Catégorie : Amérique du Sud

  • Princesa – Fernanda Farías de Albuquerque, Maurizio Iannelli

    Né dans la campagne du Nordeste brésilien, Fernandinho n’aime pas ce rôle de petit garçon qu’on lui assigne. Il est une fille, c’est ainsi, et pourquoi donc n’est-ce pas évident pour les autres ? Rapidement, à son nom sera accolé veadinho, l’insulte, le mépris, et la protection désespérée de sa mère n’y changera rien. Les années passant, Fernando quittera sa campagne et son identité assignée, deviendra elle, deviendra Fernanda, Princesa, prostituée transexuelle des rues de São Paulo, Rio de Janeiro, puis Madrid, Milan, Rome, jusqu’à la prison de Rebibbia.

    J’avais six ans et Cícera Maria de Conceição, ma mère, fatiguée par le travail dans les champs, me prenait dans ses bras et m’allongeait dans le grand lit. Dans un demi-sommeil, je la sentais, je la sens encore, m’enlever doucement mon short et ma chemisette.
    Manuel Farías de Albuquerque, son mari, était mort quand elle était enceinte de moi. Mais pas avant d’avoir mis au monde mes deux sœurs et mon frère, Alaíde l’aînée, Aldenor le premier garçon et Adelaide. Tous mariés, tous émigrés dans les grandes villes du Brésil. São Paulo et Rio de Janeiro.
    La dernière à quitter la maison fut Adelaide. Álvaro lui faisait la cour, elle tomba enceinte. Cícera fit un esclandre dans le village. Elle quitta les champs de maïs et de coton, déboula chez le prêtre, chez le préfet. Elle réclama son dû, le sien et celui de sa fille : ce mariage devait se faire. Au départ, la famille d’Álvaro s’y opposa. Puis Dona Inacina intervint, elle parla avec tout le monde et arrangea tout. On pleura à l’église, on fit la fête à la fazenda. Du guaranà et du gâteau de goiaba pour mes cousins et moi. De la liqueur de jurubeba et du churrasco pour eux, les grands. Une fête nordestine. On tua un veau et deux dindons. Álvaro emmena Adelaide. Cícera et moi, on resta seuls.

    A partir de là, c’est une vie de film, de roman, plus grande que la vie que crée Fernanda. Assurée et déterminée, elle avancera vaille que vaille vers son objectif : donner à son corps son apparence cachée et vivre libre. Tu peux l’imaginer, lectrice, lecteur, mon artifice, cette vie a été non pas ponctuée mais tissée de violences. Viols, agressions, abus, extorsions … Tout ce que tu peux imaginer de la vie d’une prostituée transsexuelle dans le Brésil puis l’Italie des années 80 et 90, elle l’a vécue. Cela fait d’ailleurs la première puissance de ce texte : la rudesse et la violence de sa vie, bien que marquées dans sa chair, font partie des pavés qui la mènent, voire la poussent vers son objectif, vers ce destin qu’elle se rêve. Elles font partie de sa construction, au même titre que les rencontres protectrices et solidaires, moteur de fantasmes qui pousseront à travers les cicatrices.
    La seconde puissance de ce texte vient de son histoire à lui. Récit pionnier de la littérature transgenre, raconté à la première personne, Princesa est un récit à mains multiples né des échanges entre Fernanda, Maurizio Iannelli et Giovanni Tamponi. La première en est la pièce maîtresse, l’incarnation et la conteuse. Les deux autres sont des camarades de prison, des frères d’enfermement à Rebibbia. Maurizio, ancien membre des Brigades Rouges devenu réalisateur, et Giovanni, berger sarde qui s’est fait braqueur armé. La première écrira son histoire dans un mélange d’italien et de portugais brésilien, le troisième le retraduira en italien tartiné de sarde et le second (c’est clair, non ?) finira la mise en page, ajoutera quelques tournures littéraires pour parachever l’œuvre. Récit personnel et collectif, traduction dès sa naissance retraduite et adaptée, Princesa est à l’image de son autrice et héroïne, intime et plurielle, plurilingue et nouvelle, née d’elle-même et par les mots et les fantasmes des autres. Princesa est l’histoire d’une vie qui fuse hors des flammes et des murs porteurs de sociétés écrasantes et renfermées, mais aussi l’histoire d’une femme qui s’empare de sa vie et s’en va, migre vers d’autres lieux, se confronte. C’est enfin, même si le récit en parle peu, une littérature carcérale, fondamentalement, car sans l’enfermement et Rebibbia, ce récit n’existerait pas. Il est l’enfant de trois marginaux de la société italienne et mondiale, des enfants de leur époque et leurs pays qui nous apportent une œuvre inclassable et transcatégorielle, dont les thématiques et les violences restent dramatiquement d’actualité.
    Princesa, enfin, c’est un parcours. Celui de Fernanda, de sa transformation et de sa détermination. Celui de l’écriture, des allers-retours dans les cellules et dans les langues. Celui de son édition en français, aussi, qui nous intéresse ici. Fruit de la collaboration entre cinq traductrices suite à une journée d’étude sur le projet Princesa 20, il a s’agit à nouveau d’un travail de tissage, un nouveau parcours comme celui de Fernanda, de l’intime vers l’extime, d’une langue déjà triturée, pliée, recomposée à plusieurs, vers une autre. Être cette fois plusieurs pour unifier.

    Texte unique et inclassable, aventure humaine, sociale, langagière et éditoriale hors du commun, désir ardent d’existence, Princesa la femme comme le livre, se mettent à nu devant nous pour nous montrer comment arracher son existence des mains des autres peut être une douleur jouissive et salvatrice, une construction commune pour mieux découvrir l’autre.

    Pour en savoir plus sur le livre, Fernanda, les démarches… , le site (en français) du projet Princesa 20

    Traduit de l’italien par Anna Proto Pisani, Armelle Girinon, Virginie Culoma-Sauva, Judith Obert et Simona Elena Bonelli
    Éditions Héliotropismes
    188 pages

  • La soustraction – Alia Trabucco Zerán

    Iquela et Felipe, deux jeunes chilien-nes, trainent leur vie et leurs questionnements dans les rues de Santiago. Fils et fille d’opposants à la dictature de Pinochet, ils ne peuvent que constater que le retour à la paix et la démocratie n’a pas pansé toutes les plaies, loin de là. Lorsque Paloma, fille d’une ancienne camarade de lutte de leurs parents et exilés en Allemagne, annonce que sa mère vient de décéder et souhaitait être enterrée au Chili, ce sont de vieilles histoires, de grands symboles et de grandes aventures qui tombent sur nos deux Santiaguinos.

