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  • Riambel – Priya Hein

    Noémie vit à Riambel, une ville du sud de l’île Maurice. Elle et sa mère vivent dans un kan kréol, une cité (bidonville) appelé Africa Town. De l’autre côté de la route, il y a les anciens domaines des colons, maisons de maîtres et quartiers d’esclaves. C’est là que travaille la mère de Noémie, pour la famille De Grandbourg, comme domestique.

    Je suis l’arrière-petite-fille issue d’un viol de plantation. Mon noir-d’ébène-légèrement-plus-clair présente une nuance. Je suis la fille d’esclaves créoles et de quelque chose de bien plus sinistre. Une lignée de domestiques et de maîtres blancs qui maltraitaient leurs travailleurs. J’ai une ascendance masculine blanche en moi. Involontairement. La blancheur que je porte n’était pas un choix. Les barons du sucre cupides ont pris ce qu’ils voulaient -des femmes et des filles sur lesquelles ils avaient un pouvoir absolu- et ont négligé ensuite de déclarer leurs enfants. Comment peuvent-ils nier leur passé morbide alors que nous -les bâtards du colonialisme- sommes là pour leur rappeler leur héritage. Nous portons la vérité sur nous. Aussi claire que la lumière du jour. Le ciel bleu au-dessus de nous ne ment pas. Nous sommes la preuve vivante d’une histoire sombre qui ne peut être étouffée. Regardez-moi et dites-moi que l’histoire ne m’a pas entachée.

    Le décor est posé, le ton est mis. Noémie a 15 ans, des espoirs qui poussent de partout mais qui sont déjà étouffés par sa très grande lucidité sur ce dont sera fait son avenir. Car cette route qui sépare sa ti lakaz de la grande demeure bourgeoise des De Grandbourg est aussi la fracture entre deux classes sociales et deux peuples. Une fracture qui, légalement, historiquement, ne devrait plus exister. Mais les ravages de l’esclavage ne se sont pas arrêtés à son abolition, bien que désormais le travail soit payé, à peine assez pour survivre, mais, hé, hein, bon, les anciennes mœurs n’ont pas vraiment changé. La mère de Noémie, qui cravache dur, dévouée à la famille qu’elle sert depuis si longtemps, n’est pas mieux traitée (voire moins bien) que le chien. Le racisme, dans ce qu’il a de plus insidieux, est le quotidien des deux femmes et de toute la communauté créole. À l’école, Noémie ressent la colère et la rancœur de ses enseignants. Envers qui ? Leurs élèves qu’ils considèrent comme trop mauvais pour leur enseignement ? Un système dont ils savent qu’il condamne ces jeunes à une vie misérable ?
    Pour Noémie, le destin semble assez tracé. Aider sa mère puis, qui sait, la remplacer, plus tard, au service des De Grandbourg. Encaisser jour après jour les humiliations mesquines, les remarques hautaines, les regards méprisants des blan sur la vilin tifi kreol. Sa conscience, Noémie l’a construite seule, via les gifles de la vie. La mort de sa sœur, le départ de son père, le quotidien de sa mère. Tout lui tombe dessus comme une fatalité. Seule une femme, Miss Maggie, une anglaise blanche bénévole à l’école montre un peu de considération pour ces enfants et les regardent au-delà de leurs limites. Elle parle féminisme, droits humains, patriarcat, herstory… Mais tous ces mots, tous ces concepts seront-ils suffisants pour permettre à Noémie de casser la lourde histoire esclavagiste de l’île, qui perdure et les broie, elle et sa famille, ses camarades, et toute la population créole ? Car pendant que l’injustice et la violence de la situation déchire notre jeune héroïne, les De Grandbourg et leurs semblables se délectent de leur domination, de leur fortune et des plages de sable blanc, qui sont leur par leur seule volonté et celle du fouet.

    Riambel est un premier roman qui vient renverser l’imaginaire idyllique de Maurice en nous rappelant que, là-bas comme ailleurs, la violence de l’histoire esclavagiste et de la colonisation ne s’est pas arrêtée après une loi, mais s’est enfoncée tellement profondément dans les gènes que les blancs ne s’arrêtent plus de se croire maîtres et supérieurs, possédant encore le droit de vie ou de mort sur celles et ceux qui ne sont pourtant plus leur propriété. Priya Hein nous raconte cette histoire brutale sans ménagement et avec poésie, nous accordant, dans la violence de la vie de Noémie, quelques répits culinaires improbables et bienvenus, peut-être l’une des dernières choses que les blancs n’arracheront pas.

    Traduit de l’anglais (île Maurice) par Priya Hein et Haddiyyah Tegally
    Éditions Globe
    207 pages

  • Récitatif – Toni Morrison

    Twyla et Roberta se rencontrent au foyer St-Bonaventure lorsqu’elles ont huit ans. Beaucoup de choses semblent les séparer, mais, pendant cette période, la solitude et la séparation (temporaire) de leurs mères les rapprochent. Au fil des ans, elles se recroiseront et leurs rencontres porteront avec elles les tensions sociales et raciales de l’époque. Car les deux petites ne sont pas de la même couleur de peau.

