Berazachussetts – Leandro Ávalos Blacha

Milka, Dora, Susana et Beatriz, quatre institutrices jeunes retraitées, vivent ensemble et aiment aller se promener dans les parcs de Berazachusetts. Un beau jour, pendant l’une de leur balade, elles trouvent une femme avachie contre un arbre, morte ou endormie, vêtue seulement d’un legging dégueulasse, son énorme poitrine retombant de part et d’autre de son corps obèse. Impressionnées, un peu dégoûtées, mais néanmoins compatissantes, les quatre amies l’emmènent tant bien que mal avec elles et l’accueillent dans leur appartement. La jeune femme, Trash, s’avère être une zombie avec un problème d’assimilation de la viande et un sens aigu de la punkitude.

Dora, Milka, Beatriz et Susana longeaient tranquillement un sentier dans le bois quand Dora s’arrêta, interdite, en désignant le bas-côté.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? Encore une femme violée ? »
Ses amies en savaient aussi peu qu’elle. Sous l’effet de la surprise, Milka avait laissé tomber le panier qui contenait le maté et les viennoiseries. Allongée par terre, le dos contre un arbre, il y avait une femme nue.
« Si ça se trouve, c’est une pute, chuchota Dora. Regardez ses cheveux. »
À vrai dire, s’il s’agissait d’une femme de la rue, elle se trouvait en pleine décadence. Elle était terriblement obèse ; ses cheveux étaient courts et d’un fuschia intense. On l’aurait cru morte sans le mouvement de sa poitrine qui révélait se respiration. À côté d’elle, les quatre amies se sentaient sveltes et belles. Ce qui les impressionnait le plus, c’était son torse nu, avec deux nichons gros comme des ballons de basket et de nombreux bourrelets de graisse qui retombaient en cascade. En dessous, elle portait des leggings en lycra couleur chair, qui lui donnaient l’air d’un gros insecte, et des rangers noires usées.
« Qu’est-ce qu’on fait ? » demanda Susana.
Pour toute réponse, Dora tira un appareil de son sac pour prendre quelques photos de la femme. Elle passait son temps à interrompre le cours de leur vie avec cette phrase : « Attendez, on va prendre une photo. »

Berazachusetts, c’est une ville balnéaire qui pourrait être dans la banlieue proche de Buenos Aires, par exemple. Elle est traversée par le Rhin del Plata, qui pourrait être un cousin du Río de la Plata, peut-être. À Berazachusetts, on va trouver des politiciens corrompus, des bourgeois qui s’encanaillent, des jeunes révoltés polis, des violeurs, des assassins, des pauvres fous, des fous tout courts.
La ville est sous la coupe de Francisco Saavedra, ancien maire et toujours aux affaires, richissime enfoiré cruel et méprisant. Il aime par-dessus-tout proposer aux pauvres de l’argent contre une action absolument immonde, comme se raser la tête, voire se casser la jambe. L’un de ses fils, Arévalo, a monté tout un divertissement pour fils de riche en demandant à de pauvres gars de violer des femmes, le tout en les filmant.
C’est dans cette ville folle, vraiment, où tout le monde est plus ou moins affreux, sales et méchants, que débarque Trash. Et la zombie semble de loin la plus humaine de toute cette bande. Celles et ceux qui ne sont pas devenus des psychopathes violents et sadiques perdent doucement les pédales ou bien se créent leur petit monde. Comme Dora, qui parvient à se faire son chemin jusqu’au lit de Saavedra père, très étonnamment, qui préfére habituellement les mannequins aux femmes pauvres et vulgaires de banlieue. Ce sera cumbia et aménagement d’intérieur pour elle, tandis que sa coloc’ se disloque sous le coup de la mort, qui frappe assez souvent dans les parages, ou de désistement aussi soudain que violent, hein, toujours.

Lectrice, lecteur, mon monde imaginé, bienvenue à Berazachusetts. Cette version plus ou moins parallèle de Buenos Aires rassemble tout ce que l’Argentine compte de cas désespérés, de violences sociales et de peurs enfouies. Je passerai ici sur sa géographie, drôle, fascinante et très bien expliquée dans la postface rédigée par la traductrice. Ce jeu sur la carte, qui mêle conurbation bonaerense et autres lieux du monde reconnaissable par beaucoup, amène un brouillage des pistes et des lectures qui permet de mieux nous imprégner du propos.
Pourquoi et comment Trash est-elle devenue zombie, nul ne le sait, et a priori on a plutôt l’air de s’en foutre un peu, tant dans les rues de Berazachusetts que, petit à petit, dans notre tête. L’important n’est pas que Trash se régale des bras de ce violeur-ci ou de la cervelle de cet agresseur-là, c’est plutôt la déchéance qui l’entoure. Saavedra, symbole d’une élite qu’on ne peut même plus qualifier de déconnectée tellement son arrogance et sa cruauté dépasse tout, marque le niveau d’une indécence qu’on pensait inatteignable. A l’aune de tels comportements, il n’est donc pas illogique que la seule personne un peu sensée dans ce fatras soit celle qui a pu prendre un peu de recul sur l’humanité et qui en a peut-être retrouvé un peu en s’en éloignant.

Alors que l’étrange succède au surnaturel, qu’une guérilla marxiste complote dans les sous-sols d’un quartier radioactif et que des fantômes et des pingouins envahissent les rues, il n’y aura de salut pour pas grand-monde, car de toute manière, personne ne le cherchait.

Un court roman d’une efficacité grandiose, pop à souhait, grinçant et crissant comme le sol sableux du Déversoir.

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Hélène Serrano
Éditions Asphalte / Folio SF
212 pages

1 thought on “Berazachussetts – Leandro Ávalos Blacha

  1. J’ai bien apprécié cet album [d’enfance] de Catherine [Meurisse], alors que je n’ai pas réussi à rentrer dans son titre suivant, La jeune femme et la mer, qui ne me « parle pas… Les Grands espaces portent un rapport écologique à la nature qui m’a plu.
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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