    Bien espacés : un dimanche oui et l’autre pas, voilà comment ont commencé mes morts, sans aucune régularité, un week-end sur deux, parfois deux d’affilée, ils me surprenaient toujours dans les endroits les plus incongrus : couchés aux arrêts de bus, dans les caniveaux, les parcs, pendus aux ponts et aux feux rouges, flottant et descendant à toute allure la rivière Mapocho, les corps dominicaux m’apparaissaient dans chaque coin de Santiago, les cadavres hebdomadaires ou bimensuels que j’additionnais méthodiquement, et leur nombre croissait comme croît la mousse, la rage la lave, ça montait, montait, mais justement, les additionner posait problème car monter n’avait pas de sens puisqu’on sait que les morts tombent, incriminent, tirent vers le bas, comme ce macchabée que j’ai trouvé affalé sur le trottoir pas plus tard qu’aujourd’hui, un mort solitaire qui attendait tranquillement mon arrivée, alors que je passais tout à fait par hasard avenue Bustamante, en quête d’une gargote où boire quelques bières pour combattre la canicule, cette chaleur poisse qui fait fondre jusqu’aux calculs les plus froids […]

    Paloma atterrit bien à Santiago, mais pas le cercueil de sa mère. Ce matin-là, la ville se réveille sous une averse de cendres, suite à une éruption volcanique lointaine, qui recouvre la ville d’un manteau gris qui s’effrite sous les doigts comme le cadavre d’une mite. Paloma est bien arrivée, mais l’avion de sa mère, qui suivait, a été dérouté en Argentine et a atterri à proximité de Mendoza. Pas si loin que ça, mais de l’autre côté d’une frontière fermée et d’une cordillère andine. Peu de questions à se poser, Paloma, flanquée de ses deux anciennes connaissances, à peine ami-es ados et presque inconnu-es aujourd’hui, dégottent un corbillard et prennent la route des montagnes pour aller chercher Ingrid et la ramener à sa dernière demeure.

    Iquela et Felipe se connaissent depuis l’enfance, ont quasiment grandi ensemble. Les parents de Felipe ont rapidement rejoint les rangs des opposants, et il partage son temps entre la maison de sa grand-mère à Chinquihue et celle d’Iquela et ses parents. Paloma, c’est une rencontre d’un soir pour Iquela, lors d’un rassemblement, peut-être le 5 septembre 1988 lors du référendum qui mettra fin au règne sanglant de Pinochet. Une rencontre déjà pleine de mystère et de transgression, de non-dits, de non-mots et d’admiration.
    Lorsqu’elle revient, Paloma est encore pleine de ce Chili-là, des souvenirs de ses parents à son espagnol, mélange de manuels scolaires et d’expressions surannées, et elle provoque, comme l’éruption volcanique et la pluie de cendres, un bouleversement dans le fragile écosystème qu’est la vie d’Iquela, de sa mère et de Felipe. Un séisme silencieux qui fait remonter les secrets des disparitions, les frustrations des mots tus, et les morts, que compte Felipe pour arriver à un compte nul, un équilibre inatteignable entre les disparus et les retrouvés.
    Iquela tente de composer entre une mère complètement obsédée et traumatisée par la dictature, terrifiée par tout et surtout par l’idée d’oublier et Felipe, qui part dans son monde, un monde de fantômes, d’absents, de pensées continues et inarrêtables. L’arrivée de Paloma, coup de pied dans la fourmilière, et leur road-trip jusqu’à Mendoza, pourra être tout autant un chemin libératoire que le tremblement qui les broiera.

    On passe de la voix de Iquela, posée bien que perdue, à la recherche d’une rationalité et d’un sens tant à sa vie qu’à son histoire, à celle de Felipe, déjà loin, déjà irrattrapable, qui prend à peine le temps de respirer et nous raconte les morts qui viennent à lui pour être compter, son enfance chez sa grand-mère et ce père mort, trahi peut-être, auquel il ressemble trop. On suit trois jeunes gens avec une histoire commune, qui ont grandi différemment, et qui restent malgré eux les porteurs d’un héritage beaucoup trop lourd et trop violent, qui parasite les mots et les âmes et les enduit d’une couche de cendres bien trop lourde, elle aussi.

    Traduit de l’espagnol (Chili) par Alexandra Carrasco
    Éditions Acte Sud
    206 pages

  • Berazachussetts – Leandro Ávalos Blacha

    Milka, Dora, Susana et Beatriz, quatre institutrices jeunes retraitées, vivent ensemble et aiment aller se promener dans les parcs de Berazachusetts. Un beau jour, pendant l’une de leur balade, elles trouvent une femme avachie contre un arbre, morte ou endormie, vêtue seulement d’un legging dégueulasse, son énorme poitrine retombant de part et d’autre de son corps obèse. Impressionnées, un peu dégoûtées, mais néanmoins compatissantes, les quatre amies l’emmènent tant bien que mal avec elles et l’accueillent dans leur appartement. La jeune femme, Trash, s’avère être une zombie avec un problème d’assimilation de la viande et un sens aigu de la punkitude.

    Dora, Milka, Beatriz et Susana longeaient tranquillement un sentier dans le bois quand Dora s’arrêta, interdite, en désignant le bas-côté.
    « Qu’est-ce que c’est que ça ? Encore une femme violée ? »
    Ses amies en savaient aussi peu qu’elle. Sous l’effet de la surprise, Milka avait laissé tomber le panier qui contenait le maté et les viennoiseries. Allongée par terre, le dos contre un arbre, il y avait une femme nue.
    « Si ça se trouve, c’est une pute, chuchota Dora. Regardez ses cheveux. »
    À vrai dire, s’il s’agissait d’une femme de la rue, elle se trouvait en pleine décadence. Elle était terriblement obèse ; ses cheveux étaient courts et d’un fuschia intense. On l’aurait cru morte sans le mouvement de sa poitrine qui révélait se respiration. À côté d’elle, les quatre amies se sentaient sveltes et belles. Ce qui les impressionnait le plus, c’était son torse nu, avec deux nichons gros comme des ballons de basket et de nombreux bourrelets de graisse qui retombaient en cascade. En dessous, elle portait des leggings en lycra couleur chair, qui lui donnaient l’air d’un gros insecte, et des rangers noires usées.
    « Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda Susana.
    Pour toute réponse, Dora tira un appareil de son sac pour prendre quelques photos de la femme. Elle passait son temps à interrompre le cours de leur vie avec cette phrase : « Attendez, on va prendre une photo. »

    Berazachusetts, c’est une ville balnéaire qui pourrait être dans la banlieue proche de Buenos Aires, par exemple. Elle est traversée par le Rhin del Plata, qui pourrait être un cousin du Río de la Plata, peut-être. À Berazachusetts, on va trouver des politiciens corrompus, des bourgeois qui s’encanaillent, des jeunes révoltés polis, des violeurs, des assassins, des pauvres fous, des fous tout courts.
    La ville est sous la coupe de Francisco Saavedra, ancien maire et toujours aux affaires, richissime enfoiré cruel et méprisant. Il aime par-dessus-tout proposer aux pauvres de l’argent contre une action absolument immonde, comme se raser la tête, voire se casser la jambe. L’un de ses fils, Arévalo, a monté tout un divertissement pour fils de riche en demandant à de pauvres gars de violer des femmes, le tout en les filmant.
    C’est dans cette ville folle, vraiment, où tout le monde est plus ou moins affreux, sales et méchants, que débarque Trash. Et la zombie semble de loin la plus humaine de toute cette bande. Celles et ceux qui ne sont pas devenus des psychopathes violents et sadiques perdent doucement les pédales ou bien se créent leur petit monde. Comme Dora, qui parvient à se faire son chemin jusqu’au lit de Saavedra père, très étonnamment, qui préfére habituellement les mannequins aux femmes pauvres et vulgaires de banlieue. Ce sera cumbia et aménagement d’intérieur pour elle, tandis que sa coloc’ se disloque sous le coup de la mort, qui frappe assez souvent dans les parages, ou de désistement aussi soudain que violent, hein, toujours.