    Ma mère dansait toute la nuit et celle de Roberta était malade. Voilà pourquoi on nous a emmenées à St-Bonny. Les gens veulent vous prendre dans leurs bras quand vous leur dites que vous avez été dans un foyer, mais franchement, celui-ci n’était pas mal. Pas une immense salle en longueur avec cent lits comme à Bellevue. Quatre par chambre, et quand on est arrivées, Roberta et moi, il y avait une pénurie de gosses à prendre en charge, donc on était les seules affectées à la 406 et on pouvait aller d’un lit à l’autre, si on voulait. Et on voulait, en plus. On changeait de lit tous les soirs, et pendant les quatre mois entiers où on a été là-bas, on n’en a jamais choisi un seul pour être notre lit permanent.
    Ça n’avait pas débuté comme ça. A la minute où je suis entrée et où Bozo le Clown nous a présentées, j’ai eu la nausée. Être tirée du lit tôt le matin, c’était une chose, mais être coincée dans un lieu inconnu avec une fille d’une race tout à fait différente, c’en était une autre. Et Mary, à savoir ma mère, elle avait raison. De temps à autre elle s’arrêtait de danser assez longtemps pour me dire des choses importantes, et une des choses qu’elle a dites, c’était qu’ils ne se lavaient jamais les cheveux et qu’ils sentaient bizarre. Roberta, c’est sûr. Qu’elle sentait bizarre je veux dire. Donc quand Bozo le Clown (que personne n’appelait jamais Mme Itkin, de même que personne ne disait jamais St-Bonaventure) a dit « Twyla, voici Roberta. Roberta, voici Twyla. Faites-vous bon accueil », j’ai répondu : « Ma mère, ça va pas lui plaire que vous me mettiez ici. […] »

    Récitatif est donc l’histoire de l’amitié forte mais brève entre deux petites filles et de leurs retrouvailles au fil des décennies dans des États-Unis bouillonnants tant culturellement que socialement. Et comme on le comprend dans cet incipit, l’une est noire, l’autre blanche. Sauf que jamais, à aucun instant, Toni Morrison ne nous dit qui est de quelle couleur. On cherchera des indices dans leurs conversations, leur posture, leurs goûts, leur vie (on remercie d’ailleurs mille fois la traductrice Christine Laferrière pour les notes indispensables à la bonne compréhension pour le lectorat moins connaisseur de l’histoire des États-Unis à cette époque), mais toutes ces informations, qui peuvent faire pencher notre décision d’un côté comme de l’autre, ne fait que nous renvoyer à nos propres a priori, à nos clichés, à notre racisme. Faut-il être plutôt blanche ou noire pour avoir une mère fêtarde, ou très croyante ? Qui est plus à même de traverser les États-Unis avec des hippies pour écouter Jimi Hendrix ? Qui épousera un homme riche ?

    Rien n’est clair, ou plutôt tout est clair : nous voulons savoir. Nous cherchons cette information, soit pour assurer nos croyances et nos convictions sur ce qu’est un·e noir·e ou une blanc·he aux États-Unis, soit pour les bouleverser, mais nous cherchons la couleur dans chaque mot, chaque intonation, chaque geste.

    On peut avoir tendance à projeter sur Twyla, la narratrice, la couleur de l’autrice. Ou la nôtre, en tant que lecteur·ice, par identification. En tant que lecteur·ice européen·ne, nous allons également faire appel à tous les codes vus dans les films et séries états-uniennes pour essayer de repérer les indices, car il y en a forcément, non ? Pendant ce temps, telle une mise en abyme de notre propre désarroi, les rencontres entre les deux femmes font remonter un souvenir, celui de l’aide de cuisine du foyer, Maggie, femme muette à la peau couleur sable moquée et brutalisée par les filles plus grandes. Nos deux héroïnes ont-elles un jour, elles aussi, succombé à la facilité de l’agression ? Les souvenirs sont flous et Twyla se perd, cherche des repères auxquels s’accrocher dans cette enquête. Maggie elle-même était-elle noire ou blanche ?

    Il suffit de quelques pages à Toni Morrison pour faire voler en éclat notre assurance, nos croyances, et pour nous confronter à notre propre racisme, à nos idées reçues. Cette édition est augmentée d’une postface de Zadie Smith, indispensable pour analyser et décortiquer tout le travail de Toni Morrison pour parvenir à ce flou littéraire et sociétale qui nous paralyse tant.

    Une nouvelle incroyable, un exercice littéraire et social et une expérience de lecture indispensable !

