La première de la nouvelle pièce d’Amma, La dernière Amazone du Dahomey, se joue ce soir au National Theatre de Londres. Consécration pour cette femme noire et lesbienne qui a commencé dans le théâtre underground avec sa complice de toujours Dominique, et qui s’apprête à présenter un travail qu’elle espère toujours subversif à l’establishment londonien. Autour d’elle, tout le monde se prépare. Et elle se souvient. De ses débuts, ses luttes, ses questionnements. Grandir en tant que fille puis femme noire et lesbienne dans l’Angleterre thatchérienne, la plongée dans le militantisme, l’ajustement des luttes, et le théâtre avec Dominique, qui finit par la planter par amour et partir aux États-Unis.
Après Amma, ce sera Yazz, sa fille, puis Dominique, justement. Et puis Carole, fille des banlieues craignos qui a réussi à s’en extirper, Bummi, sa mère, immigrée nigérienne, et LaTisha, qui elle n’a pas quitté le quartier pourri qu’elle partageait avec Carole. Et puis, et puis…
Quatre parties, trois femmes, douze portraits en chœur de plusieurs générations de femmes, ou pas, noir·es, métis·ses, blanc·hes, lesbiennes, non-binaires, des pays de l’Afriques anglophones aux Caraïbes jusque dans les rues londoniennes.
Amma
suit à pied la promenade longeant le fleuve qui coupe sa ville en deux, quelques péniches matinales s’y croisent lentement
à sa gauche le pont-passerelle piétonnier avec ses pylônes qui ressemblent à des mâts de voiliers
à sa droite la courbe que décrit la rivière vers l’est après avoir dépassé Waterloo Bridge en direction du dôme de St Paul
elle sent que le soleil commence à se lever, l’air est encore respirable, tant que la chaleur et les gaz ne congestionnent pas la ville
plus loin sur la promenade un violoniste joue un air revigorant, exactement ce dont elle a besoin
ce soir c’est la première de la pièce d’Amma, La dernière Amazone du Dahomey, au National Theatre
elle repense à ses débuts au théâtre
Bernardine Evaristo nous présente douze personnages, douze vies uniques qui traversent un siècle de l’histoire anglaise, charriant avec elle celles de ses anciens dominions. Douze histoires de familles qui racontent l’immigration, l’intégration, la différence et la construction de soi. Être noire ou métisse dans la campagne profonde, grandir dans les banlieues violentes et délaissées avec l’espoir écrasant sur ses épaules déposé par des mères qui ont laissé derrière elles des familles assassinées, des mariages forcés, des vies déjà éteintes. S’affirmer comme femme noire, lesbienne ou personne non-binaire dans une société patriarcale dans laquelle tout est oppression. Se mettre en avant, exister. Un siècle de racisme, de violences sexuelles, économiques, politiques, un siècle d’acharnement. Chaque portrait répond aux précédents, le complète et l’amende. Roman choral autant que roman-puzzle, les douze figures présentées ici, une fois toutes assemblées, nous gratifient d’une vision forte et nuancée, pleines des interrogations de ses protagonistes et des réponses qu’iels essaient d’apporter pour avancer et se construire. De Hattie à Yazz en passant par Morgan, Winsome, Penelope ou Shirley, toustes sont aussi différent·es que complémentaires et avancent avec leurs armes et leur passé dans un monde qui peine à les accepter sans les briser. Chacune cherche à sa manière la meilleure façon d’être soi-même, expérimente, s’effondre, se reconstruit.
Un roman puissant sur la différence, la complexité des êtres et le besoin primordial d’exister ensemble.
Traduit de l’anglais (britannique) par Françoise Adelstain
Éditions Globe/Pocket
567 pages