Le chien noir – Lucie Baratte

Le chien noir

Il était une fois une jeune fille de 16 ans, la princesse Eugénie, fille du roi d’un puissant royaume. Son père, le terrible roi Cruel, était un homme tyrannique et violent. Un beau jour, il décide de la marier au mystérieux roi Barbiche, seigneur d’une contrée lointaine. La jeune Eugénie part avec son nouvel époux, un homme aussi flamboyant que sombre, à la barbe noire bestiale et fournie et aux yeux de feu. En chemin, au cours d’un terrible orage qui fait trembler la forêt, elle sauve un jeune chien noir, qui deviendra son compagnon dans sa vie de malheur et de solitude.

Il était une fois, une fois plus vieille, une fois plus sombre, dans un pays forcément très loin d’ici, un roi si cruel qu’on le croyait descendant d’un ogre. Il avait épousé une femme belle et froide comme la nuit qui lui avait donné une fille belle et gaie comme le jour. Puis la reine mourut, succombant paraît-il aux méchancetés de son mari.
Bien des années après ce drame, la petite princesse était devenue jeune fille. L’éclat de sa beauté troublait tous ceux qui s’attardaient à la contempler. De longs cheveux d’un noir intense, lisses, lourds et épais, entouraient un visage ovale aux lignes pures. Ses yeux, comme ceux des grandes héroïnes, vous contaient le monde dans ses reflets vert et or. Un sourire, et le rose de ses joues attirait votre attention sur l’exquise douceur promise par la finesse de sa peau. Et c’est dans ce même instant que vous baissiez le regard, gêné par votre curiosité à la vue de la grande tache ténébreuse qui coulait, régulière, le long de son visage, de l’œil gauche au bas de la joue.

Nous les connaissons toutes et tous, ces contes, ces histoires racontées encore et encore, dans leur version Andersen/Perrault/Grimm/Disney. Leurs rebonds, leurs ressorts n’ont plus de secrets pour nous, ce qui fait de l’exercice de leur réécriture quelque chose d’aussi amusant que risqué.
Lucie Baratte reprend ici en grande partie Barbe-Bleue, mais aussi un peu de La Belle et la Bête. Allons à l’essentiel, j’ai été presque tout à fait convaincue, si ce n’est la fin, qui m’a laissé sur la mienne. Je ne te dévoilerai rien ici, lectrice, lecteur, mon doux rêve, mais j’ai espéré jusqu’au bout un dénouement qui n’irait pas dans ce sens-là, justement, pour la tendre Eugénie. Une issue libérée de tout homme et elle-même seule héroïne de sa propre liberté. C’est un parti-pris, faisons donc avec.
Une fois cela dit, il serait à mon avis dommage de se priver de cette lecture, car le texte est absolument superbe. Lucie Baratte connaît ses contes sur le bout des doigts et reprend avec souplesse et délectation leurs rythmes, leurs tics et leurs archétypes. On trouvera d’autres références, toutes amenées avec malice et intelligence : qui la reconnaît s’en amusera, et qui non ne s’en trouvera pas lésé. Les quelques anachronismes glissés ça et là le sont également avec beaucoup de justesse et sans trop en faire, la beauté du geste servant tout autant le sens du récit et ajoute même un nouveau niveau à cette réinterprétation.
Tout cela nous est conté avec une langue d’une noirceur poétique incroyable. Les mots et les phrases se murmurent à nos oreilles, confidences sombres et envoûtantes d’histoires oubliées à force d’être répétées et qui se réveillent à l’appel de la formule incantatoire bien connue Il était une fois.

Une belle réécriture qui déroule toute la palette des noirs, de la nuit au charbon en passant par la Chine et le corbeau, un conte de fée gothique et moderne raconté dans le souffle d’une mélopée fascinante.

Éditions du Typhon
185 pages

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