Amatka – Karin Tidbeck

Vanja arrive tout droit d’Essre dans la colonie d’Amatka, bien au Nord. Là, elle est accueillie par Nina, Ivar et Ulla, qui seront ses nouveaux camarades. Envoyée par l’administration centrale, elle doit faire une étude de marché des produits d’hygiène utilisés dans la colonie septentrionale afin de connaître les besoins des colons et comment seraient reçues par les habitants de nouvelles marques, de nouvelles formules. Passionnant, non ?

Vanja de Brilar Essre Deux, assistante d’information auprès des Experts de l’hygiène d’Essre, était là seule passagère de l’autotrain pour Amatka. Dès qu’elle eut grimpé les marches, la porte se referma derrière elle et le train démarra d’un coup sec. Vanja raffermit sa prise sur sa besace et sa mallette de machine à écrire, puis, du pied, poussa sa valise de l’autre côté de la porte coulissante. Il faisait parfaitement noir. Elle tâta le mur et découvrit un interrupteur près du seuil. Une lumière jaillit, diffuse et jaune.
Le wagon voyageur était un espace exigu, vide à l’exception de couchettes en vinyle marron flanquant les murs et de porte-bagages chargés de couvertures et d’oreillers plats, assez larges pour qu’on puisse également y dormir. La voiture était conçue pour la migration, le transport des pionniers à la conquête de nouveaux espaces, ce qui, en l’occurrence, ne présentait aucune utilité.
Vanja laissa ses affaires devant la porte et s’assit sur chacune des couchettes. Elles étaient aussi dures et peu confortables les unes que les autres. Leur revêtement, lisse d’apparence, se révéla rugueux et désagréable au toucher. Vanja choisit la banquette la plus éloignée de la porte, au fond à droite, juste à côté de la salle commune, d’où on voyait l’ensemble du compartiment. Ces lieux lui rappelaient vaguement le dortoir de la maison d’enfants 2 : mêmes matelas en vinyle sous les draps, même odeur tenace de corps. À cette différence que le dortoir regorgeait d’enfants et bourdonnait de voix.

Amatka est la colonie 4. Il y en a, en avait 5. Située dans le nord, elle produit des champignons, ingrédient indispensable dans ce monde, tant à manger que pour fabriquer toutes sortes de produits. Ce monde, c’est un monde de repli pour une humanité décimée. Organisée en plusieurs colonies avec chacune sa spécificité, on y trouve une organisation très précise, très réglée. Les enfants grandissent dans des maisons d’enfants loin de leurs parents, chaque adulte est affectée à un travail et peut en changer de temps en temps. Tous se retrouvent pour partager des moments de loisirs, et le bien et la sécurité commune est la première des priorités. Tu vas me dire, lectrice, lecteur, mes mots d’amour, que tout cela ressemble un peu au Meilleur des mondes ou 1984. Mais c’est sans compter sur la particularité de ce monde : ce qui n’est pas nommé disparaît, ce qui est mal nommé se transforme. Tous les objets, bâtiments, vêtements… sont marqués de leur nom : fourchette, chaussette, valise, école, entrepôt… les habitants les nomment en les utilisant et régulièrement, ils se réunissent pour réécrire et repeindre les lettres qui maintiennent solides leur univers.
Vanja arrive donc à Amatka pour une mission somme toute assez banale. Elle est envoyée là-bas car un peu fragile, elle semble, comme son monde, toujours sur la brèche, incertaine de la réalité des choses. Lorsqu’elle était enfant, son père s’est révolté contre ce qui lui paraissait une atteinte à la nature des choses et a été puni comme il se doit dans une contrée où le langage est destructeur : on lui a enlevé la possibilité de parler. Vanja va prendre le rythme de vie de sa nouvelle colonie et tomber tendrement dans la douceur d’un amour simple avec Nina. Mais la colonie cache dans son passé des événements troublants, et sa stabilité vacille de jour en jour.

Dans cette dystopie au style aussi froid et dépouillé que l’est son univers, Karin Tidbeck parvient à nous guider en même temps que son héroïne vers les mystères que cachent Amatka et cette nouvelle terre. Derrière cette obligation de nommer correctement se dissimulent beaucoup de contraintes, d’interdictions, de malédictions. Quid de la création ? Elle est ici littéralement création et transformation. Celles et ceux qui sentent gronder en elleux l’anormal de la situation, l’étriquement de leur société et de leur vie doivent faire preuve d’un acte de foi, car personne ne sait ce qui se passera, si l’on cesse de nommer, si l’on change, si l’on manipule les objets pour les emmener sur une autre voie. Devant ce saut dans le vide, la fragilité de Vanja et la froideur de l’atmosphère se mettent à trembler, à grésiller, prêts peut-être à changer le cours des choses sous l’impulsion des mots et de la création.

Traduit de l’anglais et du suédois par luvan
Éditions Folio SF
314 pages

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *