Il existe, au cœur de la Sérénissime, une ancienne maison appelée Maison des Jeux. Les joueurs qui y entrent peuvent y perdre menues et grandes fortunes sur diverses tables de la Basse Loge. Certain·es, très peu, sont invité·es à rejoindre la Haute Loge. Là, le jeu est différent, et les enjeux plus grands.
Thene, fille d’un marchand et d’une Juive, a fait un mariage bien peu heureux. Son époux Jacamo, frivole et joueur, dilapide la fortune de sa femme et la traite au mieux comme une inconnue, au pire comme la source de ses malheurs. Il l’emmène un jour avec lui à la Maison des Jeux. Tandis qu’il se ridiculise et boit, Thene joue. Remarquée, elle est invitée à rejoindre la Haute Loge où lui est proposé de prendre part à une partie dont l’enjeu pour les pions est le contrôle de la ville.
1.
La voilà enfuie, la voilà enfuie. Le denier tourne et la voilà enfuie.
2.
Venez.
Observons ensemble, vous et moi.
Nous écartons les brumes.
Nous prenons pied sur le plateau et effectuons une entrée théâtrale : nous voici ; nous sommes arrivés ; que fassent silence les musiciens, que se détournent à notre approche les yeux de ceux qui savent. Nous sommes les arbitres de ce petit tournoi, notre tâche est de juger, restant en-dehors d’un jeu dont nous faisons pourtant partie, pris au piège par le flux du plateau, le bruit sec de la carte qu’on abat, la chute des pions. Pensiez-vous être à l’abri ? Croyez-vous représenter davantage aux yeux du joueur ? Croyez-vous déplacer plutôt qu’être déplacé ?
Comme nous sommes devenus naïfs.
Entrer dans ce livre, c’est soulever une lourde tenture de velours qui donne sur une pièce immense, toute de marbre et de colonnes, de rideaux et d’ombres baignant dans des volutes de brume. Une narratrice (ainsi en ai-je décidé en entamant le livre) nous guide dans cette histoire, témoin distant que nous sommes, et nous présente les personnages, les décors, le contexte. Les règles d’un jeu grandeur nature et très réel dans lequel nous allons accompagner Thene comme son ombre, nous glissant avec elle dans les recoins de la ville, l’observant depuis l’autre rive se battre et sinuer. Elle va jouer pour un autre, mais aussi et surtout pour elle, sa fierté, sa liberté, autant d’enjeux sans doute beaucoup trop grands, car comme le lui dit Argent lors de son arrivée à la Maison des Jeux « Au nom du ciel ne jouez pas pour le plaisir, pas encore ; pas alors qu’il existe tant d’enjeux moins important en lesquels investir »
Pour gagner sa partie, Thene va être munie de cartes de tarot lui permettant de faire appel à d’autres personnes qui pourront lui apporter soutien et informations. Des personnes endettées d’une manière ou d’une autre auprès de la Maison des Jeux et qui peuvent y laisser la vie, si leur joueur place un mauvais coup. Jeu dans le jeu, Thene sent que sa place même dans la partie est un morceau d’une autre, qui se déroule ailleurs.
Avec cette magnifique novella sur les manipulations politiques et les jeux de pouvoir, Claire North sait non seulement tisser son intrigue avec une finesse tranchante mais aussi nous y plonger par cette narration qui s’adresse directement à nous et nous place dans ce rôle étrange d’arbitre d’un jeu de pouvoir dont les règles se dévoilent au fur et à mesure que le jeu se déroule.
Une novella qui entame superbement ce qui devrait être une trilogie passionnante !
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Michel Pagel
Le Bélial
154 pages