Il y a elle, la narratrice, une artiste belge qui vient d’une (très) grande famille (très) catholique. Il y a la petite sa fille, à l’âge indéterminée et la gouaille affirmée. Et il y a Baptiste, l’amoureux. Autour de tout ça, une galerie de personnages et surtout beaucoup d’aventures banales du quotidien, des réflexions, des questionnements et des angoisses, que nous conte Aurélie William Levaux.
Je me suis assise à une terrasse près de la gare de l’Est pour écrire. C’était pas très original, je passais ma vie à faire ça, écrire, et attendre, et écrire que j’attendais. Un gars m’a demandé une cigarette, puis un autre du fric et un troisième derrière, du feu. Le premier est resté planté devant moi pour fumer, il a fit qu’il détestait les pages blanches, qu’il fallait que je parle de lui, de nous, de la ville, mais de lui surtout. Je serai ton influe, il a dit. Il tenait une cannette de bière entre ses doigts dégueulasses. Les hommes aux cannettes m’aiment bien en général, ou c’est moi qui les attire, à trop les observer, ils me font penser à mon ancien mari. J’ai dit que je ferai ça, que j’écrirai sur lui, et qu’il sera mon influe si seulement il me laissait écrire seule. Il a répondu que mes yeux étaient comme l’azur, comme le ciel. J’ai regardé le ciel. Il était gris sale, gris pisseux, couleur dépression. Mon café est arrivé. Le serveur m’a dit que c’était cinq euros et j’ai failli m’étrangler. J’ai expliqué que j’étais belge, et qu’en Belgique, dans les bars de bord de gare, c’était moins cher. Lui, le serveur, ça l’a fait exploser de rire, et il a dit qu’il connaissait bien la Belgique, parce qu’il était congolais. Et j’ai dit que oui, on avait une belle et grande histoire en commun, tu parles, et il a ri encore plus fort. Et puis je me suis pelée les miches devant mon café à cinq euros en réfléchissant à ma vie, pour changer.
Viens te balader dans ce qui pourrait être un journal intime, une chronique d’un quotidien ma foi plutôt banal et pourtant plein de surprises. Car là où Aurélie William Levaux parvient à faire de ces anecdotes personnelles une curiosité littéraire, c’est en jouant sur des détails qui donnent une profondeur tout autre. Une chute inattendue, un fil tiré dans une direction surprenante, et c’est tout un flot d’émotions qui se découvre brutalement. Des repas de famille, des jeux avec la petite sa fille, une discussion, une prise de tête, un moment de déprime ou un trajet, tous ces moments répétitifs voir ennuyeux prennent une nouvelle dimension. Aurélie William Levaux prend sa journée, son entourage, ses problèmes et les plie pour en faire des oiseaux en papier, des bateaux, des avions, exposant des crêtes et des ombres que nous n’imaginions pas, des complexités, des subtilités qui surgissent sous son regard pointu et attentif.
Bataille (pas l’auteur) se dévore goutte à goutte, tantôt iridescent tantôt un peu amer, mais des gouttes pleines de surprises, souvent drôles, qui donne un nouvel éclat aux petites choses qui se cachent dans les petites choses.
Éditions Cambourakis
208 pages