La petite Kahu naît au sein d’une famille qui l’attendait avec amour et impatience. Première fille de l’aîné des petits-fils du chef Koro Apirana, son arrivée suscitait beaucoup d’espoir chez ce dernier, qui souhaite transmettre l’histoire, la langue et les coutumes de son peuple à cet enfant. Seulement, il aurait préféré de loin que Kahu soit un garçon.
Après le décès de sa mère, quelques mois après sa naissance, c’est sa famille maternelle qui élève Kahu dans les premières années de sa vie. Lorsqu’elle rend visite à la famille paternelle, son oncle Rawiri, et ses arrière-grands-parents Nany Flowers et Koro, tout ce petit monde s’extasie et la joie fuse de toute part. Sauf chez Koro, qui rejette la fillette en bloc, alors que celle-ci l’adore. Elle le cherche, l’appelle, le suit, elle court après son amour malgré la brutalité de ses réactions. Et tandis que la petite grandit, Koro cherche parmi les autres enfants (mâles) des villages, celui qui sera digne de sa succession.
Dans les temps anciens, dans les années qui nous ont précédés, la terre et la mer éprouvèrent un sentiment de grand vide et d’ardent désir. Les montagnes semblaient mener droit au paradis, et la forêt humide, vert et luxuriante ondoyait comme une cape multicolore. Les remous du vent et des nuages animaient les cieux iridescents, où se reflétait parfois le prisme d’un arc-en-ciel ou d’une aurore australe. La mer chatoyante et moirée se fondait dans la voûte céleste. C’était le puits du bout du monde ; quand vous le regardiez, vous aviez l’impression de voir les limites de l’infini.
N’allez pas pour autant penser que la terre et la mer étaient dénuées de vie et d’énergie. Le tuatara, l’ancien lézard doté d’un troisième œil, veillait sur les lieux sans jamais ciller au soleil ; il guettait l’est et attendait. Des groupes de moa géants sans ailes patrouillaient l’île du Sud. Au creux du vent tiède des forêts, les kiwis, weka, et autres oiseaux furetaient en quête de huhu ou d’insectes tout aussi succulents. Les bois résonnaient de craquement d’écorce, de bavardages de cigales eu du murmure des ruisseaux poissonneux. Parfois, la forêt se taisait subitement et, dans l’humidité des sous-bois, on entendait le rire du peuple enchanté en filigrane, comme un glissando pétillant.
Lectrice, lecteur, ma sirène, prépare-toi à avoir le cœur brisé ! On plonge dans ce beau roman au cœur d’une histoire familiale lumineuse qui se niche au creux d’une mythologie fascinante. La tribu de la famille de Kahu descend d’un autre Kahu. Kahutia Te Rangi, le chevaucheur de baleines, dont l’une des sagaies créatrices reste en suspens dans les cieux, attendant que son peuple en ait besoin. C’est donc un certain affront pour Koro, grand-père et avant tout chef de tribu, détenteur de l’histoire et des traditions maories, que sa petite-fille porte ce noble patronyme. Parce que la transmission se fait d’homme à homme, de père en fils dans l’idéal. Pourtant, Kahu est folle de son grand-père, et la culture maorie la fascine. Est-ce par intérêt propre ou pour attirer l’attention de son grand-père ? Toujours est-il que la petite a le cuir solide face au rejet de son Koro, qui passe non seulement à côté d’une enfant incroyable, mais aussi à côté d’une part de l’histoire et de la mythologie de sa tribu. Car bien sûr, la petite Kahu possède une sensibilité et une intuition bien peu ordinaires.
C’est donc un bien beau roman que celui-ci, qui nous plonge dans l’histoire d’une famille maorie à travers les yeux d’un jeune homme lui-même à cheval entre les traditions et les attentes, et le rythme de la vie mondialisée. Comprenant les griefs de son grand-père, il ne peut cependant pas s’empêcher de souhaiter que celui-ci se détache de ses a-priori. Il sent vaciller les ancrages traditionnels sous le poids de la « modernité », mais celle-ci ne fait peut-être finalement pas le poids devant certains phénomènes. Ici, ce sont des échouages dramatiques de baleines qui vont venir mettre à l’épreuve la foi et l’assurance de chacun.
Witi Ihimaera nous raconte un conte profond et sensible sur la place des cultures traditionnelles, ce qu’elles ont à apporter et ce qu’elles peuvent poser comme limite, tout en nous donnant un morceau de mythologie maorie d’une grande poésie. Le tout dans une langue légère et scintillante, qui transformera tes larmes en poussière d’étoile.
Haumi e, hui e, tāiki e.
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol
Au vent des îles
157 pages