    Lectrice, lecteur, mon monde imaginé, bienvenue à Berazachusetts. Cette version plus ou moins parallèle de Buenos Aires rassemble tout ce que l’Argentine compte de cas désespérés, de violences sociales et de peurs enfouies. Je passerai ici sur sa géographie, drôle, fascinante et très bien expliquée dans la postface rédigée par la traductrice. Ce jeu sur la carte, qui mêle conurbation bonaerense et autres lieux du monde reconnaissable par beaucoup, amène un brouillage des pistes et des lectures qui permet de mieux nous imprégner du propos.
    Pourquoi et comment Trash est-elle devenue zombie, nul ne le sait, et a priori on a plutôt l’air de s’en foutre un peu, tant dans les rues de Berazachusetts que, petit à petit, dans notre tête. L’important n’est pas que Trash se régale des bras de ce violeur-ci ou de la cervelle de cet agresseur-là, c’est plutôt la déchéance qui l’entoure. Saavedra, symbole d’une élite qu’on ne peut même plus qualifier de déconnectée tellement son arrogance et sa cruauté dépasse tout, marque le niveau d’une indécence qu’on pensait inatteignable. A l’aune de tels comportements, il n’est donc pas illogique que la seule personne un peu sensée dans ce fatras soit celle qui a pu prendre un peu de recul sur l’humanité et qui en a peut-être retrouvé un peu en s’en éloignant.

    Alors que l’étrange succède au surnaturel, qu’une guérilla marxiste complote dans les sous-sols d’un quartier radioactif et que des fantômes et des pingouins envahissent les rues, il n’y aura de salut pour pas grand-monde, car de toute manière, personne ne le cherchait.

    Un court roman d’une efficacité grandiose, pop à souhait, grinçant et crissant comme le sol sableux du Déversoir.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Hélène Serrano
    Éditions Asphalte / Folio SF
    212 pages

  • Les dangers de fumer au lit – Mariana Enriquez

    Une femme se retrouve hantée par le fantôme de sa grand-tante, morte bébé, dont elle avait retrouvé les os elle-même enfant.
    Une bande de jeunes filles part se baigner dans une tufière pendant l’été, en compagnie du beau Diego. Tandis que les corps se rafraichissent, les esprits s’échauffent.
    Un vagabond, qui vient vider ses intestins sur le trottoir d’un quartier populaire avant d’en être viré manu militari à coups de coups et d’insultes, pourrait-il jeter une malédiction ?
    Joséfina, contrairement à sa mère, sa grand-mère et sa sœur, n’a jamais eu peur de sa vie. Mais après un voyage familial à Corrientes, l’effroi la saisit avec démesure pour ne plus jamais la quitter.
    En visite à Barcelone pour revoir une amie, Sofia est incommodée par une odeur de charogne putréfiée que personne d’autre ne semble remarquer.
    Dans un hôtel d’Ostende (province de Buenos Aires), il paraitrait que le mirador est hanté. Tout comme d’autres pièces du bâtiment, d’ailleurs.

    Ma grand-mère n’aimait pas la pluie et avant l’arrivée des premières gouttes, lorsque le ciel s’assombrissait, elle allait dans l’arrière-cour avec des bouteilles qu’elle enterrait à moitié, goulot vers le bas. Je la suivais et lui demandais grand-mère, pourquoi tu n’aimes pas la pluie, pourquoi tu ne l’aimes pas. Mais elle, rien, évasive, pelle à la main, fronçant le nez pour sentir l’humidité dans l’air. Si finalement il pleuvait, bruine ou orage, elle fermait portes et fenêtre et montait le son de la télé pour couvrir le bruit de l’eau et du vent -la maison avait un toit en tôle- ; et si l’averse tombait au moment de sa série préférée, Combate, il n’y avait plus rien à en tirer, elle était éperdument amoureuse de Vic Morrow.
    Moi j’adorais la pluie, elle ramollissait la terre sèche et je pouvais ainsi m’adonner à ma manie de creuser. Le nombre de trous !

    L’exhumation d’Angélita

    Une jeune femme se découvre une fascination morbide pour les battements de cœurs malades.
    Deux ados fans hardcore d’un chanteur de rock commettent l’irréparable.
    Un jeune homme met à disposition ses talents de caméraman pour toute situation sortant de l’ordinaire. Alors que les captations de relations sexuelles s’enchaînent, il est appelé pour une histoire de possession.
    Mechi travaille aux archives des enfants disparus, Pedro, lui est journaliste spécialisé dans ce domaine. Quelle n’est pas leur surprise, un beau jour, de retrouver une jeune fille manquante depuis des mois au beau milieu du parc Chacabuco.
    Dans un immeuble, une vieille femme meurt dans l’incendie déclenché par la rencontre entre sa cigarette et ses draps. Près de là, une femme contemple elle-même ses braises, les papillons de nuit, les mites et les trous de sa vie.
    Cinq copines se cotisent pour s’acheter un Ouija et communiquer avec les morts. Et puis, peut-être, avec les parents de l’une d’elles, « disparus ».

    Est-ce un plaisir de retrouver Mariana Enriquez ? Bien sûr. Et avec des nouvelles ? Tellement. La grande écrivaine argentine qui a montré sa dextérité narrative et son talent dans l’incroyable roman qu’est Notre part de nuit, nous avait déjà fait goûter à la forme courte avec le très très formidable Ce que nous avons perdu dans le feu. Ce recueil de douze nouvelles est donc non seulement un plaisir par anticipation, mais un régal de lecture. Attention, néanmoins, toutes ne sont pas à lire au petit-déjeuner !

    On retrouve dans les différentes nouvelles certaines thématiques déjà présentes dans ses autres textes, cette curiosité pour le monde de l’adolescence et ses transgressions. La violence d’une société de plus en plus écartelée, avec des riches plus riches et surtout ici des pauvres plus pauvres. La maltraitance des enfants, entre prostitution, enlèvements, traite et meurtre. Et beaucoup, beaucoup de fantômes. Les fantômes des âmes oubliées, des histoires familiales dont on ne peut se détacher, ceux des desaparecidos, qui hanteront encore longtemps l’histoire du pays.
    Mariana Enriquez nous raconte surtout que tout le monde, sans exception, a en lui un fantôme, une blessure et un bout de perversité, les trois étant souvent liés. Prenons cette jeune femme qui ne peut jouir qu’en entendant un cœur malade et se créé des fantasmes de plus en plus violents sur le muscle cardiaque et ses maladies, aurait-ce un rapport avec les souvenirs flous d’un homme malade, nu, alors qu’elle avait cinq ans ?

    Perversion anodine ou plus malsaine, peur inconséquente ou paralysante, Mariana Enriquez les creuse pour en montrer le pus, la moisissure dont elles sont issues ou bien qu’elles engendrent, toute entourées de leurs fantômes, parfois moqueurs, parfois stoïques, parfois inquiétants, mais toujours signifiants. Les relations familiales, et notamment les transmissions mère-fille, les abandons, liens fraternels, rien n’échappe à la plume de Mariana Enriquez, qui ne laisse de répit nulle part. L’horreur est partout, même la plus basique, la plus vile, la moins surnaturelle, et chacun d’entre nous en est capable.
    Et on adore qu’elle nous raconte cela.