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Laferrière
    Postface de Zadie Smith
    Éditions Christian Bourgois
    122 pages

  • Ce que tomber veut dire – Ana Negri

    Clara a trente ans lorsque les choses commencent à s’effriter. Lorsque sa mère commence à perdre pied. Fille d’exilés argentins, Clara est née au Mexique et cherche à tracer sa voie dans les embouteillages qui jonchent sa vie, ceux des rues de Mexico et ceux qui embourbent la tête de sa mère.

    Le corps penché au-dehors, les avant-bras sur la balustrade, Clara regarde depuis son balcon. Le balcon où sa mère la baignait dans un baquet en plastique bleu les jours de canicule, il y a trente ans, au septième étage du 21, rue Avila-Camacho. A l’époque, on n’avait pas construit cet horrible immeuble de bureaux juste en face de son appartement et, où qu’on regarde, on pouvait encore voir le gris parsemé de vert de la ville. Aujourd’hui, ce qui saute aux yeux, c’est la quarantaine de fenêtres fumées qui séparent plus d’une centaine d’employés des courants d’air, du vide et de Clara, sur son balcon, qui regarde vers la droite, où elle devine l’horizon, totalement gris désormais, de la ville de Mexico.

    Tandis que Clara se débat avec sa propre vie, entre rupture compliquée, travail, problème d’argent, bref, le quotidien, elle doit également accompagner sa mère dans les démarches administratives ouvertes par l’état argentin à la fin de la dictature. En effet, des « réparations » sont proposées aux exilé-es, en échange d’une pile de paperasse justifiant du préjudice subi.
    Devant cette mère dont l’esprit se disloque lentement, Clara se sent chavirer, elle aussi. Fille du Mexique, elle a grandi traversée par deux pays, celui de sa naissance et de sa vie, et celui de ses parents, dans lequel son père finit par retourner, laissant à sa fille le poids de l’exil et de la détresse maternelle.
    Ana Negri nous raconte avec beaucoup d’humour, d’amour et de dureté cette histoire de fuites. La fuite d’Argentine, dont l’histoire a longtemps été tue et qui a brodé son enfance et sa vie d’adulte, la fuite de son père, la fuite de la raison de sa mère, doucement euphémisée par une grande « nervosité ». On passe du présent au passé, des souvenirs de Clara de cette mère fantasque, forte et pourtant déjà sur la brèche, hantée et toujours terrifiée par une dictature militaire dont l’ombre plane encore sur son quotidien, dans le clignotement d’une lumière, le bris d’un pot, la présence lourde des voisins. Clara se bat, s’agace de cette prison mémorielle dans laquelle elle est enfermée malgré elle, de cet exil qui, sans être le sien, lui est transmis par l’histoire de ses parents, par les expressions quotidiennes et les tournures linguistiques qui la distingue de ses cousins argentins.
    Des fuites en arrière, des chutes qui ponctuent la vie de Clara, qui sait depuis sa plus tendre enfance ce que tomber veut dire.

    Un roman très fort sur l’exil, la famille et la construction de soi, dur et touchant.

    Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron
    Éditions du Globe
    124 pages

  • Strega – Johanne Lykke Holm

    Rafaela et huit autres jeunes femmes empruntent le téléphérique qui relie la ville de Strega à la montagne. Elles s’apprêtent toutes à passer un temps certain à l’Hôtel Olympic, envoyées là par leurs parents comme saisonnières. Elles vont apprendre à laver, dresser la table, servir, et attendre. Car de clients, pour le moment, point n’en vient. Et puis un jour, l’une d’elles disparaît.

    Je me contemplai dans le miroir. J’y reconnus une femme jeune, mais déchue. Je me penchai pour presser ma bouche contre le miroir. La buée se diffusa sur le verre comme de la vapeur dans une pièce où quelqu’un avait dormi aussi profondément qu’un mort. Derrière moi, la pièce se reflétait. Sur le lit se trouvaient des épingles à cheveux, des somnifères et des culottes en coton. Sur le drap, il y avait des taches de lait et de sang. Je pensai : si quelqu’un prenait une photo de ce lit, toute personne sensée se dirait qu’il s’agit de la reconstitution du meurtre d’une petite fille ou d’un enlèvement particulièrement brutal. Je savais que la vie d’une femme pouvait se transformer à tout moment en scène de crime. Je n’avais pas encore compris que je vivais déjà dans cette scène de crime, que la scène de crime n’était pas le lit mais mon corps, que le crime avait déjà eu lieu.

