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  • Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler – Luis Sepúlveda

    Zorbas, un grand et gros chat noir, vit sa paisible vie de chat de port et d’appartement à Hambourg. Alors que ses maîtres sont partis en vacances, il a la surprise de voir atterrir sur son balcon en catastrophe Kengah, une mouette argentée recouverte de mazout. Ayant luttée jusqu’au bout pour trouver un refuge, la mouette usera de ses dernières forces pour pondre un œuf, et dans un ultime soupir, fera promettre à Zorbas de prendre soin de l’oisillon qui naîtra et de lui apprendre à voler.

    -¡Banco de arenques a babor!- anunció la gaviota vigía, y la bandada del Faro de la Arena Roja recibió la noticia con graznidos de alivio.
    Llevaban seis horas de vuelo sin nterrupciones y, aunque las gaviotas piloto las habían conducido por corrientes de aires cálidos que hicieron placentero el planear sobre el océano, sentían la necesidad de reponer fuerzas, y qué mejor para ello que un buen atracón de arenques.
    Volaban sobre la desembocadura del río Elba, en el mar del Norte. Desde la altura veían los barcos formados uno tras otro, como si fueran pacientes y disciplinados animales acuáticos esperando turno para salir a mar abierto y orientar allí sus rumbos hacia todos los puertos del planeta.

    -Banc de harengs à bâbord ! annonça la vigie et le vol de mouettes du Phare du Sable Rouge accueillit la nouvelle avec des cris de soulagement.
    Il y avait six heures qu’elles volaient sans interruption et bien que les mouettes pilotes les aient conduites par des courants d’air chaud agréables pour planer au-dessus de l’océan, elles sentaient le besoin de refaire leurs forces, et pour cela quoi de mieux qu’une bonne ventrée de harengs.
    Elles survolaient l’embouchure de l’Elbe dans la mer du Nord. D’en haut elles voyaient les bateaux à la queue leu leu, comme des animaux marins patients et disciplinés, attendant leur tour pour gagner la pleine mer et là, mettre le cap vers tous les ports de la planète.

    Traduction Anne-Marie Métailié

    Zorbas n’a qu’une parole, et il compte bien la tenir. Mais le voilà malgré tout dans l’embarras. Comment prendre soin de cet œuf jusqu’à son éclosion ? Comment s’occuper d’un poussin ? Et surtout, comment apprend-on à voler ? Il s’attèlera à cette tâche avec l’aide de ses fidèles compagnons Colonello, Secretario, Sabelotodo et Barlovento et affrontera de nombreux dangers pour protéger son oisillon jusqu’à ce que l’appel des airs soit le plus fort.

    N’en doute pas, c’est encore une bien belle et touchante histoire que nous narre là le grand conteur chilien. Notre bande de chats des quais hambourgeois détonne et amuse. Zorbas notre héros, en vieux mâle casanier mais brave et fidèle ; le duo du restaurant italien Colonello et son aide Secretario ; Sabelotodo, qui se repaît de la lecture des nombreux tomes d’un encyclopédie universalis, lui donnant l’aura d’un sage auprès de ses compagnons ; Barlovento, chat des mers et fin connaisseur des peuples des airs. Il faudra affronter d’autres chats, moqueurs et bagarreurs ; de terribles rats (et la terrible succession des roulements et raclements castillans des ‘r’ et ‘j’ pendant la lecture en VO décrivant « los ojos rojos del jefe de las ratas »…), et enfin savoir en qui faire confiance pour accomplir l’acte final, et accompagner la petite mouette vers son destin.

    La protection de l’environnement, l’importance de l’amitié et de l’entraide, la force de la poésie et de l’imaginaire, on retrouve ici tous les thèmes chers à Sepúlveda dans un roman aussi amusant que touchant.

    Éditions Métailié / Tusquets editores (illustrations Miles Hyman)
    Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié
    118 pages / 135 pages

  • Histoire d’un chien mapuche – Luis Sepúlveda

    C’est l’histoire d’un chien qui accompagne un groupe d’hommes blancs, dans les montagnes et la forêt. Ce groupe d’hommes en cherchent un autre, et le chien doit le traquer. Un « indien ». Mais si le chien, attentif et inquiet, cherche le jeune Mapuche, ce n’est pas pour les mêmes raisons que les hommes.

    La manada de hombre tiene miedo. Lo sé porque soy un perro y el olor acido del miedo me llega al olfato. El miedo huele siempre igual y da lo mismo si lo siente un hombre temeroso de la oscuridad de la noche, o si lo siente waren, el ratón que come hasta que su peso se convierte en lastre, cuando wigña, el gato del monte, se mueve sigiloso entre los arbustos.
    Es tan fuerte el hedor del miedo de los hombres que perturba los aromas de la tierra humeda, de los árboles y de las plantas, de las bayas, de los hongos y del musgo que le viento me trae desde la espesura del bosque.
    El aire también me trae, aunque levemente, el olor del fugitivo, pero él huele diferente, huele a leña seca, a harina y a manzana. Huele a todo lo que perdí.
    – El indio se oculta al otro lado del río. ¿No deberíamos soltar al perro? – pregunta uno de los hombres.
    – No. Está muy oscuro. Lo soltaremos con la primera luz del alba – responde el hombre que comanda la manada.

    La troupe d’hommes a peur. Je le sais parce que je suis un chien et que l’odeur acide de la peur arrive à mon odorat. La peur sent toujours de la même manière, que ce soit un homme qui a peur dans l’obscurité de la nuit, ou waren, le rat qui mange jusqu’à ce que son poids devienne un fardeau, lorsque wigña, le chat sauvage, avance en secret parmi les broussailles.
    La puanteur de la peur des hommes est si forte qu’elle trouble tous les parfums de la terre humide, des arbres et des plantes, des baies, champignons et mousses que le vent m’apporte depuis le fond de la forêt.
    L’air m’apporte aussi très légèrement l’odeur du fugitif, mais elle est différente, elle sent le bois sec, la farine et la pomme. Elle sent tout ce que j’ai perdu.
    – L’Indien se cache sur l’autre rive. On ne devrait pas lâcher le chien ? demande l’un des hommes.
    – Non. Il fait trop noir. On le lâchera aux premières lueurs de l’aube – répond l’homme qui commande la troupe.

    Traduction Anne-Marie Métailié

    Avec ce roman, Luis Sepúlveda veut d’abord rendre hommage aux histoires que lui racontaient ses grands-parents, et notamment un grand-oncle Mapuche. Des histoires de renards, de condors, de chats sauvages et autres animaux, contées aux enfants en mapudungun. Bien que ne comprenant pas la langue, Sepúlveda comprenait les histoires et y trouvait une partie de son héritage, lui-même Mapuche. Il nous ramène donc sur les terres de son enfance, de ses ancêtres, en Araucanie, la terre des Mapuches, des « Gens de la Terre ».
    Le chien Afmau, Loyal, a été sauvé par nawel, le jaguar, alors qu’il n’était qu’un pichitrewa, un chiot perdu dans la montagne. Déposé par nawel dans un village mapuche, il grandit auprès de Aukamañ, son frère-homme. Le petit garçon et le chiot deviennent vite inséparable, mais un beau jour, un groupe armé surgit dans le village et bouleverse leur vie. Aukamañ en fuite, le chien est capturé par les hommes blancs. Alors qu’il doit traquer un homme blessé, Loyal reconnaît l’odeur de sa jeunesse et des belles années auprès de son presque frère. Il n’aura de cesse de vouloir le retrouver pour le sauver.

    Comme nous l’avions vu avec Histoire d’un escargot… Luis Sepúlveda ne craint pas de raconter la dureté, voire la violence de la vie aux enfants, toujours avec beaucoup de sagesse et de philosophie. Il raconte ici, à hauteur de chien, l’histoire de la spoliation des terres des Mapuches, l’assassinat et la traque des peuples indigènes et leur révolte pour faire valoir leurs droits. Il nous transmet aussi, en parsemant le récit d’Afmau de mots mapudungun, la manière de voir des Mapuches, leur rapport à la terre, à la nature et aux autres. Très critique sans non plus tomber dans l’essentialisation d’un combat nature/civilisation, Sepúlveda décrit l’injustice, le combat pour la vie, l’amitié, la loyauté et l’importance de vivre avec le monde plutôt que contre lui. Tu vas pleurer, lectrice, lecteur, ma küdemallü, mais ce sera beau, comme toujours.

    Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié
    Éditions Métailié
    98 pages

  • Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur – Luis Sepúlveda

    Dans la prairie vivent de nombreux animaux, bercés par le vent, la rosée et les rayons de soleil. Parmi eux, une petite colonie d’escargots se sent proche du paradis dans la région du Pays des pissenlits, où cette nourriture si délicieuse présente en abondance les enchante. Mais l’un d’eux pourtant, se pose des questions. Pourquoi eux, escargots, sont-ils si lents ? Et pourquoi n’ont-ils pas chacun un nom qui leur soit propre ? Empli de questions et se heurtant au mur de ses congénères, notamment les plus âgés d’entre eux, notre petit escargot va entamer un périlleux voyage jusqu’aux limites du pré pour trouver les réponses à ses questions.

    En un prado cercano a tu casa o la mía, vivía una colonia de caracoles muy seguros de estar en el mejor lugar que pueda imaginarse. Ninguno de ellos había viajado hasta los lindes del prado, y mucho menos hasta la carretera de asfalto que empezaba justo donde crecían las últimas briznas de hierba. Y como no habían viajado, no podían comparar y, así, ignoraban que para las ardillas el mejor lugar estaba en la parte más alta de las hayas, o que para las abejas no había lugar más placentero que los panales de madera alineados en el otro extremo del prado. Los caracoles no podían comparar y no les importaba, pues para ellos aquel prado, en el que alimentadas por las lluvias crecían en abundancia las plantas de diente de león, era el mejor lugar para vivir.

    Dans un champ près de ta maison et de la mienne vivait une colonie d’escargots certains de se trouver au meilleur endroit possible. Aucun n’était allé jusqu’aux limites du pré et encore moins jusqu’à la route goudronnée qui commençait juste à l’endroit où poussaient les derniers brins d’herbes. Comme ils n’avaient pas voyagé, ils ne pouvaient pas faire de comparaison et, ainsi, ils ignoraient que pour les écureuils le meilleur endroit se trouvait dans la cime des hêtres, ou que pour les abeilles il n’y avait pas d’endroit plus agréable que les ruches de bois alignées à l’autre extrémité du champ. Ils ne pouvaient pas comparer et cela leur était égal, car pour eux ce champ arrosé par les pluies où poussaient en abondance les dents-de-lion – les pissenlits- était le meilleur endroit pour vivre.

    Traduction Anne-Marie Métailié

    Ahlala, lectrice, lecteur, ma fleur de pissenlit partie dans le vent, quelle histoire que celle de ce petit escargot ! Bien installé au milieu des acanthes et des pissenlits, il n’est pourtant pas serein, traversé par ses questions qui lui semblent primordiales. Menacés d’exil par ses camarades s’il continue à les embêter, il prend le taureau par les cornes (d’escargot) et part de lui-même, décidé à ne revenir que quand il saura. Mais comme un pré, aussi petit soit-il, est un territoire immense à hauteur et vitesse de gastéropode ! Il rencontrera d’abord un hibou, puis une tortue qui, riche de son expérience aussi belle que tragique auprès des humains, saura lui apporter des pistes de réflexion à lui qui, à l’abri de ses pissenlits, ne connaît que peu du monde. Mais ce périple prendra une tournure dramatique lorsqu’il découvrira la terrible menace qui s’apprête à s’abattre sur le pré. Il lui faudra bien tout son courage pour prévenir et convaincre les siens et les autres, et entamer un nouveau voyage vers l’inconnu.

    Avec sa poésie légère et profonde, teintée d’une mélancolie qui te mettra la larme à l’œil plus souvent qu’à ton tour, Luis Sepúlveda nous emmène dans un récit initiatique semé d’embûches, de rencontres et d’obstacles, une aventure qui fera émerger chez notre petit héros les valeurs profondes qu’il porte en lui et la violence aveugle de son environnement. Entre rester chez soi les yeux fermés en niant l’inévitable ou tenter malgré tout de se battre et survivre, trouver le courage de s’opposer, de créer quelque chose de nouveau, l’escargot a choisi.

    Comme notre petit escargot, gardons bien en tête que de soi-disant défauts peuvent devenir les plus grands atouts, et que c’est en interrogeant le monde ensemble qu’on peut le comprendre.

    Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié
    Éditions Métailié
    96 pages

  • Un amour hors du temps – Carmen Yañez

    Carmen a quinze ans lorsqu’elle rencontre pour la première fois Luis, alias Lucho, un ami de son grand frère. Elle se sait déjà poétesse et lui était intrigué. Ce sera l’amour, le vrai. Un amour pas complètement accepté par sa famille à elle, qui voit d’un mauvais œil ce garçon avec des ascendances indigènes, un peu bohème et déjà militant. Peu leur importe. Ils forceront le destin, se marieront, auront un enfant. Mais un 11 septembre, c’est le destin du Chili qui sera forcé par les armes. Ce sera la résistance, la lutte, l’emprisonnement, la torture et l’exil. Cette vie incroyable, dont ce résumé n’est que le début, n’est pas un roman. C’est celle de Carmen Yáñez et Luis Sepúlveda.

    L’an 2020, la pandémie arriva en Espagne et toucha notre maison en l’endeuillant à jamais, emportant mon Lucho, mon point de référence dans le monde, mon complice, mon amour, mon compagnon.
    J’écris pour avoir et conserver la mémoire, parce que sans elle il n’est pas de futur, j’écris pour ne pas oublier que la terreur de l’enfer est ici, coexiste avec nous, est un éternel combat fratricide entre le bien et le mal, et nos seules armes sont cette feuille blanche qui espère recueillir et transmettre des histoires fantastiques capables de nous faire connaître d’autres réalités, d’autres rêves plus ou moins semblables aux nôtres, et une plume qui puisse rétablir la justice et l’équité ; et parce que les histoires ne suffisent pas à raconter la pulsation, l’intimité, les clairs-obscurs des événements confrontés aux petites choses dont se nourrit la vie, au quotidien du temps et de l’espace.

    Je ne te présente pas Luis Sepúlveda, tu dois le connaître au moins de nom, et tu as peut-être même étudié Le vieux qui lisait des romans d’amour au collège. Moi, je l’ai connu comme ça, et figure-toi qu’il est toujours étudié, ce roman, et ça me fait chaud au cœur. Si le romancier chilien est extrêmement connu et populaire, on connaît moins Carmen Yáñez, la poétesse chilienne qui a été deux fois sa femme. Une première fois lorsque l’espoir au Chili portait le nom de Allende. Les deux amoureux, convaincus par le programme et la vision du candidat puis président chilien, ont voulu voir dans sa présidence les racines d’une nouvelle société. Mais le 11 septembre 73, sous le bruit des bottes et le rugissement des avions, le rêve s’effondre. Quelques années plus tard, c’est leur couple qui s’éloigne, la clandestinité et la résistance ne laissant pas de place pour autre chose. Entre les moments tendres et intimes, les oppositions familiales et les voyages, elle raconte l’histoire d’une jeunesse qui s’est vue brisée en plein élan. Elle raconte les coups rageurs des militaires contre les portes à l’aube, les arrestations, les disparus qui s’égrainent sur un mauvais air. Elle raconte la Villa Grimaldi et la torture. Puis l’exil.
    Vingt ans plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, à coup de téléphone et de courrier, les liens se retissent entre les deux anciens amoureux, et c’est le début d’une nouvelle histoire. Chacun a fondé une famille, en Suède ou en Allemagne, et pour leur seconde vie, celle qui mettra un terme à l’exil, qui créera un nouveau foyer de joie, de chaleur et de littérature, ils choisissent les Asturies, Gijón, la langue.

    Un amour hors du temps, hors des frontières, loin d’un pays qui n’existe plus et dans un monde qui oscille, qui vacille entre révoltes sociales et politiques réactionnaires. Alors que le Chili ne sait plus sur quel pied danser, que dans de nombreux pays les crimes des dictatures militaires sont remis en question voire justifiés, le récit de Carmen Yáñez est un témoignage indispensable sur ce que font les dictatures, de la fragilité des peuples et de la puissance de la littérature. Luis Sepúlveda Calfucura a porté dans son œuvre cette lutte et les valeurs qui l’ont enflammé, qui l’ont fait emprisonné, torturé et poussé à l’exil. Un amour hors du temps est un hommage émouvant à cet écrivain majeur de la littérature mondiale, à un amour qui a pu transcender les obstacles et le portrait d’une femme touchante, puissante, qui a pris le risque de tout perdre, d’une poétesse qui continue de porter dans son œuvre son histoire et de transmettre celle de Luis Sepúlveda. Un morceau de vie et d’histoire qui rappelle combien l’intime, l’art et la politique s’entrechoquent, et qu’il faut lire, lire et lire.