    Traduit merveilleusement de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenêt
    Éditions du Sous-Sol
    246 pages

  • Cadavre exquis – Agustina Bazterrica

    Marcos travaille dans un abattoir, il est le bras droit du directeur et s’occupe de vérifier la qualité de la viande, de traiter avec les éleveurs et les clients. Mais l’abattoir de Marcos s’occupe d’une viande spéciale. En effet, un virus a contaminé toute la faune de la planète. Les animaux, impropres à la consommation et dangereux pour les humains, ont été abattus. L’envie de viande n’a pas disparu pour autant, et certains ont commencé à s’en prendre aux plus pauvres, aux migrants, aux vagabonds, pour assouvir leurs envies. Le gouvernement a alors décidé d’encadrer cette pratique, et a légalisé une viande spéciale, issue d’élevages d’humains…

    Demi-carcasse. Étourdisseur. Ligne d’abattage. Tunnel de désinfection. Ces mots surgissent et cognent dans sa tête. Les détruisent. Mais ce ne sont pas seulement des mots. C’est le sang, l’odeur tenace, l’automatisation, le fait de ne plus penser. Ils s’introduisent durant la nuit, quand il ne s’y attend pas. Il se réveille le corps couvert de sueur car il sait que demain encore, il devra abattre des humains.
    Personne ne les appelle comme ça, pense-t-il, en s’allumant une cigarette. Lui non plus, il ne les appelle pas comme ça quand il explique le cycle de la viande à un nouvel employé. On pourrait l’arrêter à ce seul motif, et même l’envoyer aux Abattoirs Municipaux pour se faire transformer. « Assassiner » serait le mot exact, mais ce mot-là n’est pas autorisé. En ôtant son maillot trempé, il cherche à chasser cette idée persistante selon laquelle c’est pourtant bien ce qu’ils sont, des humains, élevés comme des animaux comestibles. Il va au frigo et se sert un verre d’eau glacée. Il la boit lentement. Son cerveau le prévient que certains mots dissimulent le monde.
    Il y a les mots convenables, hygiéniques. Légaux.

    Marcos vit seul depuis que sa femme est retournée chez sa mère, ne se remettant pas de la mort de leur fils. Lui non plus, d’ailleurs. Il vit ses journées en les hantant, et l’absurdité, l’horreur de ce quotidien macabre et meurtrier ne le quitte plus. Un beau jour, l’un des éleveurs avec lesquels travaille Marcos lui offre une femelle, une PGP, Première Génération Pure, des « têtes » nées et élevées en captivité. Il la garde dans son garage, s’occupant d’elle sans savoir qu’en faire. Serait-ce le début du glissement pour Marcos ?

    Lectrice, lecteur, mon cœur battant, accroche-toi à ta peau, ce premier roman peut mettre à rude épreuve.
    Plus d’animaux donc. Et un contexte de surpopulation tragique. Quand les gens ont commencé à s’entredévorer, certains gouvernements ont mis en place une « Transition ». Et le monde a commencé à s’adapter. Les lois, les éleveurs, les abattoirs, les tanneurs, les laboratoires, les chasseurs. Les gens. On élève donc ces « têtes », qui seront traités, abattus, chassés. On récupère la peau pour le cuir. Mais on fait ça bien, hein. Un code est mis en place : interdiction d’utiliser ces « têtes » comme esclave, que ce soit de travail ou sexuel, interdiction de trafic, contrôle d’hygiène… Viande de bœuf ou viande humaine, même combat.
    Notre cheminement aux côtés de Marcos, dans son quotidien professionnel et personnel, les plongées dans ses souvenirs d’avant, ses errances dans l’ancien zoo à la recherche d’une normalité perdue ou bien d’une confrontation violente avec le nouveau présent nous force à regarder dans sa réalité crue ce monde sans animaux mais avec steak. Un monde dans lequel les inégalités sociales sont régies par le vieil adage « manger, ou être mangé ». Et plane, au-dessus de cela, cette question indicible mais permanente : ce virus était-il réel, ou bien la viande spéciale la seule solution trouvée pour réguler l’espèce humaine, et le virus pour le faire accepter ?

    Agustina Bazterrica n’oublie aucune situation pour nous montrer ce que serait une société dans laquelle le cannibalisme aurait été légalisé, et par là mettre en avant nos rapports de classes (entre humains) et notre rapport à la viande (humaine ou non). Elle le fait avec une distance et une froideur chirurgicale terrifiante, tout autant qu’une inventivité et un suspense glaçant. Et jusqu’au bout, rien ne nous est épargné. Un roman brillant d’une force terrible, inlâchable malgré la nausée.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud
    Éditions J’ai Lu
    279 pages

  • Mangeterre – Dolores Reyes

    Mangeterre est bien jeune lorsque sa mère meurt, sous les coups de son père. Elle est à peine plus âgée lorsque sa professeure, Ana, disparaît. Mais Mangeterre a un don, et grâce à celui-ci, la police retrouve le corps d’Ana. Lorsqu’elle goûte la terre foulée par les disparu·es, elle les voit, elle voit ce qui leur est arrivé. Mise au ban par les autres, c’est pourtant une foule de personnes qui vient, jour après jour, déposer une bouteille du sol de leurs proches évanoui·es devant la maison qu’elle habite avec son frère.

    -Les morts ne traînent pas chez les vivants, il faut que tu comprennes ça.
    -Je m’en fous, Maman est toujours ici, chez moi, dans la terre.
    -Arrête ton char, tout le monde t’attend.
    S’ils ne veulent pas m’écouter, j’avale de la terre.
    Avant, je l’avalais pour moi, parce que j’étais en pétard, que ça les dérangeait et que ça leur faisait honte. Ils disaient que la terre était sale, que j’allais avoir le ventre gonflé comme un crapaud.
    -Lève-toi maintenant. Et va te laver.
    Après, je me suis mise à manger de la terre pour d’autres qui voulaient parler. D’autres qui étaient déjà partis.
    -À ton avis, pourquoi il y a des cimetières ? Pour enterrer les gens. Allez, va t’habiller.
    -Je me fous des gens. Maman est à moi, elle reste ici.

    Il y a cette mère dont le fils handicapé mental a disparu, ce frère, policier, qui cherche sa sœur, cet autre frère qui sonde le Paraná de las Palmas. Et tous les autres. En Argentine, le terme disparu·es a depuis longtemps une résonnance particulière, terre dont la terre et la mer garde en son sein précieux, comme ailleurs en Amérique latine, les desaparecidos de la dictature de Videla.
    Ici, ce sont d’autres victimes. Des femmes, beaucoup, des enfants aussi, tou·tes arraché·es au sol par la violence des hommes. Mangeterre la connaît, cette violence qui lui a pris sa mère. Alors qu’elle grandit, elle sait qu’elle y va à grands pas, vers cet affrontement inéluctable.
    En attendant, après son renvoi de l’école, elle traînasse chez elle, avec son frère et ses potes. Ils boivent de la bière, jouent à la Play, se cherchent. Et elle regarde ces bouteilles de tristesse et d’espoir meurtri qui s’accumulent. La douleur de leur consommation jamais n’est compensée par le soulagement de la vérité, toujours insoutenable. Elle choisit donc ses combats et plonge dans la mémoire du sol souillé pour rendre aux mort·es leur dernière vérité, et peut-être un peu de justice.