    Gaia, Barbara, Lorca, Paula, Alba, Bambi, Alexa, Cassie, Rafa. Neuf jeunes femmes à qui l’on apprend à bien se tenir et à bien servir. À bien servir des clients, à bien servir des hommes, à bien servir, le temps venu, leur homme. Car la femme est là pour cela, pour ressentir l’émotion que fait battre l’homme dans sa poitrine, et lui rendre la vie belle et facile.
    Mais en attendant, les jeunes femmes se rencontrent. Rafa rencontre Alba. Elles rencontrent la montagne, la brume, et l’attente. Les non-dits et l’angoisse latente qui y poussent. On attend les clients comme des fantômes sortant de la brume. On finit par ne plus y croire. Et puis un jour, on organise une grande fête, une cérémonie, un rituel. Tandis que l’automne arrive et étend ses branches enflammées et sèches dans la blancheur lactée des volutes aurorales, l’hôtel prend soudain vie et attend ses hôtes. Et l’une d’elle disparaît. Les filles comprennent, sentent dans leurs chairs que leur amie n’est plus, mais il faut comprendre, il faut la trouver. En souvenir des cigarettes et des cafés, des nuits opalescentes, du sang qui les unit et de celui qu’on leur prend(ra). Car la violence trace ses sillons dans le corps et l’esprit des femmes, qu’elles s’en rendent compte ou non. Et la première chose à faire est de ne pas l’ignorer.

    On nous murmure ce roman à l’oreille, à travers un tissu ouaté. Les mots qui franchissent les lèvres rouges, tout contre notre joue, nous glacent le sang autant qu’ils nous fascinent. Tout en légèreté irréelle, en entraves suspendues, Strega nous raconte, lectrice, lecteur, ma lune rouge, les liens qui se forgent, invisibles et incassables, entre ces 9 jeunes femmes qui comprennent ce qu’elles sentaient déjà dans leurs peaux, ce refus de leur existence propre et la possibilité constante de leur disparition. Dans une atmosphère feutrée, comme un Shining étouffant et vibratoire, la violence, silencieuse, sourd et s’insinue. Mais ce qui se crée entre elles, cette sororité, cette volonté d’opposition commune, de voix collective, aura peut-être le pouvoir de faire basculer les choses.

    Un roman sensuel et angoissant qui dispense par touches incandescentes sa force et sa magie.

    Traduit du suédois par Catherine Renaud
    La Peuplade
    249 pages

  • Un psaume pour les recyclés sauvages – Becky Chambers

    Frœur Dex est moine aux Bocages, dans un monastère en ville. Tout semble plutôt bien se passer, mais iel sent au fond qu’il manque quelque chose dans sa vie. Et ce quelque chose résonne dans l’absence des stridulations des grillons. Iel décide donc d’abandonner sa charge et de devenir moine de thé. Cette nouvelle fonction l’amène à se déplacer sur les routes de campagne de Panga et d’apporter écoute et mélange d’herbes aux habitant·es en besoin. C’est sur une route oubliée que Dex va rencontrer Omphale, un robot venu prendre des nouvelles des êtres humains, après des siècles de séparation.

    Si vous demandez à six moines différents quel dieu règne sur la conscience des robots, vous obtiendrez sept réponses différentes.
    La plus populaire, parmi le clergé comme chez les laïcs, affirme qu’il s’agit de Chal. De qui dépendraient les robots sinon du dieu des constructions ? D’autant plus, explique-t-on, qu’à l’origine les robots avaient été créés dans un but industriel. Même si l’ère des usines est une page sombre de notre histoire, nous ne pouvons ignorer les motifs qui ont donné naissance aux robots. Nous les avons construits pour qu’ils construisent. C’est l’essence même du dieu Chal.
    Pas si vite, rétorqueraient les écologiaires. L’Éveil a eu pour conséquence le départ des robots, qui ont tous quitté les usines pour la nature. Il suffit d’évoquer la déclaration du porte-parole des robots, Niveau-AB#921, lorsque ceux-ci ont refusé d’intégrer la société humaine avec un statut de citoyens libres.
    « Nous n’avons jamais connu d’autres vies que celle conçue par l’humanité, depuis nos corps jusqu’à nos tâches en passant par les bâtiments que nous occupons. Nous vous remercions de ne pas nous contraindre à rester ici, et, même si votre proposition nous touche, nous souhaitons quitter vos villes afin d’observer ce qui n’est pas une création : la nature sauvage. »

    C’est un plaisir doux et délicat que de retrouver Becky Chambers. Dans ce court roman aux allures de conte philosophique, elle déploie avec intelligence sa science-fiction positive et sa vision optimiste de la suite de l’humanité. Nous retrouvons celle-ci après de grands bouleversements, réorganisée, plus proche de la nature, apaisée. Pourtant, tout n’est pas si simple, l’âme humaine aimant à se torturer l’esprit. Et Dex est en pleine crise de conscience. Sa rencontre et son cheminement avec Omphale, robot émissaire de son peuple venant découvrir l’évolution de de l’humanité après des siècles de séparation sera l’occasion pour iel de creuser ce mal-être, ces questionnements incessants. Car Omphale et les autres robots ont une question, une seule, après tant de temps : de quoi les gens ont-ils besoin ?
    Quelle place faut-il avoir dans le monde, dans la société, dans sa propre vie ? Quels objectifs souhaite-iel atteindre et pourquoi ? La vision apparemment naïve car complètement autre du robot va obliger Dex à interroger ses préjugés, ses attentes et son rapport à iel-même. Doit-on absolument avoir une utilité ultime ? La vie n’est-elle qu’un chemin vers un accomplissement unique ou se constitue-t-elle de multiples expériences, découvertes et réalisations qui amènent chacune une pierre à l’édification de notre être, voué quoi qu’il arrive à la disparition ?

    Au milieu des ruines rendues à la nature et dans les volutes réconfortantes des infusions herbacées, Dex et Omphale vont chacun·e (re)nouer avec un passé qui les a construit·es pour tenter de continuer, avec plus de sérénité, à cheminer en guettant toujours les stridulations des grillons.

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Surgers
    L’Atalante
    133 pages

  • Les désirs flous – Dola de Jong

    Alors qu’elle rend visite à une camarade de convalescence, Béa rencontre Érica, jeune journaliste au caractère fougueux et versatile. Les deux jeunes femmes s’entendent et emménagent ensemble dans un petit appartement. Nous sommes à Amsterdam, à l’été 38. Béa, sage employée de bureau, vit sa vie tranquillement, attendant peut-être un homme bon qu’elle épousera, tandis qu’Erica se montre aussi explosive que mystérieuse. Très vite, l’amitié entre les deux femmes se noue de tensions et de non-dits, tandis qu’autour d’elles la guerre tend ses premiers filets en Europe, et aux Pays-Bas.

    J’ai rencontré Érica en 1938 chez une amie commune, une vague connaissance à vrai dire, à qui je consacrais peu de temps. Les six semaines passées côte à côte dans une salle d’hôpital ne m’avaient pas incitée à approfondir nos relations, pour la simple raison que, pendant un mois et demi, elle m’avait fatiguée avec ses bavardages. Wies appartenait à ce genre de femmes qui, dès qu’elles se trouvent en présence d’une personne du même sexe, déploient les filets de la complicité et la seule façon d’en réchapper – la fuite à l’anglaise- était impossible dans ma situation. Elle possédait la carapace propre à son espèce, et mon manque d’enthousiasme, ma feinte somnolence ne faisaient que l’encourager à toujours plus de confidences. Après sa guérison, qui eut lieu deux semaines avant la mienne, elle me rendit souvent visite, chaque fois les bras chargés de fleurs et de friandises.

    Béa est une jeune femme bien sous tout rapport, moderne, discrète. Lorsqu’elle rencontre Érica, elle ne se doute pas un seul instant que la jeune femme va venir chambouler non seulement son quotidien, mais aussi ses désirs et sa vie. Passionnée et débordante, Érica brûle la chandelle par les deux bouts. Fâchée avec ses parents, notamment sa mère qu’elle méprise cordialement, elle passe d’un enthousiasme communicatif à une froideur mortelle en un instant. Fascinée par sa nouvelle amie, Béa se retrouve absorbée par ce tourbillon incessant et tente de comprendre les sensations et les désirs qui en jaillissent. Jalousie, possession, rejet et passion, c’est un arc-en-ciel d’émotions qui déferle sur Béa. Elle se retrouve en lutte constante face au comportement quelque peu abrupt voire abusif d’Erica, qui avance, bulldozer enflammé, sans sembler se soucier des étincelles qu’elle sème derrière elle.

    Narré par Béa, le récit nous emmène non seulement dans le questionnement de ses émois, mais aussi dans les mailles serrées de la société néerlandaise, entre un conservatisme qui se fissure et un nazisme qui s’instille. Leur histoire se tresse des bouleversements qui secouent l’Europe, avant de la renverser et de les renverser sur leur passage.

    Dans un style très calme et posé, presque analytique, Les désirs flous raconte avec pudeur et précision les tourments d’une jeune femme et d’une époque, prises dans quelque chose qui les dépasse et qui ne peut être nommé dans l’instant. Un très joli texte plein de profondeur.

    Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Mireille Cohendy
    Éditions du Typhon
    166 pages

  • Les marins ne savent pas nager – Dominique Scali

    Sur l’île d’Ys, quelque part entre la Bretagne et Terre-Neuve, on est marin ou terrien, citoyen ou aspirant à l’être. On vit avec la mer, à son rythme et sous son joug, on l’aime ou on la hait, de loin depuis le rivage ou de haut sur le pont d’un navire. Mais on ne s’y baigne pas, on ne nage pas.
    Danaé Poussin, jeune orpheline sur la rive, sait nager, elle. Avec plaisir et délectation. Pour survivre elle va tenter de s’élever.

    Nous vivions sur une île où tous dépendaient de la mer, où même les terriens se vantaient d’être marins. Et pourtant personne ne savait nager.Pour les Grecs de l’Antiquité, la capacité de nager était une vertu militaire et civique. Les gamins étaient bercés de récits de batailles gagnées ou d’échappées réussies grâce aux talents des guerriers-nageurs de leur cité. Pour les Romains, la natation devait figurer sur tout curriculum au même titre que l’écriture et la lecture. Un citoyen digne de ce nom ne craignait ni de plonger ni de se mettre à nu face à des adversaires perses ou barbares qui refusaient de se démunir de leur plastron et restaient enchaînés à la côte.
    À Ys, ceux qu’on appelait les Premiers hommes furent les premiers à renouer avec cette idée. Leurs poupons étaient baignés dans l’eau si jeunes qu’ils n’oubliaient jamais ce qu’ils avaient appris dans le ventre de leur mère. Ils avaient l’instinct de bloquer leur respiration lors de l’immersion. Avec un peu de pratique, ils se retournaient sur le dos ou pataugeaient vers une cible pour l’agripper. Ainsi, leurs petits entraient dans le métier avec une aptitude que peu de gens possédaient.
    Ce don, Danaé Berrubé-Portanguen dite Poussin le possédait. Selon nos archives, elle est née cinq ans avant le Massacre des Premiers hommes et décédée quatre ans avant la Grande Rotation. On nous dit qu’elle a été enfant du rivage, naufrageuse sans scrupules, secoureuse sans limites, fille de pilotes, mère d’orphelins, héritière d’une arme dont elle ne sut jamais se servir à temps.

    Sur Ys, être Issois est non seulement une question de caractère, mais aussi de classe sociale, pourrait-on dire. Bien évidemment, toustes les habitant·es peuvent se dire Issois avec fierté et honneur. Mais être citoyen·ne d’Ys, c’est encore un autre statut. Ys est une société méritocratique et quitter les rivages, les gifles mortelles et destructrices de la mer pour la sécurité des murs de la cité demande d’avoir fait preuve de bravoure, d’ingéniosité et de beaucoup de patience.
    Danaé Poussin, notre orpheline nageuse, vit sur les Échouements, une côte de l’île battue par des marées d’équinoxe meurtrières. Elle croisera d’abord un maître d’armes, citoyen déchu qui rêve de retrouver son rang et mettra au cœur de Danaé l’envie de franchir les murs de la ville. Puis un contrebandier, qui rêve de révolution. Ensuite un citoyen, un vrai, assureur d’armateurs, qui l’invitera à ses côtés derrière les hauts murs de pierre. Puis un pilote, fin connaisseur des fonds marins proches, guidant des bateaux vers le havre de l’île. Enfin, un enfant puis jeune homme, à l’heure de la révolte contre les règles injustes et opaques de l’accès à la citoyenneté.
    À travers l’histoire mouvementée de Danaé, nous allons découvrir l’histoire et les mœurs d’Ys, les fonctionnements et traditions de sa société et de l’entité géographique, géologique, de cette île qui est un personnage à part entière.

    Le grand talent de Dominique Scali, dans ce pavé qui se dévore le temps d’une lame de fond, est de nous présenter un monde à quelques pas du nôtre à peine, et si réel. Avec cette langue riche et surannée extrêmement mélodieuse, qui nous glisse dans l’épaisseur du bois de charpente, la lourdeur des voiles et la langueur des voyages au long cours, elle nous raconte une utopie brisée, une société qui ne sera jamais que le rêve perdu de marins et de terriens qui pensent parler ensemble mais ne s’accordent pas, de générations flouées et de laissé·es pour compte. La vie de Danaé est passée au crible d’un examen de conscience qui permet aux nouveaux maîtres de l’île de justifier leurs choix, leurs positions. Car leur révolution, tournant sur elle-même, laissera encore sur le rivage les ombres lasses des réparatrices de voiles, des pêcheurs sur leurs barques et des petit·es ramasseur·euses de coquillages.

    Un grand roman d’aventure maritime et de société porté par une langue qui nous roule sur la langue et qui entête longtemps !

    La Peuplade
    710 pages

  • La fille de l’Espagnole – Karina Sainz Borgo

    Adelaida Falcón vient de perdre sa mère, avec qui elle partageait un même nom et un appartement à Caracas. Nous sommes plus ou moins maintenant, ou dans ces eaux-là, et Adelaida affronte deux deuils : la mort de sa mère, qui l’a élevé seule, et celle de son pays, qui brûle et se tue chaque jour un peu plus. Alors que les Fils de la Révolution pillent et massacrent, Adelaida trouve refuge dans l’appartement de sa voisine, Aurora Peralta, dont la mère arriva d’Espagne quelques décennies plus tôt. Mais Aurora est morte, elle aussi. Et dans son appartement, toute une vie, de la nourriture, des euros et un passeport européen.

