagnol du XVIIè qui m’échappe en partie, je ressens le rythme des phrases, la cadence, les tournures sans doute désuètes, mais qui se révèlent magiques à mes yeux profanes et m’apportent des réponses et de nouvelles questions sur la grammaire espagnole. Et surtout, surtout, troisième révélation, après quelques pages laborieusement parcourues, mais avec acharnement : Don Quichotte, c’est drôle. Très drôle.

    Alors c’est décidé, je vais le lire, le Quichotte. Mais je vais commencer en français, quand même. Histoire de ne rien rater. Mais pour cela, il faut passer par une étape qui est déjà un choix engageant : la traduction.

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