    On décompte en moyenne 258 féminicides par an en Argentine (212 au 31 octobre 2022, probablement 248 sur l’année. Source : feminacida / Ahora que sí nos ven). Ce fléau, faute d’autre mot, est combattu pied à pied par des militantes, là-bas et ailleurs en Amérique Latine. La jeune Mangeterre grandit au cœur de ce drame. La brutalité des gens et de la société est son quotidien, et la violence une rengaine désagréable. Sa distance et sa froideur, qui pourraient la faire passer pour désabusée, sont avant tout une protection, car elle ressent la peur, le mépris et le froid de la lame dans sa chair lorsqu’elle ingère cette terre humide chargée d’une histoire invisible plus lourde qu’elle.
    Elle aurait de quoi vouloir y disparaître volontairement, dans cette terre. Mais c’est là le tour de force de Dolores Reyes dans cette histoire forte et rugueuse. Si elle n’est jamais dupe, Mangeterre garde, consciemment ou non, quelque rempart en elle, et avance. Les premières amours, les amitiés, les projets, même. Avec son frère à ses côtés, fidèle malgré le danger et l’étrangeté quand tous s’en vont, la terre ne se contente pas de porter la parole des morts, elle peut aussi soutenir le poids des vivantes.

    Un premier roman d’une grande puissance qui pousse les voix des disparu·es et effrite la terre, en attendant qu’elle tremble suffisamment pour les libérer toutes, celles qui y étouffent encore, jusqu’à ce que leurs cris soient entendus.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon
    Éditions J’ai Lu
    250 pages

  • Fracture – Andrés Neuman

    M. Watanabe rentre dans le métro de Tokyo, ce 11 mars 2011, lorsque la terre se met à trembler. L’épicentre, approximativement à 130 km des côtes du Nord-Est de l’île Honshū, transmet la fracture initiale en déchirures qui soulèvent l’océan. Une vague de 30m vient arracher les côtes, jusqu’à 10km dans les terres. Sur ces côtes, une centrale nucléaire perd son système de refroidissement. Les cœurs fusionnent. Depuis son appartement tokyoïte, M. Watanabe constate et suit l’évolution de la situation, les discours internes, externes, les mouvements de population. De ces fissures ressortent d’autres souvenirs, celui d’une bombe, non, deux, 66 ans plus tôt, qui ont laissé sur (et dans) la peau de M. Watanabe les cicatrices d’un feu nucléaire dont personne n’a su quoi faire.

    Le soir semble calme, mais le temps est aux aguets. M. Watanabe fouille dans ses poches comme si, en insistant un peu, les objets absents pouvaient se manifester. Ses étourderies sont de plus en plus fréquentes. Cette fois, il a laissé sa carte de métro sur la table, à côté de ses lunettes : il visualise clairement les deux objets qui le narguent. Agacé, Watanabe se dirige vers une des machines. Pendant qu’il effectue son opération, il observe un groupe de jeunes touristes perplexes devant l’enchevêtrement de stations. Les touristes font des calculs. Des chiffres émergent de leurs lèvres, s’élèvent et se dissipent. Il toussote et retourne à son écran. Les jeunes le regardent d’un air vaguement hostile. M. Watanabe les écoute délibérer dans cette langue mélodique et emphatique qu’il connaît si bien. Il hésite à leur proposer son aide, ainsi qu’il l’a fait pour tant de visiteurs consternés par le métro de Tokyo. Mais il est bientôt trois heures moins le quart, il a mal aux reins, il a hâte de rentrer.

    Devant cette faille béante, M. Watanabe est lui aussi submergé. Il était à Hiroshima le 6 août 1945, et aurait dû être à Nagasaki, auprès de la famille qui lui restait, le 9. Double survivant de la mère de toutes les bombes, de l’attaque qui a laissé le monde muet de stupeur et lui orphelin, Watanabe sent le réveil de pensées sédimentées, brassées par les vagues de Fukushima. Il n’est jamais retourné à Nagasaki après la bombe et a porté sur lui toute sa vie les marques de questions imposables et sans réponse. Serait-il temps pour lui de payer le tribut de son absence et de sa survie ?

    En alternance de ce 11 mars et des jours qui suivent, nous rencontrons quatre femmes, qui viennent aux nouvelles. Car M. Watanabe, une fois ses études terminées, a quitté le Japon. Il a vécu en France, aux États-Unis, en Argentine puis en Espagne, et est tombé amoureux. Ces femmes, Violette, Lorrie, Mariela et Carmen, nous racontent leur Yoshie Watanabe et leur vie. En faisant une place à cet étrange étranger, parfois dans des moments charnières de l’histoire de leur pays, ces femmes résolvent un bout du puzzle, racontent par leurs mots ce que Watanabe n’a jamais pu (su ?) raconter. Le poids de ce silence, l’humiliation nationale et la nécessité politique de l’oubli a-t-elle été la raison de son exil ? En se confrontant avec acharnement et passion à trois langues nouvelles, quatre cultures étrangères, cherche-t-il une autre approche sur le feu nucléaire qui brûle encore silencieusement, une langue qui aurait les mots pour le penser, qui aurait créé les temps grammaticaux pour le raconter ? En touchant ces corps non irradiés, ces peaux sans cicatrices, ces mémoires avec d’autres blessures que les siennes, qui portent d’autres culpabilités et d’autres poids, effleurera-t-il l’apaisement qui lui semble interdit ?
    Après le tsunami, il entamera un nouveau voyage, à l’intérieur de son île cette fois, pour voir celles et ceux qui sont resté·es et les écouter, leur donner la parole et l’attention que les hibakusha n’ont jamais eu.

    Andrés Neuman fait le portrait d’un homme qui a traversé la seconde partie du XXème siècle et certains de ses grands moments : les bombes, la guerre du Viêt-Nam, la guerre des Malouines et le retour de la démocratie en Argentine, puis la crise économique, Tchernobyl, les attentats de Madrid (un autre 11 mars, le calendrier a un certain sens de la dramaturgie). Un homme qui a mené sa vie en s’échappant, en cherchant peut-être un havre qui lui apporterait des réponses, ou un oubli impossible. Les récits fragmentaires et complémentaires de Violette, Lorrie, Mariela et Carmen viennent combler à traits d’or les fissures de Yoshie, suivant en cela l’art traditionnel du kintsugi. Elles révèlent ainsi son histoire et redonnent à l’homme son entièreté, mettent en lumière, enfin, ses fractures.