    Traduit de l’espagnol (Chili) par Albert Bensoussan
    Éditions Métailié
    168 pages

  • Le monde du bout du monde – Luis Sepúlveda

    Jeune garçon, notre narrateur est parti seul, guidé par Moby Dick, sur un baleinier qui traquait, harpon sur le pont, le cachalot dans les fjords, canaux et baies qui déchirent la côte chilienne depuis le détroit de Magellan jusqu’à Chiloé. Lorsqu’il apprend, quelques décennies plus tard et depuis l’autre côté du monde, qu’un bateau-usine connu des associations écologiques comme destructeur de baleines sans foi ni loi a été repéré dans ces mêmes eaux, le retour tant repoussé dans son pays natal devient une nécessité.

    « Appelez-moi Ismaël… appelez-moi Ismaël… » Je ne cessais de me répéter cette phrase en attendant dans l’aéroport de Hambourg, et je sentais qu’une force extraordinaire rendait mon mince billet d’avion plus lourd, toujours plus lourd à mesure que l’heure du départ approchait.
    J’avais passé le premier contrôle et j’arpentais la salle d’embarquement, accroché à mon sac de voyage. Je ne l’avais pas rempli exagérément : un appareil photo, un carnet de notes et un livre de Bruce Chatwin, En Patagonie. J’ai toujours détesté les gens qui soulignent ou mettent des annotations dans les livres, mais dans celui-là mots soulignés et points d’exclamation s’étaient accumulés au bout de trois lectures. Et je comptais le lire une quatrième fois pendant le vol Hambourg-Santiago du Chili.
    J’avais toujours voulu retourner au Chili. Oui, je le voulais vraiment, mais au moment de la décision la peur l’emportait, et le désir de retrouver mon frère et les amis que j’ai là-bas était devenu une promesse en laquelle je croyais de moins en moins à force de l’avoir trop répétée.

    Il suffit parfois de quelques pages, à peine une centaine, et un talent monstre pour évoquer des thèmes si forts, si grands et complexes avec autant de finesse et d’acuité.
    Notre journaliste, lassé de traiter de sujets ne concernant qu’une partie et qu’une vision du monde, s’est spécialisé dans l’actualité et les luttes écologiques et environnementales, notamment si elles sont l’effet des exactions des pays riches sur les pays pauvres. Quand il apprend que 18 marins du bateau-usine Nishin Maru sont morts dans les eaux de Magellan, il flaire, et Greenpeace avec lui, le scandale d’une pêche illégale à la baleine. Cette baleine qui l’a tant fait rêver jeune garçon qu’a 16 ans il est parti seul de Santiago pour la Patagonie, embarquer sur un baleinier espérant s’appeler pour quelques heures Ismaël.
    Ce retour au Chili n’est pas uniquement une replongée dans ses souvenirs d’enfance ou une enquête journalistique sur la violence de l’exploitation sans vergogne ni limite de la nature par l’être humain, rongé par l’appât du gain. C’est aussi une confrontation avec un trou, un fjord personnel, un récif de sa vie. Il y a le pays quitté, le pays rejeté, le pays rêvé, le pays attendu, le pays espéré. Et puis il y aura celui qui sera sous ses pieds, à la descente de l’avion.

    Il faut en effet tout le talent de Luis Sepúlveda pour réussir à mêler avec autant de profondeur et d’émotion tous ces thèmes, et nous les faire ressentir si fort en si peu de temps. On retrouve bien sûr sa rage contre le capitalisme et ses aficionados, la violence aveugle qu’il inflige sans distinction à la faune et la flore, les paysages et les personnes, le massacre des peuples indigènes de Patagonie et leurs connaissances, leur rapport si particulier avec ce paysage déstructuré et fascinant. Et bien évidemment l’exil, cet arrachement provoqué lui aussi par la folie financière, le moloch du capital et son tranchant politique, la dictature militaire qui vole un pays, des vies par milliers et l’espoir d’un autre monde assassiné dans la fleur de l’âge.

    Il y a beaucoup d’émotion dans ce court roman, grand par sa force, sa modernité et son universalisme. Il faudrait toujours revenir à Sepúlveda pour nous remettre en tête que nous sommes la force du changement, nous rappeler que la violence colonialiste, le néo-libéralisme et leur égoïsme, leur avidité mortifères se trouvent beaux dans un miroir.

    Un texte à compléter par le (re)visionnage du merveilleux Le bouton de nacre, de Patricio Guzmán (et du reste de sa trilogie chilienne)

    Traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero
    Éditions Points/ Métailié
    123 pages