Alors qu’elle est chez elle, Anna Thalberg est arrachée à son foyer par des hommes qui défoncent sa porte, l’attachent et l’emmènent sur leur charrette jusqu’à Wurtzbourg. Là-bas, enfermée dans la tour, elle apprendra qu’on l’a dénoncée comme sorcière, et que pour cela elle sera soumise à la question, jugée puis brûlée.
Ils entrèrent et l’enchaînèrent, sans un mot, sans une explication. Elle était accroupie devant le foyer à remuer les bûches quand deux hommes râblés et courtauds enfoncèrent la porte de la chaumière et se jetèrent sur Anna Thalberg qui, tel un gibier surpris par la battue, s’était levée d’un bond et, les yeux écarquillés, les vit s’approcher, lui ôter des mains la pique rongée par la rouille avec laquelle ele attisait le feu et brandir devant ses yeux intimidés le mandat d’arrêt portant le sceau de l’évêque comme un talisman, une amulette qui allait les protéger contre ses manœuvres et les autoriser à la soumettre, à lui attacher les mains dans le dos, à lui recouvrir la tête avec une vieille capuche et à la traîner à travers la foule des curieux qui s’étaient déjà amassés à l’extérieur, pour savoir ce qui se passait
pour regarder les hommes l’entraîner, la soulever en l’air et la jeter dans la charrette comme une botte de foin ou le sac de la cuisine dans lequel Anna avait pris trois pommes de terre peu avant, quand elle avait quitté son rouet afin de préparer le dîner de Klaus, de les peler pour préparer la soupe restée sur le feu que personne ne s’était soucié de retirer, ni les hommes qui l’avaient emmené sans crier gare, ni les voisins venus piller la misérable vaisselle dès que la charrette s’était éloignée
Découvrant l’absence d’Anna et sa chaumière sans-dessus-dessous en rentrant de sa journée de labeur, Klaus, son époux, partira à son secours accompagné du père Friedrich, le curé du village. Quel poids pourront avoir un pauvre hère, misérable journalier et un curé de campagne perdu et endeuillé contre l’évêque, son inquisiteur et son bourreau ?
Terrifiée et rabaissée, Anna ne comprend pas ce dont on l’accuse et espère, croit pouvoir se défendre, expliquer, prouver qu’elle est une bonne chrétienne, une bonne épouse et une femme simple. Mais ce qu’elle finira par comprendre, c’est que le verdict, pour le terrible examinateur Vogel, est déjà tombé, Anna brûlera, morte ou vive, mais personne, jamais, n’est ressorti de sa tour vivant.
Friedrich, effondré suite à la mort de son frère et portant à sa suite le souvenir de la mort de ses neveux, massacrés lors de guerres de territoires, s’engouffre dans ce sauvetage, pensant pouvoir lui aussi montrer à ces gens de bien, n’est-ce pas, que sa jeune ouaille est une brave personne. Se tournant vers les notables et puis l’évêque, il tirera toutes les ficelles, sans crainte et par amour, par foi, tandis que Klaus se laissera submerger par son propre mal.
Mais chacun découvrira que le Bien et le Mal sont loin d’être aussi figé, surtout dans l’Église catholique, surtout pendant la contre-réforme.
L’Allemagne n’a rien à envier à la célèbre Inquisition espagnole, et le nombre de mort-es par les flammes ou dans les geôles est terrifiant. Eduardo Sangarcía s’appuie sur des faits réels, les procès en sorcellerie de Wurtzbourg qui ont fait environ 900 victimes, pour conter l’histoire d’Anna Thalberg. Il le fait avec un style complètement envoûtant, qui parvient à mêler dans des phrases longues et parfois tortueuses comme le sont les pensées de ses personnages, chaque cheminement de chaque protagoniste, créant des ponts entre Anna, le confesseur, l’examinateur, l’évêque, Friedrich… Les croyances, la morale et les digressions des flux de pensées nous emmènent au plus profonds des motivations, faisant ressortir le dégoût, la violence, la naïveté, le doute. Doucement, Anna, qui ne vacillera pas, prendra des airs de prophétesse amenant aux yeux de certains cette vérité inacceptable sur les hommes qui les guident, l’examinateur, l’évêque, leur Dieu… Klaus perdra pied, le père Friedrich cherchera sa foi et se trouve confronté à d’autres qui réfutent sa parole.
Eduardo Sangarcía nous propose là un texte d’une portée assez violente qui rayonne de beauté. La dureté du fond, tu t’en doutes, lectrice, lecteur, ma nuit de Sabbat, les tortures et sévices infligées à Anna ne sont pas faciles à supporter, est surmontée par le cheminement incessant des pensées des protagonistes. Passant de l’un à l’autre dans une cascade poétique, toutes les voix se suivent et se mêlent pour donner corps à toutes les facettes de l’histoire d’Anna, de l’histoire des sorcières de Wurtzbourg et des fous qui, se disant de Dieu ont fait l’œuvre du Diable.
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Marianne Millon
Éditions La Peuplade
160 pages