    Lectrice, lecteur, ma faille (a)dorée, ce roman choral se pare de la plus grande des douceurs pour nous raconter l’indicible et la survie, mais aussi la reconstruction face et grâce à l’autre, grâce à d’autres langues, racines de nouvelles pensées, sans nous laisser pour autant croire que toutes les blessures peuvent être guéries. Certaines cicatrices restent dans la chair, et plus que l’oubli il faut pouvoir les laisser parler pour nous apaiser, un peu.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco-Rahal
    Éditions Buchet-Chastel
    519 pages

  • Le génocide des Amériques – Marcel Grondin, Moema Viezzer

    En 1492, le navigateur gênois Christophe Colomb, mandaté par la couronne espagnole pour ouvrir une nouvelle voie vers les Indes, découvre le « Nouveau Monde ». Nouveau pour les Européens, cet immense continent baptisé Amérique par les colonisateurs est habité depuis des millénaires par plusieurs millions de personnes, de nombreux peuples organisés en sociétés complexes, chacune avec leur culture, leur langue, leurs croyances et leurs traditions. On estime aujourd’hui à 70 millions le nombre de morts suite à la colonisation des Amériques, soit 90 à 95% de la population autochtone.

    Il y a quelques années, par pure coïncidence, un document dans lequel on affirmait que l’invasion des Amériques par les Européens, à partir de 1492, avait été à l’origine d’un génocide qui aurait éliminé 90 à 95% des peuples autochtones, est tombé entre nos mains.
    Même si nous avions habité et travaillé dans différents pays du continent, nous ignorions complètement, tout comme la plupart des gens que nous connaissions, l’étendue de la tragédie.
    Constatant notre ignorance face à une information aussi choquante et motivés par nos expériences de vie au service des populations les plus pauvres dans différentes régions, nous avons décidé d’entreprendre une recherche avec l’intention de divulguer ce fait.
    Pendant nos recherches, nous avons eu l’opportunité de lire de nombreuses publications d’anthropologues et d’historiens originaires de différentes régions du continent et d’Europe qui avaient étudié et démontré scientifiquement ce génocide de même que la dimension de l’événement. Nous n’avons pas pu résister à l’envie de d’unir nos efforts à ceux de ces nombreux chercheurs et chercheuses.
    C’est ainsi que nous avons commencé notre travail non académique, qui est maintenant publié dans le but d’informer un public plus large. Combien de gens à ce jour savent que le plus grand génocide de l’histoire de l’humanité a été perpétré contre les peuples autochtones des Amériques ? Qu’est-ce qui leur est arrivé ?

    Petit moment intime entre toi et moi, lectrice, lecteur, ma tendresse. J’ai découvert l’existence des civilisations précolombiennes par des petites BD que j’avais eu en cadeau, gamine, dans mes paquets de Chocapic. Dans l’une d’elles, Pico le chien et son maître (dont j’ai oublié le nom), se retrouvaient chez les Aztèques, me semble-t-il, et disputaient, entre autre aventure, une partie d’un jeu dans lequel il fallait faire passer une balle à travers un anneau de pierre. Ça parlait de chocolat, bien évidemment (je te rappelle que c’était dans les paquets de Chocapic, et Pico était un expert en chocolat). J’avais été fascinée par cette histoire. Les noms étranges que je tentais de placer sur mes différentes cartes imaginaires dansaient sur ma langue : Teotihuacan, Popocatepetl, Quetzalcoatl, Nahuatl, Tezcalipoca. Des villes, des dieux, des gens, dont il était difficile de trouver mention ailleurs (je te parle d’une époque sans Internet, hein^^). Mais après tout, l’Amérique du Sud, c’est loin, et ce n’est pas vraiment lié à notre culture européenne, me disais-je alors.
    Mon intérêt pour cette partie du monde ne s’est jamais arrêté, et malgré tout, il reste compliqué de trouver, lire, voir tout ce qui en vient ou s’y rattache. Et la conquête des Amériques vu par l’Europe reste essentiellement les vaillants cowboys et les courageux pionniers (pionniers hein…) pour l’Amérique du Nord et les braves et fiers conquistadors pour le reste du continent. Pourtant on le sait, l’histoire est un peu plus sordide que ça. On le sait, et on l’accepte, dans une certaine mesure. Mais dorénavant, il va falloir changer de mesure.

    Le génocide des Amériques nous présente en cinq parties plus une inédite pour l’édition française, la manière dont s’est passée la découverte, puis la conquête du continent américain en délimitant six grandes zones : les Caraïbes, le Mexique, les Andes, le Brésil, les États-Unis, et le Canada. Chaque partie est construite de manière similaire : une introduction, les informations à disposition sur l’état des populations avant l’arrivée des Européens, le déroulement du génocide, les résistances autochtones et leur survivance aujourd’hui. Si le livre ne se veut pas lui-même comme un ouvrage scientifique mais de vulgarisation, il est parfaitement réussi en ce sens car très « facile » à lire. Il s’appuie sur de nombreuses recherches et sources et n’avance rien sans certitude. Le constat de départ est le suivant : après comptage et recomptage, il apparaît qu’au moins 90% des habitants originels d’Amérique ont été massacrés lors de la conquête du continent. Le second constat est que ce génocide ne s’est pas arrêté. Pourquoi a-t-il eu lieu ? Pour le commerce, pour la gloire, pour l’argent, pour la domination, parce que c’était possible. Pourquoi continue-t-il ? Pour le commerce, pour la gloire, pour l’argent, pour la domination, parce que c’est encore possible.

    Les civilisations dites précolombiennes étaient d’une diversité et d’une richesse hors du commun. Des centaines de peuples, des dizaines d’empires se sont succédés pendant des millénaires, évoluant en parallèle des peuples européens. Ces populations originaires d’Asie se sont adaptées à leurs terres ont développé leur agriculture, leurs élevages, leur architecture. Ils ont imaginé des cosmogonies riches et vivantes pour expliquer les mystères de l’univers, ont créé des sociétés avec des structures variées et des sciences et arts en constante évolution. Ces populations n’avaient rien d’arriérées. Elles se sont construites dans leurs environnements respectifs, échangeant les unes avec les autres.
    L’homme blanc, en débarquant, y a vu de nouveaux « bons sauvages », dont l’humanité restait à définir. Le génocide a d’abord été physique : massacres, incendies, exécutions, maladies… Les peuples Taïnos des Caraïbes ont été les premiers à être totalement exterminés par les colons. Les mêmes schémas se reproduiront dans le reste de l’Amérique du Sud : des assassinats de masse, l’arrivée de maladies, transmises involontairement ou non, par le biais de couvertures et vêtements sciemment contaminés (une pratique qui se reproduira plus tard, aux États-Unis, au Canada et en Patagonie, entre autre), le travail forcé, l’esclavage, la malnutrition, le détournement des cultures agricoles, l’envoi au loin des hommes, amenant une perte de main-d’œuvre fatale à la survie des villages. Le meurtre des enfants. Le viol des femmes.
    Le génocide est également culturel. En effet, le massacre rapide de ces populations dont les traditions étaient orales a entraîné en peu de temps une disparition de leurs connaissances empiriques et de leurs croyances et traditions. Le viol et/ou le mariage entre les colons et les femmes indigènes (le métissage n’était pas mal vu de partout) a entraîné une créolisation de la population et a participé à la disparition des langues indigènes, l’espagnol, et le portugais sur le futur territoire brésilien, devenant la langue du dominant, du pouvoir et de la richesse. Exclus, isolés, dépossédés de leurs terres, les survivants sont contraints de travailler dans des conditions abjectes dans les champs et les mines pour ramener en Europe le sang de la terre.

