En route pour aller rendre visite au pasteur Zack, le révérend Pearson et sa fille Elena tombent en panne au beau milieu de pas grand-chose, dans la province du Chaco au nord de l’Argentine. Par chance, un garagiste est dans les parages et s’attelle à la réparation. Mais celle-ci est laborieuse, le temps est long, et l’atmosphère se charge petit à petit d’électricité.
Le mécanicien toussa et cracha quelques glaires.
– Mes poumons sont pourris, dit-il, tandis qu’il passait le revers de sa main sur ses lèvres et se penchait une nouvelle fois sous le capot ouvert.
Le propriétaire de la voiture s’essuya le front avec un mouchoir et glissa sa tête à côté de celle du mécanicien. Il ajusta ses lunettes fines et regarda l’amas de tuyaux brûlants. Puis il regarda le mécanicien, d’un air interrogateur.
– Il va falloir attendre que les tuyaux refroidissent un peu.
– Vous pouvez la réparer ?
– Je pense, oui.
– Et ça va mettre combien de temps ?
Le mécanicien se redressa -il le dépassait d’une bonne tête- puis il leva les yeux au ciel. Bientôt, il serait midi.
– En fin d’après-midi, elle sera prête, je suppose.
– Il faudra que nous attendions ici.
– C’est comme vous voulez. On n’a pas le confort, comme vous voyez.
– Nous préférons attendre ici. Avec l’aide de Dieu, vous allez peut-être finir plus tôt que vous ne le pensez.
Le mécanicien haussa les épaules et sortit un paquet de cigarettes de la poche de sa chemise. Il lui en offrit une.
Le révérend et Elena d’un côté, El Gringo Brauer et Tapioca, son jeune aide de l’autre, ce sont deux mondes qui se rencontrent. Tombé dans la rivière et dans la foi au passage lorsqu’il était enfant, Pearson est devenu un prêcheur réputé et reconnu, un sauveur d’âme et dévoreur de péchés dans la communauté évangélique. Père célibataire depuis que sa femme est restée du mauvais côté de la portière, il élève Leni au fil de ses campagnes de prêche et d’évangélisation, en mouvement constant, fidèle berger qui rassemble ses brebis. El Gringo Brauer lui, semble aussi immobile que les carcasses des voitures qui entourent son garage. Sa seule religion tient au rythme des moteurs et à sa vie dans cette nature rêche et brutale dont il transmet les mystères à Tapioca, fils non-dit d’un coup d’un soir, que sa mère lui laisse un jour.
Tandis que les deux hommes se jaugent, les deux ados se trouvent dans leur solitude. Le vent soulève la terre sèche et, défiant les prévisions météo, poussent vers nos protagonistes des nuages noirs lourds d’un déluge aussi violent qu’attendu.
Pour ce premier roman, sorti chez nous en 2014, Selva Almada nous propose un huis-clos en plein air rempli de tension et d’une moiteur croissante. Homme de peu de mots et sans goût pour la religion, El Gringo Brauer voit d’un mauvais œil ce révérend bavard qui dispense ses grâces aux oreilles influençable de Tapioca. Le jeune garçon, peu loquace et sensible, trouve en effet un écho profond aux paroles du révérend, sentant une certaine lumière divine s’emparer de son cœur. Elena, elle, bien que profondément attachée à son paternel, est lasse de cette vie sur la route, sans amitié, sans attache, guidée par une foi qui semble tenir pour elle plus de l’habitude que de la croyance.
Un duel se met en place dans cette torpeur pré-tempête, au milieu des carcasses rouillées et des chiens, pour le salut des âmes et le désir de choisir sa voie.
Un excellent premier roman qui donne fort envie de découvrir les suivants (et compte sur moi pour m’y atteler^^), qui parvient en peu de pages à nous saisir dans ce western-maté riche d’une poésie aussi rude que pénétrante et qui cisaille la dureté de ses personnes à coup d’éclairs.
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba
Éditions Métailié
136 pages
Je vois le nom de l’autrice passer de temps en temps mais je ne m’y suis pas attardée. Cette fois-ci, je le note !
ça vaut le coup je trouve, les deux que j’ai lu, bien que différents (roman et non-fiction) étaient vraiment très très bien !
Bonjour,
Je pique ton lien pour le mois latino ! J’ai sur ma pile « Ce n’est pas un fleuve de cette auteure », mais je n’ai pas encore trouvé le temps de le lire..
Bonjour !
Il a l’air super, « Sur le fleuve » j’ai hâte d’y jeter un œil aussi, j’ai beaucoup aimé l’atmosphère qu’elle a créé dans celui-ci.
Je suis ton mois latino, c’est vraiment très chouette ^^