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  • Fun Home – Alison Bechdel

    Alison est étudiante lorsque son père meurt, écrasé par un camion. Elle pense suicide, bien que la thèse de l’accident reste l’officielle. Quelques temps avant, elle avait annoncé à ses parents qu’elle était lesbienne. Et, dans la foulée, elle avait appris que ce père au caractère si complexe était lui aussi homosexuel. C’est un tourbillon vertigineux sur son enfance et le rapport au père qui s’ouvre alors, pour tenter de comprendre cet homme autoritaire et cultivé.

    Alison Bechdel est d’abord connue pour son fameux test de Bechdel, visant à déterminer la représentation de femmes, et donc le potentiel niveau de sexisme, dans un film via trois questions. Mais elle est surtout l’autrice d’une œuvre graphique importante tant par son rayonnement que sa reconnaissance. Avec Fun Home, elle se livre à l’exercice de l’autobiographie, qui prend ici l’apparence d’une analyse poussée de son enfance et surtout, tu l’auras compris, de son père.
    Alison grandit dans une petite ville de Pennsylvanie avec ses frères et ses parents. Ils vivent dans une vieille maison de style néo-gothique patiemment et minutieusement retapée par le paternel, passionné par les arts décoratifs et vouant un certain culte à l’esthétisme. Professeur d’anglais le jour, il est également à la tête de la petite entreprise familiale de pompes funèbres de la ville, le Funeral Home. Bruce Bechdel est un homme aussi dur et impatient avec ses enfants et sa femme qu’il se montre attentionné et méticuleux lorsqu’il s’agit de meubler, retaper, se vêtir, assortir. Homme de peu de mots, ceux-ci sont souvent durs et amers et seule la beauté des choses et de sa maison semble lui apporter un quelconque plaisir. Et la littérature. Bruce est passionné de littérature, art qui deviendra bientôt le meilleur moyen pour sa fille de créer un lien avec lui.

    Cette autobiographie graphique est une œuvre d’une richesse et d’une complexité rare. Alison Bechdel creuse, déterre et revient sur différents éléments marquants de son enfance et de son adolescence, les décrivant et analysant à l’aune des nouvelles découvertes qu’elle fait et de son regard évoluant avec l’âge et la prise de conscience de qui elle est elle-même. La révélation de l’homosexualité de son père la fait replonger d’une part dans les souvenirs qu’elle pouvait avoir de lui avec des hommes (parfois bien jeunes) qui passaient donner un coup de main pour les travaux, les emmenaient camper elle et ses frères, mais aussi sur son rapport au genre, à sa féminité et sa masculinité et celle de son père.
    Homme de lettres, Alison Bechdel utilise les auteurs et œuvres favorites de son père pour tenter de mieux le cerner. De Proust à Joyce et de Wilde à Fitzgerald en passant par Camus, ces livres lui donnent de multiples clefs de lecture qui tracent un chemin dans les fourrés de la jungle paternelle, et par-là même, dans le décryptage de leur vie et leur relation. Raconté avec un dessin tout aussi précis et minutieux que l’est son enquête et son analyse quasi-psychanalytique, Fun Home est une immersion totale dans les secrets d’une famille d’apparence banale qui contient, bien enfermées, bien étouffées, beaucoup des souffrances contemporaines.

    Œuvre forte et rigoureuse, Fun Home dresse le portait d’une famille et d’une époque en plein bouleversement, dont on ne sait pas ce qu’il en sortira, mais qu’il convient de continuer à explorer toutes les facettes, celle du genre, de la sexualité et de l’expression de soi à travers et sous l’influence des autres.

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Lili Sztajn et Corinne Julve
    Éditions Points
    240 pages

  • Un fil rouge – Sara Rosenberg

    Miguel est un documentariste argentin qui a autour de trente-cinq ans. Nous sommes dans les années 80, approximativement. Après 83, assurément, car la démocratie est de retour en Argentine. Originaire de Tucumán, Miguel a survécu aux dictatures qui se sont enchaînées avec peu de répit. Mais il porte en lui une blessure qui ne cesse de s’ouvrir, celle du destin de Julia, son amie d’enfance et militante d’extrême-gauche qui n’a pas réapparu. Il décide de lui consacrer un documentaire et part sur les traces et à la recherche de celles et ceux qui l’ont connu, l’ont aimé ou détesté, pour reconstituer sa jeune vie jusqu’à la fin.

    Enregistrement n°1
    (Catamarca, 1990, après Madrid)
    La maison a explosé tellement fort qu’on a même retrouvé des décombres sur le chemin des oliviers. Les animaux ont été bien secoués par la détonation, du coup, le percheron s’est échappé dans la montagne. On ne savait pas encore si Julia se trouvait à l’intérieur avec son fils Federico. Des hommes, une quinzaine, armés jusqu’aux dents, sont descendus de quatre voitures ; ils se sont divisés en groupes avant d’encercler la maison en criant et en mitraillant la porte et la fenêtre, puis ils ont posé des explosifs. Ensuite, ils ont couru jusqu’au chemin et ils ont disparu à toute vitesse.
    Ma sœur et moi nous étions là-bas à épier, derrière la palissade, où on fait sécher les figues sur les roseaux tressés. Ils ne pouvaient pas nous voir et, en plus, ils étaient tellement pressés qu’ils n’ont même pas regardé, comme s’ils étaient poursuivis par le diable. La plupart des gens se sont cachés dans la grande bâtisse où nous avions tous l’habitude de nous réunir pour regarder la télévision. Quelques-uns étaient restés chez eux et d’autres ont entendu la détonation dans toute la vallée, sans savoir d’où ça venait exactement. Le bruit a été si fort qu’il nous a rendues complètement sourdes toute une journée.
    À mes soixante-dix ans, j’ai vu bien des guerres passer sur ce chemin, mais jamais aucune n’était arrivé si près, juste là, en face.

    Lectrice, lecteur, mon fil rouge, Julia est de ces femmes qui bouleversent celles et ceux qui la croisent et provoquent autant rage qu’admiration. Née Berenstein, elle est descendante d’une première vague d’immigrés d’Europe de l’Est et s’engage dans sa jeunesse auprès de la trotskyste ERP, l’Armée Révolutionnaire du Peuple, en tractant et participant à des actions armées. Jeune femme révoltée, provocatrice et libérée dans une région encore très rurale et codifiée, elle vit son corps, ses amours et ses combats politiques avec ardeur et dévouement. Arrêtée, enfermée, amnistiée, elle s’exilera avec mari et enfant mais n’arrêtera jamais la lutte, jusqu’à sa dernière arrestation et sa mort en détention.
    Laissée, comme des milliers d’autres, sans sépulture, Julia a néanmoins tellement marqué de sa présence et ses actions les personnes qu’elle a croisé que sa vie reste imprimée dans la vie des autres. Avec son documentaire, Miguel va tenter de reconstituer son histoire, sa présence et son corps, et peut-être créer en lui-même une tombe pour Julia sur laquelle il pourra, enfin, se recueillir et verser sa culpabilité d’avoir survécu.