    Aux États-Unis, le génocide a pris une dimension politique. Contrairement aux espagnols, les colons européens qui s’approprient le territoire appelé ensuite États-Unis ne voient pas le métissage d’un bon œil et mettent en place une politique de nettoyage ethnique. Persuadés que Dieu les a envoyés sur ces terres et que donc, elles leur appartiennent de droit divin, les colons ont, avec vigueur et enthousiasme, déporté les populations natives des territoires sur lesquels elles vivaient depuis des générations. Envoyés au fin fond de l’Oklahoma, sur des terres inconnues dont ils ne savaient quoi tirer, des milliers d’Autochtones périrent pendant le trajet, des marches de la mort infâmes, ou bien une fois sur place, ne trouvant pas de quoi subsister. Signant des traités qui n’avaient de sincères que le papier sur lesquels ils étaient écrits, les gouvernements états-uniens se jouèrent des Premières Nations décennie après décennie, et décimèrent les Autochtones au cours de guerres, de déportations, de famines.

    Au Canada, le processus est assez similaire. La violence est présente dès les premiers contacts et les Premières Nations sont rapidement massacrées ou isolées dans des réserves. Les maladies font des dégâts terribles, bien souvent inoculées volontairement. Les enfants sont enlevés à leurs familles pour rejoindre les tristement célèbres pensionnats réservés aux Autochtones, dans lesquels il fallait « tuer l’Indien dans l’enfant ». On retrouve ici aussi la volonté de détruire, d’annihiler les cultures des Premiers Peuples. Tout devait disparaître.

    Tout ce que l’on sait des méthodes, de la manière, des motivations, toutes les traces laissées par les administrations ou certains témoins comme Bartolomeo de Las Casas, est recensé dans cet ouvrage.
    Mais ce que veulent aussi Marcel Grondin et Moema Viezzer, en plus de nous faire connaître et prendre conscience de ce génocide passé et encore en cours, ainsi que ses conséquences, c’est aussi nous faire savoir que les peuples indigènes ont existé, existent encore, ont lutté et luttent toujours.

    Chaque partie revient sur les combats menés par les populations autochtones contre les colonisateurs, les actes de résistance, les batailles. Bien souvent vaines, ces luttes restent néanmoins un symbole important et une marque forte de la volonté de ces peuples premiers de ne pas se laisser dévorer sans rien faire et de lutter contre ceux qui venaient se servir et les détruire. Iels mettent également en avant les résistances actuelles. Car si les exactions et les politiques mortifères à l’encontre des populations indigènes continuent, sous la pression des lobbys de l’agro-industrie, du pétrole et tant d’autres, qui n’ont parfois qu’à pousser un peu des gouvernances qui continuent à considérer les peuples autochtones comme des populations gênantes et arriérées, les Premières Nations s’unissent et œuvrent de plus en plus en commun. Leur but est de faire connaître leurs combats aux populations occidentales, et d’exposer les conditions dans lesquelles elles sont actuellement traitées, la violence qu’elles subissent encore. Très liées à la terre de par leurs modes de vies, les changements climatiques et les investissements liés au pétrole, à l’extraction minière ou à la déforestation viennent démolir leurs territoires, et ils sont les premiers témoins et les premières victimes du drame qui tous nous guettent. De leur union et leur combat naissent des mouvements liés aux luttes pro-écologies, et anticapitalistes qui trouvent, doucement, un écho dans certaines luttes occidentales. Leur but est aussi de se réapproprier ce qu’on leur a arraché, à commencer par leur terre et leurs mots.
    Abya Yala. La terre mûre, la terre vivante, en floraison. Ce terme qui désignait originellement le territoire du peuple Kuna en Colombie a été choisi pour désigner le continent américain tel que le pensent les Premiers Peuples. Car toute appropriation commence par le langage. N’a-t-on pas, nous autres européen·nes tendance à oublier la grandeur et la diversité du continent américain car ces termes, Amérique, américain, sont devenus synonyme d’États-Unis ? Abya Yala remet donc en avant la pensée indigène et sera, je l’espère, le début d’une décolonisation de la pensée, dont nous avons désespérément besoin, en luttant pour la décolonisation de fait.

    Une dernière chose, et non des moindres. Les auteur·ices ont choisi de présenter les quelques cartes qui illustrent les débuts de chapitres « à l’envers ». À l’envers de notre représentations européano-centrées. Nous avons des cartes sous les yeux depuis notre plus tendre enfance, le Nord en haut, le Sud en bas, l’Europe au centre. Si on accepte d’apprendre que, selon les continents, le centre peut changer, cette notion de Nord en haut nous paraît, elle, immuable, telle une vérité intouchable et gravée dans la roche de l’univers. Pourtant, on le sait bien, dans l’espace il n’y a ni haut ni bas. Les cartes sont elles aussi des représentations politiques qui transmettent un message. Le choix de garder une projection de Mercator sur la majorité des planisphères n’est pas anodin. Allié à cette notion qu’on nous a ressassé à l’école de « Pays du Nord » = riches et développés et « Pays du Sud » = pauvres et en retard, il n’est donc pas étonnant que nous considérions avec distance et condescendance les pays au sud de l’équateur. Voire que nous les oubliions. Cette représentation inversée nous remet les idées en place et nous oblige à repenser notre manière de percevoir et analyser le monde. Tout est affaire de vocabulaire et de présentation.

    « Il ne devrait pas y avoir de nord pour nous, sauf en opposition avec notre sud. Nous retournons donc la carte à l’envers, et nous avons alors une idée réelle de notre position, et non comme le souhaite le reste du monde. La pointe de l’Amérique, à partir de maintenant, pour toujours, pointe avec insistance vers le sud, notre nord. »

    Joaquín Torres Garcia, La escuela del Sur, 1944

    Ce livre est l’histoire du génocide de peuples perpétrés par d’autres. Un génocide d’une violence inouïe et d’une durée infinie. C’est l’histoire de peuples européens qui continuent de s’arroger le droit d’arracher ce qu’ils veulent quel qu’en soit le coût. C’est l’histoire d’Abya Yala, la terre mère dont les veines ouvertes crachent le pus de siècles de violences incompréhensibles et injustifiables. C’est notre histoire, à nous, européen·nes, une histoire cachée, ignorée, détournée, que nous devons nous aussi nous réapproprier. C’est surtout l’histoire des peuples indigènes qui ont lutté et continuent de se battre pour exister et retrouver leur dignité, leur droit de vivre à leur manière, sur Abya Yala, la terre habitée par leurs ancêtres depuis des millénaires.

    Avec la participation de Pierrot-Ross Tremblay et Nawel Hamidi
    Traduit du portugais (Brésil) par Yves Carrier avec la collaboration de Raymond Levac
    Préface de Ailton Krenak et Jacques B. Gélinac
    Éditions Écosociété
    355 pages

  • Ce que tomber veut dire – Ana Negri

    Clara a trente ans lorsque les choses commencent à s’effriter. Lorsque sa mère commence à perdre pied. Fille d’exilés argentins, Clara est née au Mexique et cherche à tracer sa voie dans les embouteillages qui jonchent sa vie, ceux des rues de Mexico et ceux qui embourbent la tête de sa mère.