    Nous avons enterré ma mère avec ses affaires : sa robe bleue, ses chaussures noires à talons plats et ses lunettes à double foyer. Impossible de faire nos adieux autrement. Impossible de dissocier cette tenue de son souvenir. Impossible de la rendre incomplète à la terre. Nous avons tout inhumé, parce que après sa mort il ne nous restait plus rien. Pas même la présence de l’une pour l’autre. Ce jour-là, nous nous sommes effondrées d’épuisement. Elle dans son cercueil en bois ; moi sur la chaise sans accoudoirs d’une chapelle en ruine, la seule disponible parmi les cinq ou six que j’ai cherchées pour organiser la veillée funèbre et que j’ai pu réserver pour trois heures seulement. Plus que de funérailles, la ville regorgeait de fours. Les gens y entraient et en sortaient comme ces pains qui se faisaient rares sur les étagères et pleuvaient dru dans notre mémoire quand la faim revenait.

    Jetée hors de chez elle par une milice de femmes, frappée et humiliée, Adelaida tente de reprendre ses esprits entre les murs d’une autre. Elle se replonge dans son enfance, les vacances auprès de ses tantes dans une petite ville sur la côte et la vie avec sa mère. Et sous ses fenêtres, des combats incessants, guerilleras urbaines entre les Fils et Filles de la Révolution, leurs opposants et toute personne ne semblant pas assez transcendée par le grand leader du pays, ou qui passait par là.
    On découvrira touche après touche l’histoire personnelle d’Adelaida, recouverte du sang et des plaies ouvertes par la violence de la dictature qui s’étend.

    Près de 7 millions de Venezuelien·nes ont quitté leur pays ces dernières années. 7 millions. Plus que la population des trois états baltes. L’équivalent de la Bulgarie. C’est le plus grand exode qu’ait connu l’Amérique latine, le second au monde après la Syrie dans l’histoire contemporaine.
    Que sommes-nous prêt·es à accepter lorsque notre quotidien s’écroule ? Jusqu’où serions-nous prêt·es à aller pour survivre ? Partir, ne plus (jamais) revenir. Dispersion. Diaspora. Celles et ceux qui sont ailleurs, celles et ceux qui sont resté·es.

    C’est un récit de survie, le récit de ce qui précède un exode que la narratrice sait vital mais qui reste une idée insupportable. Partir, abandonner sa mère, bien que déjà morte, abandonner ce qui reste de sa famille, laisser sa culture, son histoire, son pays, ses ami·es. Être étrangère chez soi, le devenir ailleurs. Le devenir à soi, littéralement ? Adelaida, au milieu du fracas des combats et des luttes pour maintenir l’illusion d’un quotidien dans un nuage de poussière et de gravats, devra faire des choix, quitte à s’oublier.

    Traduit de l’espagnol (Venezuela) par Stéphanie Decante
    Éditions Folio
    286 pages

    Pour creuser le sujet : La Mission de l’ONU au Venezuela dénonce des crimes contre l’humanité dans la répression de l’opposition (Le Monde)

  • Homo sapienne – Niviaq Korneliussen

    À Nuuk, capitale du Groenland, 5 jeunes gens tentent de trouver leur place et leur identité. Fia, en couple avec Piitaq, est sur le point d’exploser sans comprendre vraiment pourquoi. Son frère, Inuk, lutte contre qui il est et la trahison de sa meilleure amie, Arnaq, qui elle, de fête en fête, goulot à la bouche, papillonne d’histoire d’un soir en coup d’une nuit. Ivik doute de qui elle est et n’est pas, et Sara, pleine d’émotions et vide de sens, cherche un moyen de s’apaiser.

    Nos projets
    1. Mes études terminées et nos revenus assurés, nous achèterons une maison avec beaucoup de pièces et un balcon.
    2. Nous nous marierons.
    3. Nous ferons trois-quatre enfants.
    4. Tous les jours, nous irons faire nos courses après le travail et nous rentrerons en voiture.
    5. Nous vieillirons et nous mourrons.

    Piitaq. Un homme. Trois ans. Des milliers de projets. Des millions d’invitations à dîner. Séances d’aspirateur et de ménage qui tendent incessamment vers l’infini. Sourires faux qui s’enlaidissent. Baisers secs qui se figent comme du poisson séché. Il faut éviter le mauvais sexe. Mes orgasmes simulés sont de moins en moins crédibles. Mais nous continuons à faire nos projets.
    Les journées s’assombrissent. Le vide en moi s’agrandit. Mon amour n’a plus aucun goût. Ma jeunesse vieillit. Ce qui me maintient en vie se dirige uniquement vers la mort. Ma vie s’est usée, flétrie. Quelle vie ? Mon cœur ? C’est une machine.

    Chacune des voix qui s’exprime dans le livre de Niviaq Korneliussen est à un croisement de sa vie. Et ce croisement est assez terrifiant. C’est un gouffre sombre, une forêt épaisse, deux morceaux de banquise qui se rapprochent en grondant. Et pourtant, c’est un saut à prendre, une traversée à faire. Celle qui demande sans doute le plus de courage et de solitude. Nos cinq voix vont devoir se confronter à elles-mêmes, à leurs amours, leurs émois, leur âme.