    Sara Rosenberg nous guide de témoignages en confessions, de ressentis en ressentiments et disperse au vent des pages les morceaux de vie de Julia tels que vécus par les autres et recollés patiemment par Miguel. Sa transgression des règles de la société par son émancipation des codes assignés aux femmes : elle veut exister dans une guérilla très masculine, se coupe les cheveux ras, s’affirme sur la place publique, vit ses relations avec les hommes comme un moyen de sortir de sa famille pour vivre plus libre. De Tucumán aux prisons de Patagonie, d’un exil mexicain et bolivien aux listes des desaparecidos, la vie de Julia est suturée à celle de l’Argentine et aux arrachements de la dictature. C’est un regard cru et lucide sur la complexité de vivre pendant cette succession de périodes noires et cruelles, avec à peine quelques mois de répit avant le retour de la tourmente, que nous donne Sara Rosenberg à travers les fragments de vies de Julia et la quête de Miguel. Ses personnages, les témoins, Miguel, Julia, sont les pièces d’un patchwork complexe et discordant, cousues au fil rouge, le même qui a cousu, pendant tant d’années, la carte humaine et sociale d’un territoire qui cherche encore à se remettre des brûlures et des lacérations.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Belinda Corbacho
    Éditions La contre-allée
    258 pages

  • Mon cœur bat vite – Nadia Chonville

    Alors que le soleil se couche sur la mer Caraïbes, Édith soulève du plat du pied la poussière qui recouvre le plancher d’une case. Le lendemain, elle se rendra au procès de son frère, Kim. Car cinq ans plus tôt, Kim a tué, il a tué plusieurs personnes, dont le fils de sa sœur. Et avant d’affronter ce procès, pour tenter de comprendre, ou du moins de savoir, de tenter de cerner les causes de ces gestes aberrants, Édith fait appel à ses ancêtres et revient cinq ans, quinze ans, cent ans en arrière pour retracer l’histoire de son frère et de sa famille, tirer sur les fils de sang qui mène à la mort de son fils.

    D’abord, Kim caresse la bouteille. Il glisse ses doigts infinis sur le corps droit et anguleux du verre trempé, où l’or brut gît. Ses yeux noirs transpercent les profondeurs liquides et enlèvent aux anges la part dérobée. Du pouce, il saut le bouchon. Sa main fermement saisit ce corps et fait glisser ses eaux incandescentes dans un verre froid. Alors la cascade de soleil emporte dans son lit la douleur de Kim, sa fièvre, son cœur en dérive, et dans la musique chatouilleuse de l’alcool sur la glace s’abîme le reflet de son souvenir. Il respire, et une heure s’étire entre ses narines sans oser ni parler ni soupirer. Restent juste la clameur ciselée du temps qui passe et les commandements que le rhum glisse à son oreille.
    L’alcool lui dit : fais-moi danser, Kim. Berce-moi dans le creux généreux de tes paumes. Fais vibrer sur mes eaux tes lèvres brunes et charnues, tes narines saillantes, et ferme les yeux. Kim abaisse les paupières et l’alcool lui dit : grimpons ensemble sur la cime de tes errances. Je te ramènerai aux flancs du morne vert où tout a commencé. Nous réveillerons le silence qui tu as enterré là. Partons creuser ensemble les hauteurs du morne qui domine la mer et l’océan. Plonge tes mains là, dans la terre des tiennes, là où l’odeur moite du sang répandu dans l’humus étire en longs soupirs les cris des martyrs.
    Le verre de Kim est vide, mais le rhum lui parle encore, et la nuit de Kim murmure ainsi en mélancolie sans lui souffler jamais d’à nouveau remplir ce verre.

    Édith et Kim auraient pu ne pas grandir malheureuses. Leur mère a toujours été travailleuse, et le départ du père lorsqu’elles avaient une quinzaine d’années, n’a pas été pour déplaire. Mais pesait déjà sur elles plusieurs poids. Celui de la société, de la violence des hommes, de leur histoire familiale, qui rassemble en un fagot importable tout cela. Elles descendent d’Ayo, arrivée sur un bateau négrier et qui libérait d’une vie d’esclave les fruits des amours salvatrices ou des viols coloniaux. La lignée s’étend jusqu’à nous, sorcières en contact avec les esprits, connaisseuses des plantes, des remèdes guérisseurs comme des infusions létales. Mais cette lignée de femmes porte en elle l’histoire coloniale de la Martinique. Esclavage, femme à soldats, violence, racisme… Jusqu’à l’inceste, le corps du père, lourd sur celui d’Edith, et Kim qui ne sait qu’en faire. En grandissant, Kim se sentira de plus en plus étrangère à ce corps féminin, et taira toujours que, comme sa grande sœur, il peut entendre ses aïeules. Devenu le frère, le garçon imprévu d’une lignée uniquement féminine depuis des décennies, il ne peut plus supporter la violence sans fin et sans limite qui écrase les femmes de sa famille et décide de la purger dans le sang.

    Lectrice, lecteur, scintillement de mes larmes sur l’écume, c’est une voix à nulle autre pareille que nous présente ici la formidable maison Mémoire d’encrier (que je ne me lasse pas de découvrir). Nadia Chonville, autrice martiniquaise, nous conte ici par le menu et avec une poésie d’une brutalité tissée dans la dentelle et les herbes séchées la violence coloniale et patriarcale, le poids encore trop présent de la conquête, la séparation sociale entre les îles et la France, qui renvoie bien ses enfants des Antilles à ce qu’ils étaient originellement, selon elle. Elle nous parle de l’histoire de ces femmes qui ne peut se départir de celle de cette violence, inhérente et imbriquée, fatalement, qui a imbibé les âmes comme le chlordécone pourrit les sols. Elle raconte les liens qui restent, au-delà des temps, les traditions et la magie, pour transmettre aux suivantes la force et la connaissance des précédentes. Mais cela doit être appris, suivi, et Kim, lorsqu’il était encore assignée fille, n’a jamais voulu dire que lui aussi, avait dans l’oreille ses puissantes ancêtres. Et la colère ancestrale se mêle à la rage contemporaine.

    Assignation. C’est peut-être l’un des mots à retenir de ce roman si renversant. Si celle de Kim en tant que fille dans son enfance est la plus littérale, elle est accompagnée de tant d’autres, qui se coupent et se mêlent. L’assignation à partir en métropole pour les jeunes insulaires, l’assignation à être l’épouse, la mère, la bonne chrétienne et la serviable voisine, la femme soumise et silencieuse, la fille pas pute. La pute. L’homme violent. Le bon Noir. Le révolté. La sorcière. La femme à protéger. Kim, comme Édith, comme leurs aïeules, leurs voisin·es, leurs ami·es sont enroulé·es dans des bobines de fils collants et brûlants des rôles qu’on leur assigne et dont iels doivent démêler ce qui les constituent et tenter de s’extraire du reste, d’imposer leurs êtres multiples, complexes.

    Mon cœur bat vite est un roman d’une poésie brûlante, douleur vive, prégnante et régénératrice qui nous révèle une voix puissante des Antilles.