    Le corps penché au-dehors, les avant-bras sur la balustrade, Clara regarde depuis son balcon. Le balcon où sa mère la baignait dans un baquet en plastique bleu les jours de canicule, il y a trente ans, au septième étage du 21, rue Avila-Camacho. A l’époque, on n’avait pas construit cet horrible immeuble de bureaux juste en face de son appartement et, où qu’on regarde, on pouvait encore voir le gris parsemé de vert de la ville. Aujourd’hui, ce qui saute aux yeux, c’est la quarantaine de fenêtres fumées qui séparent plus d’une centaine d’employés des courants d’air, du vide et de Clara, sur son balcon, qui regarde vers la droite, où elle devine l’horizon, totalement gris désormais, de la ville de Mexico.

    Tandis que Clara se débat avec sa propre vie, entre rupture compliquée, travail, problème d’argent, bref, le quotidien, elle doit également accompagner sa mère dans les démarches administratives ouvertes par l’état argentin à la fin de la dictature. En effet, des « réparations » sont proposées aux exilé-es, en échange d’une pile de paperasse justifiant du préjudice subi.
    Devant cette mère dont l’esprit se disloque lentement, Clara se sent chavirer, elle aussi. Fille du Mexique, elle a grandi traversée par deux pays, celui de sa naissance et de sa vie, et celui de ses parents, dans lequel son père finit par retourner, laissant à sa fille le poids de l’exil et de la détresse maternelle.
    Ana Negri nous raconte avec beaucoup d’humour, d’amour et de dureté cette histoire de fuites. La fuite d’Argentine, dont l’histoire a longtemps été tue et qui a brodé son enfance et sa vie d’adulte, la fuite de son père, la fuite de la raison de sa mère, doucement euphémisée par une grande « nervosité ». On passe du présent au passé, des souvenirs de Clara de cette mère fantasque, forte et pourtant déjà sur la brèche, hantée et toujours terrifiée par une dictature militaire dont l’ombre plane encore sur son quotidien, dans le clignotement d’une lumière, le bris d’un pot, la présence lourde des voisins. Clara se bat, s’agace de cette prison mémorielle dans laquelle elle est enfermée malgré elle, de cet exil qui, sans être le sien, lui est transmis par l’histoire de ses parents, par les expressions quotidiennes et les tournures linguistiques qui la distingue de ses cousins argentins.
    Des fuites en arrière, des chutes qui ponctuent la vie de Clara, qui sait depuis sa plus tendre enfance ce que tomber veut dire.

    Un roman très fort sur l’exil, la famille et la construction de soi, dur et touchant.

    Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron
    Éditions du Globe
    124 pages

  • L’enquête – Juan José Saer

    À Paris, un terrible tueur écharpe des vieilles dames. Telle la brume qui drape les rues de la capitale parisienne en cet hiver glaçant, il échappe à la surveillance et à l’enquête bien compliquée du commissaire Morvan. Depuis neuf mois, plus d’une vingtaine de femmes âgées sont tombées entre les griffes sanguinaires du « Monstre de la Bastille », et Morvan n’y voit pas d’issue, tandis que la population et la préfecture s’impatientent.

    De l’autre côté de l’Atlantique, Pigeon Garay revient en Argentine après vingt ans d’absence. Il conte à ses amis cette terrible histoire de meurtres, tandis que d’autres histoires, d’autres enquêtes, d’autres mystères, se rappellent à lui.

    Là-bas, au contraire, en décembre, la nuit tombe vite. Morvan le savait. Et à cause de sn tempérament et peut-être aussi de son métier, presque immédiatement après être rentré de déjeuner, depuis le troisième étage du commissariat spécial du boulevard Voltaire, il guettait avec inquiétude les premiers signes de la nuit à travers les vitres givrées de la fenêtre et les branches des platanes, luisantes et nues en contradiction avec la promesse des dieux, à savoir que les platanes ne perdraient jamais leurs feuilles parce que ce fut sous un platane qu’en Crète le taureau intolérablement blanc aux cornes en demi-lune, après l’avoir ravie sur une plage de Tyr ou de Sidon – en l’occurrence cela revient au même – viola, comme on le sait, la nymphe atterrée.
    Morvan le savait. Et il savait aussi que c’était au crépuscule, lorsque cette boule de fange archaïque et usée qui tourne, obstinément, déplaçait le point où ils s’agitaient, lui, Morvan, et cet endroit appelé Paris, l’éloignant du soleil et le privant de sa clarté dédaigneuse, il savait que c’était à cette heure-là que l’ombre qu’il poursuivait depuis neuf mois, proche et pourtant aussi insaisissable que sa propre ombre, avait coutume de sortir de la mansarde poussiéreuse où elle somnolait et s’apprêtait à frapper. Et elle l’avait déjà fait – tenez-vous bien – vingt-sept fois.

    Prépare-toi, lectrice, lecteur, ma toute belle, à plonger dans les méandres d’esprits tortueux, torturés, égarés et égarants, avec toute la délectation que nous offre l’écriture complexe et piégeuse de Juan José Saer. Piégeuse, car une fois emportée par le rythme endurant et digressif de ses phrases, impossible d’en sortir !
    Pigeon Garay revient donc en Argentine après vingt ans d’absence. Il y retrouve son vieil ami Tomatis ainsi qu’un ami de celui-ci, le plus jeune Soldi, alias Pinocchio. Son retour au pays se double de l’entrée dans une énigme littéraire, celle d’un mystérieux dactylogramme retrouvé dans les affaires du récemment décédé poète Washington Noriega, dont l’auteur et la date d’écriture restent inconnu-es et qui conte la guerre de Troie depuis la conversation de deux soldats, l’un jeune, l’autre âgé. Pigeon est aussi confronté à ses propres mystères, celui de sa redécouverte de ce pays retrouvé après vingt années et celui de son frère, Chat, mystérieusement disparu sans laisser de traces.
    Tandis qu’il raconte à ses amis l’enquête sordide du commissaire Morvan qui a défrayé la chronique parisienne, les réflexions de chacun se mêlent et tracent des chemins improbables, apportant des eaux troubles à des moulins aériens. Chacune des enquêtes, la littéraire, la policière, la familiale, plonge doucement dans l’intime, dans la psyché, les trames s’entre-nourrissent et s’effilochent, se retissent et se dispersent.

    Juan José Saer s’amuse avec les genres, il nous propose un magnifique personnage de commissaire qui erre dans les rues brumeuses de Paris et dans le labyrinthe des esprit criminels les plus terrifiants. Il nous promène en parallèle dans la construction d’un récit narratif, ce que l’on y trouve, ce que l’on y met, ce que l’on y cherche aussi. Que ce soit dans cette violente et trouble enquête policière, ce mystérieux roman entre deux soldats qui voient et vivent différemment une même guerre ou encore le puzzle inachevé d’une vie presque multiple entre deux continents, on se perd et se plaît à chercher une vérité dont l’unicité est, à n’en pas douter, inexistante.

    Une enquête qu’on garde en tête longtemps, et dont on se surprend à chercher, encore et toujours, une résolution qui nous est propre. Un vrai bonheur littéraire !

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Philippe Bataillon
    Le Tripode
    190 pages