    Niviaq Korneliussen nous fait visiter leurs pensées intimes dans un style allant du tranchant de la résignation désespérée et pourtant inacceptable à la poésie de la chute prochaine et irrémédiable. Elle raconte avec une grande précision et beaucoup d’empathie la complexité d’exister tel que l’on se (re)sent lorsque la norme écrase de tout son poids le champ des possibles, la soudaineté brutale d’une compréhension floue qui tombe sur le coin de l’œil et dont on devine qu’elle va tout chambouler, qu’il s’agisse d’un regard avec cette fille pendant une soirée ou de la distance que l’on met avec son ou sa partenaire. Tous ces moments qui tremblent, vibrent et obligent à la décision, à un choix qui viendra de très loin, avec beaucoup de douleur sûrement, mais peut-être beaucoup de beau et de sérénité, après.

    Choisir c‘est renoncer, choisir c’est s’affirmer, et les personnages de Niviaq Korneliussen ont leur vie à hurler sur les toits. Un cri primal pour des thèmes on ne peut plus contemporains et une autrice à suivre.

    Traduit du danois par Inès Jorgensen
    Éditions 10/18 – La Peuplade
    190 pages

  • Le chien noir – Lucie Baratte

    Il était une fois une jeune fille de 16 ans, la princesse Eugénie, fille du roi d’un puissant royaume. Son père, le terrible roi Cruel, était un homme tyrannique et violent. Un beau jour, il décide de la marier au mystérieux roi Barbiche, seigneur d’une contrée lointaine. La jeune Eugénie part avec son nouvel époux, un homme aussi flamboyant que sombre, à la barbe noire bestiale et fournie et aux yeux de feu. En chemin, au cours d’un terrible orage qui fait trembler la forêt, elle sauve un jeune chien noir, qui deviendra son compagnon dans sa vie de malheur et de solitude.

    Il était une fois, une fois plus vieille, une fois plus sombre, dans un pays forcément très loin d’ici, un roi si cruel qu’on le croyait descendant d’un ogre. Il avait épousé une femme belle et froide comme la nuit qui lui avait donné une fille belle et gaie comme le jour. Puis la reine mourut, succombant paraît-il aux méchancetés de son mari.
    Bien des années après ce drame, la petite princesse était devenue jeune fille. L’éclat de sa beauté troublait tous ceux qui s’attardaient à la contempler. De longs cheveux d’un noir intense, lisses, lourds et épais, entouraient un visage ovale aux lignes pures. Ses yeux, comme ceux des grandes héroïnes, vous contaient le monde dans ses reflets vert et or. Un sourire, et le rose de ses joues attirait votre attention sur l’exquise douceur promise par la finesse de sa peau. Et c’est dans ce même instant que vous baissiez le regard, gêné par votre curiosité à la vue de la grande tache ténébreuse qui coulait, régulière, le long de son visage, de l’œil gauche au bas de la joue.

    Nous les connaissons toutes et tous, ces contes, ces histoires racontées encore et encore, dans leur version Andersen/Perrault/Grimm/Disney. Leurs rebonds, leurs ressorts n’ont plus de secrets pour nous, ce qui fait de l’exercice de leur réécriture quelque chose d’aussi amusant que risqué.
    Lucie Baratte reprend ici en grande partie Barbe-Bleue, mais aussi un peu de La Belle et la Bête. Allons à l’essentiel, j’ai été presque tout à fait convaincue, si ce n’est la fin, qui m’a laissé sur la mienne. Je ne te dévoilerai rien ici, lectrice, lecteur, mon doux rêve, mais j’ai espéré jusqu’au bout un dénouement qui n’irait pas dans ce sens-là, justement, pour la tendre Eugénie. Une issue libérée de tout homme et elle-même seule héroïne de sa propre liberté. C’est un parti-pris, faisons donc avec.
    Une fois cela dit, il serait à mon avis dommage de se priver de cette lecture, car le texte est absolument superbe. Lucie Baratte connaît ses contes sur le bout des doigts et reprend avec souplesse et délectation leurs rythmes, leurs tics et leurs archétypes. On trouvera d’autres références, toutes amenées avec malice et intelligence : qui la reconnaît s’en amusera, et qui non ne s’en trouvera pas lésé. Les quelques anachronismes glissés ça et là le sont également avec beaucoup de justesse et sans trop en faire, la beauté du geste servant tout autant le sens du récit et ajoute même un nouveau niveau à cette réinterprétation.
    Tout cela nous est conté avec une langue d’une noirceur poétique incroyable. Les mots et les phrases se murmurent à nos oreilles, confidences sombres et envoûtantes d’histoires oubliées à force d’être répétées et qui se réveillent à l’appel de la formule incantatoire bien connue Il était une fois.

    Une belle réécriture qui déroule toute la palette des noirs, de la nuit au charbon en passant par la Chine et le corbeau, un conte de fée gothique et moderne raconté dans le souffle d’une mélopée fascinante.

    Éditions du Typhon
    185 pages