Elles sont filles ou fiancée de narcos, mère ou sœur de mortes, tueuses à gages, ou encore mortes. Elles sont 13 et nous parlent, nous racontent leur histoire.
Je me suis assise sur la cuvette, j’ai pissé sur le test de grossesse, et j’ai attendu la plus longue minute de ma vie. Positif. J’ai eu une crise d’angoisse et juste après une timide bouffée de joie : je me suis caressée le ventre avec tendresse. Chaque fois que j’avais vu ce genre de scènes, la nana qui scrute son test de grossesse dans les toilettes, ça m’avait semblé pathétique. « Ca aussi, c’est pathétique », j’ai epnsé. Même si pour être honnête, j’ai l’habitude d’être pathétique, c’est peut-être pour ça que je m’identifie a des personnages comme Jessica Jones ou Penny Lane dans Presque célèbre. Je me suis relevée, j’ai passé mon visage sous l’eau et je suis sortie des toilettes pour aller m’écrouler sur le lit.
J’ai uen certaine capacité à encaisser les mauvaises nouvelles.Certains vous diront que je les ignore, mais pas du tout, c’est juste que j’ai tellement la poisse que c’est pas crédible. J’ai été cocufiée, attaquée en pleine rue, mes animaux de compagnie sont tous morts empoisonnés ou écrasés, je ne connais pas mon père et j’ai perdu ma mère il y a quelques années. Et maintenant, dans le tiroir de droite de mon bureau, j’ai un test de grossesse avec deux lignes roses. J’ai fait une prise de sang pour confirmer. Positif. Je ne savais pas, moi, que les tests en vente libre ne pouvaient être faux que quand ils sont négatifs, jamais quand ils sont positifs. Je n’étais pas prête à donner naissance à un enfant dans ce monde de merde.
Faux recueil de nouvelles et vrai roman ? Si chaque histoire est bien séparée des autres par cette page noire et son titre en gras, au fil de la lecture on retrouve des résonnances, un autre point de vue sur l’historie déjà contée par la précédente. La première a voulu venger son amie lâchement et sauvagement assassinée par son petit ami, on trouvera quelques pages plus loin le récit de l’amie, celui de la garde du corps, et d’autres encore. Page après page c’est une narration globale qui se tisse, rassemblant toutes les histoires en une grande, celle de celles qui ont été dévorées, de celles qui ont décidé que ça suffisait. Contre les hommes et sans l’aide de Dieu, elles n’ont qu’elles pour se défendre, se venger, se faire entendre. Yuliana, furieuse devant l’inaction de son puissant paternel face au meurtre de son amie prendra les choses en main. La China, sa garde du corps, venue de rien et maintenant tueuse au sang froid pour l’un des plus puissants narcos, raconte son ascension. Une femme amoureuse de son prêtre perd pied, une autre veut se venger de sa voisine et du chien qui chie dans son jardin. Une jeune travailleuse des maquiladoras de Ciudad Juarez ressuscite pour se venger de ses meurtriers, et venger toutes les autres avant elle, et les suivantes.
On pensera à La saison des ouragans, de Fernanda Malchor pour la thématique et le côté choral, aussi aux Jeunes mortes, de Selva Almada (d’ailleurs cité) ou encore plus à Des os dans le désert de Sergio González Rodríguez (dont je ne t’ai pas parlé ici, mais ça viendra sans doute). Le sujet des violences faites aux femmes dans la littérature latino est assez prégnant ces derniers temps, et Dahlia de la Cerda vient y ajouter sa pierre avec un style et une force toute particulière. Avec cette adresse directe au lecteur-ice, elle nous entraîne dans un dialogue, ou plutôt un entretien, une conversation avec celles qui sont en première ligne. Les féminicides au Mexique atteignent des niveaux insupportables, notamment dans les régions frontalières avec les États-Unis (il faudra vraiment que je te parle de Des os dans le désert, à ce sujet), et Dahlia de la Cerda exhibe les (potentielles) victimes dans ce texte, mais des victimes qui n’ont pas l’intention de mourir sans arracher quelques morceaux au passage, des femmes qui ont bien compris les codes et qui, dès qu’elles en ont la possibilité, vont les habiter et jouer avec pour venir mettre à terre la destinée macabre qui les attend. Hargneuses et décidées, les protagonistes de ces histoires ne s’en laissent pas compter, quitte à repousser la mort pour faire payer aux vivants.
Au rythme des corredores et de la cumbia qui donnent le tempo des événements, Dahlia de la Cerda met sur le devant de la scène celles qui sont constamment invisibilisées, ignorées, résumées à une place de vierge ou de putain, de victime ou de marâtre, bâillonnées, tuées et nous apporte sur un plateau punk-goth leurs paroles, à coups de crosses et de reggaeton, et c’est très bien !
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron
Éditions du Sous-sol
240 pages