    Éditions Mémoires d’encrier
    201 pages

  • L’autre guerre – Leila Guerriero

    Le 2 avril 1982, le dictateur argentin Galtieri envoie des bataillons des forces armées argentines débarquer sur les îles Malouines. Occupées par les britanniques depuis 1833 et réclamée par les Argentins depuis lors, Galtieri fait de ce débarquement armé une manœuvre pour retrouver un peu de gloire auprès du peuple, qui manifeste de plus en plus son mécontentement devant cette énième dictature. Las, cette guerre qui devait être d’une efficacité totale et redonner au général et au pays sa gloire et ses territoires perdus va s’achever en quelques mois à peine par une victoire anglaise et une déroute sanglante pour le gouvernement dictatorial, marquée par la mort de plusieurs centaines de soldats argentins.

    En 1982 l’Argentine était gouvernée par une dictature aux ordres du lieutenant général Leopoldo Fortunato Galtieri. Le 30 mars le mouvement ouvrier a appelé à une marche sur la place de Mai, Buenos Aires. Dès 1976, le régime militaire avait séquestré et assassiné des milliers de citoyens, aboli le droit de grève et interdit toute activité syndicale. Malgré tout, cinquante mille personnes ont rejoint la manifestation qui s’est déroulée sous le slogan « Paix, Pain et Travail », aux cris de « Galtieri fils de pute ! » et a fini en affrontements sauvages avec plus de trois mille arrestations.
    Deux jours plus tard à peine, le 2 avril, sur la même place, cent mille citoyens euphoriques hissaient des drapeaux patriotes et brandissaient des panneaux affichant « Vive la Marine nationale », tandis qu’un cri fervent avançait tel la proue bestial d’un bateau : « Galtieri ! Galtieri ! ». La télévision montrait le lieutenant général fendant une foule rugissante qui se disputait la meilleure place pour le toucher. La voix d’une commentatrice rapportait, véhémente : « Son excellence Monsieur le Président de la Nation est venu saluer son peuple ! Tous l’ont ovationné. Monsieur le Président s’est approché de cette foule qui l’acclamait, lui et les forces armées, pour l’action historique menée ces dernières heures. Merci à notre glorieuse Armée nationale ! » La commentatrice, le peuple, le lieutenant général célébraient le débarquement, quelques heures plus tôt, des troupes de la nation sur les îles Malouines, un archipel de l’Atlantique Sud sous domination anglaise depuis cent quarante-neuf ans appelé Falklands Islands, et sur lequel on réclamait depuis toujours la souveraineté.

    Sur les 907 morts au combat, 649 sont argentins. Devant l’inaction du gouvernement argentin sur la marche à suivre pour l’enterrement ou le rapatriement de ses morts, un officier anglais nommé Geoffrey Cardozo va prendre à sa charge leur inhumation. Pourquoi cet attentisme ? Parce que rapatrier les corps des soldats reviendrait à retirer définitivement toute présence argentine sur le sol des Malouines, accepter la défaite et laisser l’archipel aux britanniques.
    Le traitement des morts est un exemple déchirant de la gestion de cette guerre par l’armée. Celle-ci n’annoncera pas aux familles la perte de leur fils, père, frère, oncle. Elles l’apprendront en les attendant devant les casernes, en demandant aux camarades rentrés. Le gouvernement n’ayant pas voulu s’occuper de la mise en terre, personne ne saura pendant des années où sont enterrés les disparus, ni comment ils ont péri. Mais lorsque des particuliers, des associations ou des professionnels commencent à parler d’identifier les corps pour rendre aux morts leurs noms, c’est une vague de contestation incroyable et incompréhensible qui se lève. Comme si avec les morts des Malouines était enterrées les affres des dictatures et qu’il fallait les laisser là, sans nom, sans mot, pour que le temps continue de s’écouler.
    Leila Guerriero, avec son immense talent, retrace les vies de soldats, de famille et de celles et ceux qui ont rendu possible le travail d’identification des tombés au combat dans cette guerre d’orgueil, et met en évidence les plaies béantes d’un pays encore meurtri.
    Car c’est grâce à l’acharnement de quelques-uns, à des investigations au long cours dans l’indifférence, voire l’hostilité étatique, que les familles ont pu, au fil des ans, retrouver leurs morts. Tout commence avec Julio Aro, ancien combattant des Malouines, qui rencontre Cardozo lors d’un séjour à Londres, et apprend le travail l’inhumation et de répertoriage des corps en vue de leur future identification. Sidérés, les deux hommes découvrent l’omerta imposée sur le sujet par le gouvernement argentin. Julio Aro prendra ensuite contact avec Luis Fondebrider et son équipe, les membres de l’Équipe argentine d’anthropologie médico-légale, puis avec Gabriela Cociffi, une journaliste, puis…, puis… Lentement, c’est toute une troupe qui se lève pour les morts, quels qu’ils soient. Car n’oublions pas que la guerre des Malouines, lancée par le dernier dictateur argentin, a rassemblé dans les rangs des combattants autant de simples citoyens que les tortionnaires de la dictature, tous unis sous la dernière épitaphe des héros tombés pour la patrie.

    Leila Guerriero rend hommage à l’équipe argentine d’anthropologie médico-légale et toutes celles eux ceux qui ont, pendant des années, mené minutieusement cette enquête légale et clandestine à la fois, qui vient remuer la douleur de la guerre et de la dictature et l’inaction totale du gouvernement. Elle raconte les entretiens avec les familles, les réticences de certains qui y voient un complot, les premiers vols des familles vers le cimetière militaire de Darwin, des vols hors de prix financés par Eduardo Eurnekian, milliardaire argentin. Elle y raconte les tensions, les incompréhensions, les soldats torturés par leurs officiers, la lutte pour le sens des mots qui vient brouiller les discours. Car les morts sans nom à la guerre sont, par certains, désignés comme NN (Nomen nescio), ce qui renvoient aux desaparecidos, aux disparus. Insultant pour certains pour qui leurs morts au combat étaient des fidèles au pays, pas des subversifs, et méprisants pour d’autres qui ne voulaient pas voir leurs disparus, celles et ceux engloutis par le régime dictatorial, mélangés avec des soldats qui auraient peut-être participé aux répressions.

    Cette magnifique enquête racontée avec délicatesse et force, qui tisse autant des histoires de vie que des conflits politiques est augmentée d’une postface, dans laquelle Leila Guerriero nous raconte sa rencontre avec l’équipe argentine d’anthropologie médico-légale, ainsi que d’un article publié en 2007 dans El País dans lequel elle retrace l’histoire de cette équipe. Née de l’arrivée en Argentine de Clive Snow, anthropologue médico-légal états-unien venu pour identifier les corps de disparus de la dictature et qui recrutera autour de lui de jeunes étudiants et diplômés en anthropologie, qui feront de cette étrange activité leur sacerdoce. Appelées à maintes reprises notamment par le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie, différentes Commissions Vérité aux Philippines, au Pérou, au Salvador, en Éthiopie… l’équipe deviendra une référence dans la recherche, l’enquête et l’identification des victimes de crimes de masse, ou encore de Che Guevara, tandis que ses membres, tous autant qu’ils sont, espèrent qu’un jour ils deviendront inutiles.

