Les bons voisins – Nina Allan

Cath a grandi sur une petite île au large de Glasgow,l’île de Bute, reliée au continent (lol) par les allers-retours d’un ferry. Elle y a passé son enfance et son adolescence aux côtés de Shirley, sa meilleure copine, à la mère effacée et au père violent. Jusqu’à ce que la police retrouve Shirley, sa mère et son petit frère morts, assassinés à coups de fusil, et la voiture du père encastrée dans un mur, plus loin, le père mort, dedans, comme déclaration de culpabilité.

« Tu es sûre que tu veux toujours y aller ? dit Cath. Ton père va piquer sa crise.
Il est sur le continent toute la journée, dit Shirley, alors il n’en saura rien, pas vrai ?
Elle pinça les lèvres et se pencha vers la glace. Son image jumelle flotta à sa rencontre et leurs bouches se touchèrent presque. Shirley s’était mis du rouge à lèvres, une teinte quasi violacée appelée Victoria. A cause de la prune Victoria, supposa Cath, ou peut-être de la reine Victoria. Mettez ça et vous aurez des lèvres de reine.
« Tu veux essayer ? » Shirley offrit à Cath le bâton de rouge dans son cylindre doré. Cath secoua la tête. Elle appréciait l’attirail des cosmétiques, les contours lisses des étuis en plastique brillant, l’éclat satiné du produit dans un poudrier vintage. Par contre elle détestait l’odeur, surtout celle du rouge à lèvres, et la tête que ça lui faisait, comme si sa bouche n’était plus la sienne, mais une bouche sur une affiche.

Des années plus tard, Cath travaille dans un magasin de disques à Glasgow, et s’est passionnée pour la photo. Elle se focalise d’ailleurs sur « les maisons du crime », ces lieux qui ont connu entre leurs murs des crimes presque banals, si tant est que cela existe. Les meurtres familiaux, les féminicides, la maison d’à côté où il-était-pourtant-si-gentil. Elle ne peut donc pas y échapper, et décide de retourner sur son île, pour revoir la maison de son amie et la photographier. Une fois sur place, elle rencontre Alice, qui a racheté la maison. Les deux femmes se rapprochent et ensemble, soulèvent le linceul de ce crime familial peut-être un peu trop évident, au premier regard.

Cath a suivi le fil de sa vie, surtout pour quitter cet île et aller vers la grande ville. Alice, elle, fuit Londres et une vie qui l’a faite exploser en plein vol, à la recherche d’une paix qui lui échappe. Aussi inconnues qu’intriguées, les deux femmes sont tout autant à la recherche de réponses que de sens. Si Alice cherche à (re)trouver le pourquoi ou le parce que de sa vie et de ses décisions, pour Cath il s’agit autant de rendre hommage et justice à son amie d’enfance que de se pardonner elle-même, qui aurait peut-être pu agir pour la sauver. Plongée dans ses photographies, miroir d’eau qui reflète, comme le lac, autant ce qui s’y trouve que ce qu’on y jette, elle va découvrir qui était le père de sa meilleure amie, cet homme froid, dur, violent, coupable idéal, père brutal et mari écrasant. Le menuisier de talent, l’homme méfiant, le superstitieux. Son regard en arrière depuis sa taille adulte sur cette famille la bouscule et joue avec ses souvenirs, tout comme le retour sur cette île, l’écrin beau et ennuyeux de l’enfance.

On savait que Nina Allan était une novelliste hors-pair, qu’elle maniait le roman de science-fiction et fantastique sans faille (il faut lire La fracture, d’ailleurs), elle fait avec Les bons voisins son entrée dans le roman noir (mais pas que), avec, il n’en fallait pas douter, beaucoup de classe. Une enquête policière, du suspense, des intrigues, mais pas que.

Avec Nina Allan, l’essentiel se joue souvent juste à côté, dans cette zone que l’on distingue du coin de l’œil, dans cette sensation le long des doigts, entre les pages et le vent. Elle s’intéresse tout autant à l’avancée de l’enquête qu’à ce que Cath apprend sur elle, sur ses voisins, sur la communauté dans laquelle elle a grandi. Les souvenirs tronqués, revisités, floutés et les prémonitions, les sensations indéfinissables, justement, mais qui ne trompent pas, moins que la mémoire. Le plus important n’est finalement peut-être pas tant la preuve finale que le dénouement intime de Cath et son chemin vers un apaisement, une déculpabilisation, des retrouvailles avec Shirley.
Elle nous balade sur les chemins de Bute, dans des creux, vallons et lacs autant peuplés par le vent et le chant du passé, des histoires et du folklore que par les souvenirs, chemins de mémoires, de découvertes, et d’enquêtes, bien sûr ^^

Pour écouter l’autrice en parler, c’est dans Mauvais genres !

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Bernard Sigaud
Tristram

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