    C’est donc un hommage à ces enquêteurs discrets et indispensables qui relient les vivants avec leurs morts et luttent pour ramener la vérité des répressions, des crimes d’état, des massacres et empêcher ainsi leur négation par leurs instigateurs que rend Leila Guerriero à travers ces différents textes. Comme dans Les suicidés du bout du monde, elle parvient à mettre au cœur de son travail la parole de celles et ceux, aussi insignifiants paraissent-ils, qui tentent d’arracher au quotidien leurs vies et de remettre du sens dans l’histoire violente, l’abandon gouvernemental, les déchirures sociales. Leila Guerriero a en elle le pouls de l’humanité, et nous le confie avec beaucoup de précaution et de sensibilité, tels ces cailloux clandestins ramenés du cimetière de Darwin, dernière présence de morts ignorés pour l’orgueil d’une dictature périclitante qui n’aura eu de cesse de faire disparaître.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik
    Éditions Rivages
    187 pages

  • Les tentacules – Rita Indiana

    Acilde vivote tant bien que mal à Santo Domingo. Elle traîne au parc Mirador, repérant les messieurs plus ou moins vieux qui apprécieraient de se faire tailler une pipe par une jeune personne au physique androgyne. Son objectif : gagner assez de thunes pour pouvoir se payer le Rainbow Bright, un traitement qui lui permettrait enfin de devenir le garçon qu’elle sait être. C’est ainsi qu’elle croisera Eric, qui la mènera auprès d’Esther Escudera. Prêtresse de la Santería proche du président, celle-ci semble avoir un dessein bien en tête pour Acilde.

    La sonnette de l’appartement d’Esther Escudero a été programmée pour émettre un bruit de vague. Acilde, sa bonne, qui s’affaire aux premières tâches de la journée, entend quelqu’un en bas, à la porte de l’édifice, s’acharner sur le bouton, jusqu’à ruiner l’ambiance estivale obtenue quand on se contente d’une seule pression. Joignant l’auriculaire et le pouce, elle active dans son œil la caméra de sécurité qui donne sur la rue et voit l’un des nombreux Haïtiens qui passent la frontière pour fuir la quarantaine déclarée sur l’autre moitié de l’île.
    Reconnaissant le virus dont le Noir est porteur, le dispositif de sécurité de la tour lance un jet de gaz létal, puis informe à leur tour les autres résidents, afin qu’ils évitent le hall du bâtiment jusqu’à ce que les collecteurs automatiques, qui patrouillent dans les rues et les avenues, ramassent le corps et le désintègrent. Acilde attend que l’homme cesse de bouger pour se déconnecter et reprendre le nettoyage des vitres chaque jour noircies par une suie grasse, dont vient à bout le Windex. Tout en essuyant le produit avec un chiffon, elle voit, sur le trottoir d’en face, un collecteur chasser un autre sans-papier, une femme qui tente en vain de se protéger derrière un conteneur poubelle. L’appareil l’attrape à l’aide de son bras mécanique et la dépose dans son compartiment central avec la diligence d’un enfant glouton qui enfourne le bonbon sale qu’il vient de ramasser par terre.

    Nous sommes en 2027, et ça ne va pas fort fort. Suite à un tsunami et une abominable pollution bactériologique, l’océan et la mer des Caraïbes ne sont plus qu’une étendue morte et mortifère. Il existe un gros trafic de faune et flore marine, son extinction en milieu naturel l’ayant rendu dramatiquement rare. Et il se trouve qu’Esther Escudero a, chez elle, une anémone qui vaut très, très cher. Suffisamment pour permettre à Acilde de se payer son traitement. Mais les liens entre la jeune ado et la vieille dame sont ténus, Acilde fait figure d’élu pour les fidèles d’Esther Escudero. Possiblement Omo Olokun, iel serait celui qui sauvera la mer déjà morte.
    En parallèle, nous rencontrons Argenis quelques années plus tôt. Artiste paumé, technicien brillant mais en décalage, macho, accro, perdu, il est invité à participer à une résidence artistique par un riche couple qui cherche à construire une zone protégée de recherche et de préservation de l’océan et des récifs coralliens. Entouré d’artistes aux origines et à la sincérité diverses et variées, Argenis va se confronter à sa propre médiocrité, ainsi qu’à un rêve étrange et permanent qui l’emmène dans la peau d’un naufragé du XVIIème siècle, sur cette même côte.

    Lectrice, lecteur, mon sanctuaire, je t’invite à glisser dans les aspérités et les cavernes cachées tapissées d’anémones d’une mer en sursis, et à naviguer parmi les genres, les gens et les temps. Dans ce roman plutôt punk qui passe sans forcer de cyber-technologie et humain augmenté à la Santería et la biologie marine, il faudra lâcher prise et laisser Rita Indiana prendre la barre.
    Quels sont donc les liens qui uniraient Acilde à Giorgio Menicucci et Linda Goldman, les mécènes d’Argenis, et à leur projet de sanctuaire marin ?
    Rita Indiana nous trimballe dans tous les temps et dans tous les sens sans rien oublier. Critique acerbe du capitalisme et de l’autoritarisme, les régimes dominicains se succédant et se ressemblant régulièrement, jusqu’à Said Bona, responsable devant les Dieux, mais moins devant lui-même, du désastre écologique qui tue la mer des Caraïbes, le monde de 2027 a bien continué dans sa lancée et le gouffre social et économique a pris la taille de la fosse des Mariannes. Les apparences, les faux-semblants débordent toujours plus, le tourisme se pâme devant le faux, le reconstitué-plus-typique-tu-meurs. Racisme et machisme sont incarnés au poil par Argenis, le gars paumé qui rejette tant que possible la faute de ses échecs sur les autres et rêve de se venger sur les femmes qu’il désire. Pourtant, lui-même n’est finalement que le produit de cette société en effondrement dans un monde en déshérence, et peut-être n’a-t-il même pas la main sur sa propre vie. Ce rêve qu’il fait, dans lequel on l’appelle Côte de Fer, le naufragé français séduit par le chef du groupe, n’est-il qu’un rêve ou bien un souvenir, ou bien…
    Acilde et Argenis se promènent et tombent de vies en rêve, de défis en coups pour tenter de sauver le monde ou d’en réchapper. Mais jusqu’où cela en vaut-il la peine ? Peut-on être marionnettiste sans être marionnette, ou bien serait-ce l’inverse ?

    Roman tourbillonnant dans les eaux glauques qui bordent Saint-Domingue, Les tentacules nous enserre et nous colle devant un futur éclaté, ramifications d’un présent tel qu’on se demande s’il peut produire autre chose. Dès lors, doit-il être sauvé ?

    Je t’invite en sus à découvrir la musique de Rita Indiana y los misterios, qui sera ma foi parfaite en bande-son de ta lecture et dont je ne me lasse pas !

    Traduit de l’espagnol (République dominicaine) par François-Michel Durazzo
    Éditions Rue de l’échiquier
    174 pages

  • Buenos Aires Noir – Collectif

    Dans les rues de Buenos Aires, grandes avenues ou sombres impasses, grands parcs et ponts autoroutiers, on croise des dealers et des prostituées, des joueurs de cumbia et des auteurs à succès. Des maris jaloux, des femmes trompées, des familles avec un trou, desaparecidos, et des cafés péronistes.

    Buenos Aires est un endroit tellement invraisemblable qu’il fallut la construire deux fois. La première, c’est Pedro de Mendoza qui s’en chargea. L’Adelantado y avait investi tout l’argent pillé durant le sac de Rome pour monter une fabuleuse expédition ; on pensait alors qu’il existait aux Indes une plante capable de soigner la syphilis, dont il était atteint. Ce fut un désastre : trahi par Alonso de Cabrera, qui avait vendu leurs provisions au plus offrant, Pedro de Mendoza et ses hommes se retrouvèrent acculés par les Indiens Querandies et la faim. Les habitants de ce petit hameau précaire qu’était alors Buenos Aires n’eurent d’autre choix que d’inclure dans leur menu leurs bottes, leurs ceintures mais aussi certains de leurs compagnons. Les deux mille hommes de l’expédition connurent des destins divers ; parmi ceux qui avaient choisi de rester dans la ville, seuls deux cents purent être sauvés et récupérés, dans un état lamentable.
    Plus tard, lorsque le Río de la Plata servit à transporter les richesses extraites des mines d’argent du Potosí, Buenos Aires fut reconstruite. On y installa un fort pour éviter les attaques des pirates et une douane pour contrôler l’exercice du commerce. Les habitants de cette nouvelle Buenos Aires voyaient passer sur les eaux troubles du fleuve les bateaux négriers chargés d’esclaves capturés en Afrique Occidentale, qu’on envoyait travailler dans les mines. Et ceux qui revenait du Potosí avec leurs coffres bourrés d’argent et de métaux précieux. Cette situation attira très vite les contrebandiers. En quelques années, Buenos Aires devint une ville prospère grâce aux trafics illégaux en tout genre, et l’incroyable arborescence de délits et crimes qui la structurait faisait parfois obstacle à la contrebande elle-même. La ville devint plus importante qu’Asunción et Lima au niveau économique et stratégique.

    Dans la veine des autres volumes de la collection Villes noires chez Asphalte, 14 auteurices portègnes nous emmènent visiter chacun un quartier de la grande Buenos Aires. Du touristique San Telmo au bidonville en plein centre de la Villa 31, et de Nuñez à Mataderos, on traverse la ville du Nord au Sud, d’Est en Ouest et de haut en bas, géographiquement et socialement parlant.
    Divisé en trois parties, Buenos Aires noire nous propose donc une exploration géographique et thématique de la capitale la plus européenne d’Amérique du Sud : amour, infidélités et crimes imparfaits. On y trouvera des histoires d’amour perdu, d’amour propre, d’amour desaparecido (car la dictature et l’histoire déchirée et déchirante du pays n’est jamais loin) … Sous ces thématiques et à la lumière crue d’un lampadaire, dans l’humidité de l’automne ou sous la chaleur écrasante de l’été argentin, quand l’électricité ne tient plus et que le marteau solaire rend fou la plupart, ce sont les crimes d’une cité portuaire centrale, d’une ville riche dans un pays qui se donne à voir comme un havre de paix et de prospérité tandis que ses voisins subissent dictatures, guerillas et tempêtes. Les guerres du narcotrafic, la corruption politique et policière liée à la drogue ou pas, les héritages des dictatures militaires et du péronisme, le racisme qui ressort de quasiment toutes les nouvelles tout comme les violences sexuelles. La musique, aussi, et la littérature, bien sûr.
    La blague veut que les Argentins soient les seuls habitants d’Amérique du Sud descendants surtout des bateaux plutôt que des populations indigènes, et les Portègnes en seraient la crème (ou la lie, selon le point de vue, (Les suicidés du bout du monde, de Leila Guerriero)).

    Et quid des auteurices alors ? Le tourisme c’est bien, mais les guides ? Et bien lectrice, lecteur, ma douce brise des bons vents marins, les guides sont de qualité. Si certaines nouvelles m’ont moins touchées que d’autres pour des raisons de goût personnel, nous avons ici une jolie sélection et chaque nouvelle se démarque par son sujet, son traitement, son style, sa plongée dans les psychés portègnes, ou un peu tout à la fois. J’ai bien évidemment un énorme coup de cœur, une très grosse faiblesse, pour la nouvelle de Gabriela Cabezón Cámara qui nous ramène dans une des villas miserias de la capitale, comme elle l’avait fait dans le terriblement magnifique Pleines de grâce. L’histoire de Pablo de Santis dans le quartier de Caballito auprès d’un photographe de presse m’a également beaucoup touchée, dans sa forme, comme dans son sujet qui nous montre les grandes conséquences d’un geste anodin, les violences inextinguibles et leurs résonances particulières dans une piscine vide. Enfin, celle de María Inés Krimer à Monte Castro a terminé de me sécher, tant sa rudesse et son efficacité, enrobée de la chaleur bitumineuse des nuits inflammables m’est restée collé aux cheveux et sur la peau.
    Trois mises en avant, mais vraiment, toutes excellentes. Ariel Magnus termine le recueil avec une histoire qui mêle avec équilibre absurde et malaise pour bien nous achever quand Claudia Piñeiro l’entame avec une trame a priori classique mais donc la noirceur et le cynisme nous montre bien à quoi nous attendre.

    Un parfait recueil qui permet de découvrir une belle troupe d’auteurices et de plonger dans les rues de Buenos Aires aux côtés de celleux qui la connaissent et l’aiment le mieux, que ce soit d’un amour profond, rageur, rejetant ou rejeté, un amour sincère ou dépité, complexe et enfiévré. Un recueil qui rappelle à quel point les villes résonnent et incarnent les sentiments humains les plus forts et transpirent par leurs murs de béton, leurs avenues brillantes et leurs places arborées la prégnance de l’histoire et la lourde noirceur des âmes.

    Auteurices : Verónica Abdala, Leandro Ávalos Blacha, Gabriela Cabezón Cámara, Pablo de Santis, Inés Garland, María Inés Krimer, Ariel Magnus, Ernesto Mallo, Enzo Maqueira, Inés Fernández Moreno, Elsa Osorio, Alejandro Parisi, Claudia Piñeiro, Alejandro Soifer

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton et Hélène Serrano
    Éditions Asphalte
    210 pages

  • La grande ourse – Maylis Adhémar

    Après avoir arpenté le monde pendant 5 ans pour se faire une expérience professionnelle, Zita revient chez elle. Elle retrouve ses Pyrénées et la ferme familiale, le troupeau de moutons et les vieilles pierres. Elle trouve aussi Pierrick, ingénieur aéronautique, papa d’Inès et citadin avec une conscience écolo. Et entre les pierres moussues de son passé et de l’estive, elle retrouve l’ours, aussi.

    C’était un samedi d’automne pluvieux, ici, au creux de cette jeune montagne de quarante millions d’années. La nuit déployait sa noirceur sur le Couserans. Bercé par ses deux rivières, le village de Seix dormait. Les hommes encore debout avaient pris le chemin du troquet.
    Pierrick n’avait rien à faire dans ce bar plein à craquer de gens de tous âges venus fêter la châtaigne nouvelle et l’ivresse des hauteurs. D’un air aussi amusé que dépité, le jeune garçon les contemplait. Il y avait les gaillards fougueux en gros pull de laine, les petits vieux aux dents biscornues, béret en poche, accrochés à leur verre de jaune, les quarantenaires pimpantes dans leurs jeans délavés et ces grappes d’adolescents pas tout à fait finis qui hurlaient en entendant jaillir des baffles des musiques commerciales anglo-saxonnes. Sur les murs, un bric-à-brac d’affiches et de photographies faisait office de décoration. L’annonce du derby de rugby, entre l’Union sportive Haut-Salat et La Tour-Verniolle, concurrençait celle d’un concours de pétanque en doublette, placardée à côté du cliché d’une truite record de soixante centimètres. Dans un cadre, les images de la fête de la transhumance exhibaient de gigantesques troupeaux de moutons et de chevaux castillonnais, des hommes en pagne de laine et des danseuses brésiliennes en bikini à strass.

    La trentaine entamée, la voyageuse Zita se dit que Pierrick est peut-être celui avec lequel elle se posera enfin, faire comme ses amies, s’installer et faire famille. Mais si les corps et les cœurs se mêlent avec passion, le choc entre la montagnarde fille d’éleveurs et le parisien-toulousain écolo urbain explose son lot d’esquilles et d’échardes dont les égratignures peuvent parfois s’infecter plus qu’on ne le pense. Alors quand l’ours, le grand, le Slovène, le symbole de l’incompréhension entre les deux mondes, tue, puis est tué, les égratignures menacent de devenir gangrène.

    On a tous plus ou moins un avis sur la réintroduction d’espèces disparues dans les milieux naturels, qu’il s’agisse du loup ou de l’ours, que l’on soit concerné de près ou de loin, voire de très loin. Dans la famille de Zita, on est hésitant. L’ours, c’est le symbole, le dieu païen, les vieilles légendes pyrénéennes contées au coin du feu par Petite Mère, centenaire et dernière mémoire d’un pastoralisme disparu. L’ours, c’est surtout beaucoup de pertes dans les troupeaux. Et les compensations du gouvernement et de l’UE ont beau y faire, l’argent ne remplace pas tout.
    Pour Pierrick, sa fille Inès, son ex-femme Émilie et son ex-belle-mère, surtout, l’ours c’est la vie, la reprise de la nature sur l’humain et sa dévastation meurtrière, et les paysans des pécores, des assassins incultes qui ne comprennent rien à rien.
    Zita aimerait que ce soit aussi simple, aussi binaire à tous les niveaux. Mais qu’en savent-ils, ces citadins qui mangent bio sans faire attention à la provenance, qui prônent un retour au sauvage avec leur montre connectée et leurs îlots nature en cœur de ville ? Qui pensent mieux connaître la montagne car ils y skient tous les hivers ? Face à eux des agriculteurs, des paysans tributaires d’une nature versatile et d’une industrie agroalimentaire qui les emprisonnent dans des pratiques et des contrats incassables sous peine de ruine. Des, aussi, mesquins, qui voient le monde en binaire, lâchent des bêtes d’élevage pour la chasse et s’opposent par principe et avec violence à tout ce qui ne rentre pas dans leur manière de voir.
    Zita a toujours été un peu à part. Dans son milieu d’origine, au lycée agricole de Toulouse, elle était l’intello, celle qui lisait, la fille qui ne craignait pas les gars, celle qui était différente et l’assumait. Dans le monde de Pierrick, elle est la paysanne, celle qui ne peut pas comprendre les enjeux écologiques du monde, celle qui veut tuer l’ours et empoisonner les nappes phréatiques.

    Dans ce roman minéral et charnel, Maylis Adhémar met en avant et déconstruit toute sorte de manichéisme. On peut être éleveur de poules en cage en sachant le mal que cela fait, mais sans pouvoir en sortir aussi simplement que les discours de l’UE ne le laissent penser. On peut être resté neutre toute sa vie durant sur le retour de l’ours et craquer, être prêt à tout le jour où les bêtes qui prennent, ce sont les nôtres. On peut vivre en ville, faire ce qu’on peut pour lutter contre la pollution, la malbouffe et ne pas se rendre compte de la complexité du monde de l’agriculture. On peut être amoureuse mais ne pas pouvoir être la belle-mère rêvée. Ou être belle-mère et se heurter à la mauvaise belle-famille. Avoir travaillé dans des exploitations variées de par le monde, et ne pas trouver de solutions aux problèmes pyrénéens.

    Peut-être qu’il n’y a pas de solution, juste des compromis. Ou une acceptation. L’ours, ni les antis, ni les pour n’ont finalement la main sur sa présence. Il est un fait. Il a été un symbole divin, puis celui de la puissance humaine qui l’a exterminé. Nouveau symbole, celui d’une repentance sincère ou d’une arrière-pensée touristique, il devient l’autel de toutes les incompréhensions, le prétexte à tous les reproches.
    Les personnages de Maylis Adhémar se débattent avec leur vie et leurs craintes, en conscience ou non, parce qu’il est parfois plus facile de fermer les yeux sur soi-même, quitte à se rajouter des œillères sur le monde. Émilie, ex-femme jalouse et meurtrie, qui recherche constamment une attention et une validation qu’elle n’a jamais eue, elle moins importante que les ours réintroduits. Inès, qui ne comprend pas bien la séparation de ses parents et s’approprie les souffrances de sa mère. Pierrick, bon garçon, citadin bourgeois, plein de bons principes mais peu de confrontation. Que ce soit avec la nature ou bien dans sa vie, Pierrick fuit le conflit, et tente désespérément de garder une image simple et pure de ce qui l’entoure. Zita va venir mettre un grand coup dans ses habitudes et bouleverser, avec plus ou moins de bonheur, la vie tranquille et en pleine conscience écologique de ce petit monde.

    Randonnée mouvementée sur chemins pierreux, Zita et La grande ourse explorent avec honnêteté et le cœur ouvert la complexité des relations, qu’elles soient avec la nature, entre nous, entre soi ou avec la dissonance cognitive permanente dans laquelle nous devons vivre aujourd’hui. Et ça fait beaucoup de bien de trouver une interlocutrice avec qui en parler, un bien fou.

    Éditions Stock
    288 pages

  • Les suicidés du bout du monde – Leila Guerriero

    Un jour de la fin de l’année 2001, Leila Guerriero, journaliste à Buenos Aires, découvre la mise en place d’un programme de l’UNICEF développé par l’université de Harvard, le programme Jeunes Négociateurs, à Las Heras, une petite ville de l’état de Santa Cruz en Patagonie argentine. Ce programme est déployé là-bas car, entre 1997 et 1999, 22 jeunes personnes se sont suicidées. La journaliste décide donc de partir à Las Heras, alors que l’Argentine s’apprête à entrer violemment dans une crise économique tragique, pour reconstituer l’histoire de ces morts et de cette ville oubliée.

    Ce vendredi 31 décembre 1999 à Las Heras, province de Santa Cruz, le soleil était au rendez-vous.
    Il avait plu dans la matinée mais l’après-midi, sous les auspices favorables de ce qui avait toutes les apparences d’un été splendide, on faisait des courses, on enfournait des agneaux et des cochons de lait et on vendait des litres de vin et de cidre. Là, comme dans toute l’Argentine, on préparait les réjouissances du millénaires, les fêtes, l’alcool et les feux d’artifice.
    Mais à Las Heras, cette petite ville du Sud, Juan Guttiérrez, vingt-sept ans, célibataire, sans enfants, bon joueur de foot, ne verrait rien de tout cela.
    Il ne savait pas grand-chose de la mort – pas plus que les onze autres -, mais le dernier jour du millénaire il a su qu’il ne voulait plus vivre.
    A six heures du matin, sonné par l’alcool et mouillé par la pluie fine à l’aube d’une journée qui s’annonçait radieuse, il a frappé à la porte de chez sa mère jusqu’à ce qu’elle lui ouvre.
    Ont suivi les gestes de celui qui a toute la vie devant lui : il a voulu manger et a mangé. Puis, enragé, il est ressorti. Sa mère est restée affalée, à trembler dans son salon rempli de radiateurs étouffants. Quand elle est partie le chercher en courant, il était déjà trop tard.
    Elle l’a vu en tournant au bout du pâté de maisons. Il pendait comme un fruit trop mûr d’un câble électrique, au-dessus de la chaussée. Il était sept heures et quart du matin.

    Las Heras. Souvent absente des cartes, cette ville de Patagonie oscille entre ville fantôme et poudrière. Haut-lieu du pétrole argentin, la privatisation des exploitations dans les années 90 a mis sur le carreau bon nombre d’habitants. À l’époque, la ville est plus connue dans la région pour ses piquets de grève qu’autre chose, et son nom se perd dans le vent au fil de la route qui s’en éloigne. Pas d’internet, pas de cinémas, pas de salles de spectacle… La ville du bout du monde n’est ni une carte postale patagonienne touristique ni une métropole vivante et culturelle, loin de là. On y vient pour le pétrole, on y reste parce que la route est bloquée. L’or noir qui jaillit par les nombreux puits qui l’entourent aura été sa richesse et sa perte.
    Au fil de ses séjours à Las Heras, Leila Guerreiro prête son oreille et son temps à ces gens que le reste du pays, les Portègnes en premier, ignorent. Elle rencontre et s’entretient avec les familles des morts ainsi que certains des habitants emblématiques. Avec son enquête, elle ne cherche pas nécessairement à comprendre le pourquoi de ces suicides, cela, les morts l’ont emporté avec eux. Ce qui intéresse la journaliste, c’est autant l’histoire de ces jeunes que celle de leur milieu.
    Elle se glisse donc dans les cuisines, les bars et les arrière-salles, parlent avec les mères, les pères, le coiffeur, le prof et les fiancé-es pour dresser le portrait de la jeunesse de Las Heras d’abord, et de celles et ceux qui tissent le quotidien de la ville. On y rencontre des femmes devenues mères trop jeunes et qui ont laissé dans le berceau de leur enfant leurs rêves d’un avenir loin d’ici, d’autres qui ont suivi leurs maris, parfois violents, parfois non, mais souvent absents et tout autant alcooliques. Des jeunes garçons qui ont vu leur père se défouler sur leurs familles, avoir plusieurs familles, crever au boulot. Un petit groupe d’hommes homosexuels qui tentent par moment d’ouvrir l’horizon, avec peu de succès. Et tandis que l’Argentine sombre dans une crise économique sans précédent, à Las Heras, la crise semble faire partie de la normalité de la vie depuis bien longtemps.

    Leila Guerriero raconte ces histoires, celle de Carolina, de Juan, d’Elizabeth, de Mónica, de María, de Luis, de tous les autres, et leurs échos. On parle d’une secte qui aurait dressé une liste de noms des futures victimes, histoire à laquelle certains croient sans trop y croire vraiment. On lit le récit de l’entrepreneur des pompes funèbres de la ville, qui a vu passer tous les suicidés et est le seul à en avoir tenu la liste. On écoute ces femmes qui ont décidé de prendre les choses en main et de créer une ligne de soutien et d’écoute aux jeunes et aux familles. On entend la peur que ça recommence. On comprend l’angoisse, l’ennui, l’oubli, la misère et la résignation devant ce que personne ne voit mais que tous ressentent. Entre tout ça, on découvre la violence de l’industrie pétrolière, les ravages de la privatisation les bras-de-fer avec les dirigeants et le mépris des joutes politiques.

    À la fin, on ressent, nous aussi, l’isolement de Las Heras et de ses habitants, seulement visitée par ce vent insoutenable qui pourrait seul porter leurs paroles au loin, mais lacère leur voix du sable qu’il charrie, premier mur d’indifférence d’une longue série qui va jusqu’à Buenos Aires.

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik
    Éditions Rivages
    222 pages

  • La sirène de Black Conch – Monique Roffey

    David Baptiste avait 26 ans en 1976. Pêcheur pénard, il sortait Simplicité, sa barque, ramenait son poisson, rentrait dans sa petite bicoque retrouver son chien Harvey. La vie était plutôt paisible sur Black Conch, son îlot des Caraïbes. Un beau matin, un joint au coin des lèvres, la guitare sous les doigts, tandis qu’il fredonnait et grattait les cordes sur son bateau, apparut devant sa petite proue une créature incroyable, légendaire, venue du fond des mers et des temps. Une sirène.

    Les locks de David Baptiste sont grisonnantes et son corps tout rabougri fait penser à des brindilles de corail noir, mais il s’en trouve encore à Sainte-Constance pour se souvenir du jeune homme qu’il était et de la part qu’il prit aux événements de 1976, quand ces hommes blancs venus de Floride pêcher le marlin avaient, à la place, sorti une sirène des eaux. C’était en avril. Après le début de la migration des tortues luth. Y’en a qui disent qu’elles étaient arrivées ensemble. D’autres affirment l’avoir vue avant l’arrivée des tortues luth, lors de pêche en haute mer. La plupart tombaient cependant d’accord sur le fait que la sirène n’aurait jamais été attrapée si David Baptiste et elle n’avaient pas déjà entretenu une sorte de batifolage.

    C’est le matin que les eaux de Black Conch sont les plus belles. David Baptiste sortait en mer le plus tôt possible ; il essayait de prendre de vitesse les autres pêcheurs pour attraper un thazard ou un vivaneau rouge. Il se dirigeait généralement vers les cayes déchiquetées à un ou deux kilomètres au-delà de Murder Bay en emportant son barda habituel pour lui tenir compagnie pendant qu’il laissait flotter ses lignes – un joint de la meilleure ganja du coin et sa guitare, un vieil instrument que lui avait donné son cousin Nicer Country et dont il ne jouait pas si bien. Il jetait l’ancre près des rochers, bloquait le gouvernail, allumait son pétard et grattait doucement sa guitare tandis que le disque blanc du soleil apparaissait à l’horizon, se hissait vers le jour, s’élevait tout doux tout doux, souverain dans le ciel bleu-argent.

    La sirène et David s’intriguent et se revoient, dans la tranquillité des vagues matinales. Mais un beau jour, donc, elle est capturée par des touristes venus de Floride, un père, vieux con persuadé de sa toute-puissance et de son droit sur toute créature vivante, accompagné de son fils trop sensible et trop poète à son goût, dont il aimerait faire un homme, un vrai. La prise est trop belle, les fantasmes brutaux et le rêve d’argent énorme. Mais David sauvera la sirène et tentera de la protéger. Car bien que l’île soit petite, paisible et loin de tout, les jalousies et les rancœurs y drainent leurs flots de violence comme partout ailleurs.

    Lectrice, lecteur, secret de mes mers intérieures, ce voyage en Caraïbes et en légende taïno est plus qu’une merveille, c’est un morceau de corail diamantin. Voyons voir.
    Sur l’île de Black Conch vit une grande majorité de personnes afro-descendantes, héritières des esclaves de plantations. Vit également Arcadia Rain, blanche tachetée de rousseur, descendante elle des premiers propriétaires terriens post-abolition. Petite île mais grande famille, tout le monde se connaît et beaucoup sont liés par le sang ou l’amour. Notre pêcheur est d’ailleurs le neveu par amour de Miss Rain et cousin par le sang de son jeune fils Reggie, fils unique des amours passionnées de Miss Rain et Life, l’oncle de David, parti avant la naissance de son fils. Car sur Black Conch, les hommes partent et les femmes restent. La vie paraît paisible, mais elle est rude, et l’esclavage a laissé sa couverture de ressentiment et de honte. Miss Rain possède une grande partie des terres de cette région de l’île, et bien qu’elle veuille se défaire de son image d’héritière anglaise, elle qui ne connaît que son île, son parler créole natif n’enlève en rien son héritage, qui aura été un fardeau trop lourd pour Life, éternel « nègre de maison », comme ils e désigne lui-même, malgré l’amour né jeune qui le lie à Miss Rain.
    Et notre sirène, dans tout ça ? Aycayia, Sweet Voice, a vécu des centaines, peut-être des milliers d’années dans les mers. Maudite par les femmes de son peuple alors qu’elle avait vingt ans et une sensualité menaçante que les hommes de son village voulaient s’approprier, elle est exilée dans les mers, transformée en sirène. L’amour de David lui rendra forme humaine, mais qu’en sera-t-il de la haine, de la convoitise, de la jalousie des autres ?

    Avec cette réécriture d’une légende Taïno (ethnie qui occupait les Antilles avant la conquête des Amériques et exterminée par les Européens), Monique Roffey nous fait un présent d’une grande valeur. Non seulement elle redonne vie à une histoire perdue, mais elle réussit à en faire un roman puissant sur les questions qui traversent les sociétés antillaises. Sous les traits des personnages archétypaux des contes et légendes, rien n’est finalement si manichéen. David le gentil pêcheur comprend comment devenir un homme grâce à l’amour qu’il porte à la sirène ; Arcadia, Life et Reggie, le jeune fils sourd et muet, apprennent à accepter leur histoire et leur complexité, leur individualité devant la force et l’engagement induits par l’arrivée d’Aycayia dans leur vie. Même Priscilla, la femme mauvaise, jalouse, qui veut la perte de la sirène qui lui a pris l’homme de ses fantasmes, trouve un peu de pitié à nos yeux par la vie dure et solitaire de mère seule, de femme vivant encore avec l’histoire de ses ancêtres esclaves et le poids du regard de la maîtresse blanche surplombant le monde depuis sa demeure.
    Les hommes partent chercher du travail, de la reconnaissance, une vie anonyme loin de la promiscuité d’une île trop petite pour y connaître la paix de l’âme. Les femmes restent, avec des rêves éteints, des charges lourdes et des espoirs pesants sur les épaules de leurs enfants. Aycayia arrive, puissance de la nature, fantasme inatteignable, femme libre et prisonnière de la jalousie et du désir des autres pour faire voler en éclat l’apparence placide d’une île qui aura vécu le vent dévastateur des conquêtes et des tempêtes, et se fait le prisme de la complexité des vies, diffractant chaque personne qu’elle croise pour en faire ressortir l’essence, soit-elle bonne ou foncièrement mauvaise.

    Un superbe roman qui glisse ses vagues de sel dans les blessures du temps, en rappelant que de temps en temps un courant d’eau douce arrive de la côte pour adoucir la vie.

    Traduit de l’anglais (Trinidad) par Gerty Dambury
    Éditions Mémoire d’Encrier
    303 pages

  • Toxique – Samanta Schweblin

    Amanda et sa fille Nina passe leurs vacances à la campagne. Le papa doit les rejoindre plus tard, et en attendant, elles profitent. Elles croisent un beau matin Carla, dont le fils couve une étrange maladie. Amanda va commencer à ressentir une menace sourde et inquiétante planer, mais peut-être est-il déjà trop tard…

    C’est comme des vers.
    Quel genre de vers ?
    Comme des vers, partout.
    C’est le garçon qui parle, il me dit les mots à l’oreille. Moi, je pose les questions. Des vers sur le corps ?
    Oui, sur le corps.
    Des vers de terre ?
    Non, un autre genre de vers.
    Il fait noir et je ne vois rien. Les draps sont rêches, ils plissent sous mo corps. Je ne peux pas bouger, dis-je.
    C’est à cause des vers. Il faut être patient, et attendre. Et en attendant, il faut trouver l’endroit précis où surgissent les vers.
    Pourquoi ?
    Parce que c’est important, c’est très important pour tout le monde.
    Je tente d’acquiescer, mais mon corps ne répond pas.
    Que se passe-t-il d’autre dans le jardin de la maison ? Je suis dans le jardin ?

    Le petit David a beaucoup changé, depuis une crise de fièvre et la mort d’un cheval. Y aurait-il un lien ? Toujours est-il que la lourdeur poussiéreuse du soleil laisse un goût de putréfaction dans la bouche et une sueur froide sur la peau. Carla est inquiète et Amanda fascinée. La beauté magnétique de sa nouvelle amie se mêle à l’atmosphère vénéneuse de son inquiétude et de l’histoire qu’elle raconte.
    En peu de pages et peu de mots, cette inquiétude devient nôtre et la frayeur se fraie un chemin le long de notre colonne vertébrale, se glisse dans les réseaux neuronaux et ressort en chair de poule et en creux à l’estomac. Que se passe-t-il donc dans ce village ? Quel est ce danger qui guette, qui est déjà là ? Existe-t-il une distance de secours suffisamment courte pour qu’un parent puisse, quoi qu’il se passe, protéger son enfant, surtout quand on ignore la source du mal ?
    Un dialogue se construit entre tous ces personnages, qui retrace le passé pour essayer de sauver ce qui peut encore l’être, s’il n’est pas trop tard.
    Court mais d’une terrifiante efficacité, ce roman de Samanta Schweblin se construit en enquête progressive, rétroactive, anticipatrice. Elle déconstruit le temps en superposant les moments et distille une peur atavique, celle d’une maladie, d’une contamination inconnue et insaisissable, d’une aliénation lente et inexorable du du corps, d’une terre, d’une société, la fuite impossible.

    On en sort séché·e, retourné·e, brassé·e, preuve s’il en fallait du talent de Samanta Schweblin à nous attraper par la moelle épinière pour un grand moment d’angoisse que l’on aura du mal à quitter !

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Aurore Touya
    Éditions Gallimard
    121 pages