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  • La peste et la vigne – Patrick K Dewdney

    Alors qu’il combattait aux côtés des Vars, Syffe, notre jeune héros, a vu son mentor défait, sa dulcinée s’éloigner et lui-même enlevé par des marchands d’esclaves carmides. Il passera 5 années enchaîné à Iphos, entre mine et bûcheronnage, violence et maladie. Mais tandis que ses geôliers et ses compagnons d’infortune s’effondrent sous les ravages de la peste, Syffe s’enfuit, miraculeusement rétabli, et part à la recherche de sa chère et tendre Brindille, qu’il espère retrouver saine et sauve, comme l’a promis le pérégrin, du côté des Ronces, auprès des mystérieux et mystiques Feuillus.
    C’est un périple plein de dangers et d’incertitudes dans lequel s’embarque Syffe. Fort de 5 années de plus, d’une bonne préparation physique travaillée dans les mines d’Iphos et bien qu’affaibli par la terrible peste marquaise, il parvient donc à s’enfuir de l’emprise des Carmides et se prépare à traverser de hautes et terribles montagnes. Il croisera dans son long périple les guerriers Arces, fiers et retirés, des gens de peu et de biens, des soldats et des mercenaires. Et plus il avance, ne gardant en tête que son amour pour Brindille, plus les autres et le monde semble lui rappeler qu’il n’est pas un jeune homme comme les autres. Le pérégrin et les Feuillus, en plus de sa flamme, pourront-ils lui donner sa vie ?

    « Je passai cinq années de ma vie à Iphos.
    Ma mémoire des mines est une chose laide et obscure, que je m’efforce d’effleurer seulement par accident et qu’il m’est difficile de coucher sur le papier. Malgré tout, le triangle restera gravé dans ma chair jusqu’au jour de ma mort, une marque indélébile de ce qui fut alors, et qui me privera toujours du luxe de l’oubli. Aujourd’hui encore je suis capable d’invoquer l’odeur de la fosse avec une terrifiante facilité. »

    C’est donc après la description de ce petit pont de 5 ans que Syffe reprend son récit avec la lutte contre la maladie et la longue randonnée à travers ces magnifiques et mortelles montagnes qui dissimulent de nombreux secrets en leurs épines et ravines. Nous retrouvons avec plaisir le style poétique et très travaillé de l’auteur, et cette première partie montagnarde vrille les sens et nous replonge avec brio dans l’épopée du jeune garçon.

    Il ne lui sera bien évidemment rien épargné pendant les presque 600 pages qui le sépare d’hypothétiques retrouvailles avec Brindille, et il découvrira que pendant ses 5 années d’esclavage, la guerre et le déluge de misère et de violence qu’elle essaime se sont également répartis sur nombres de comtés du pays. Il retrouvera d’ailleurs plus tard le fracas des armes, la franche ( ?) camaraderie et les massacres.

    Notre Syffe maintenant jeune homme va donc voir ses croyances et principes durement hérités de la Pradekke mis à rude épreuve et devra trouver en lui et en les autres la force, la confiance, voire la foi, pour ne pas perdre pied. Mais alors qu’il s’accommode de la complexité des relations humaines, les ombres mystiques et fantastiques vont l’enlever de plus en plus et questionner ses origines, sa destinée et son véritable libre-arbitre. Syffe est-il maître (autant que faire se peut) de sa vie, suit-il un chemin tracé par d’autres, ou trace-t-il lui-même une histoire qui le dépasse ?

    Au diable Vauvert
    600 pages

  • L’enfant de poussière – Patrick K. Dewdney

    Le jeune Syffe, petit orphelin, a été confié aux bons soins de la veuve Tarron avec 3 autres camarades. Pas particulièrement malheureux, les 4 amis vivent leur enfance entre corvées à la ferme et jeux dans les bois. Vivant leur insouciance paisible en banlieue de la grande ville de Corne-Brune, ils ne prêtent qu’une oreille bien distraite aux murmures qui s’en échappent et évoquent, un jour, la mort du roi Bai. Cet événement qui aurait pu n’avoir aucune conséquence en d’autres lieux et d’autres temps, va pourtant déclencher une lutte de pouvoir qui déchirera leur vie et bouleversera, bien évidemment, leur destin, celui de leur contrée, et bien plus !
    À la suite de quelques manquements à la loi, Syffe se retrouve bien malgré lui embringué dans les intrigues politiques de Corne-Brune, où il découvrira le racisme infligé aux peuples claniques (dont il est lui-même un représentant), les magouilles pour le pouvoir, mais aussi une étrange menace, entre fantasmagorie et sorcellerie. C’est donc le début d’un parcours initiatique doublé d’un sacré chemin de croix pour notre jeune héros, qui découvrira de la vie bien plus qu’il n’en aurait rêvé.
    Divisé en quatre parties, ce petit pavé va nous balader avec Syffe dans ce territoire au bord du chaos, 4 étapes charnières de sa jeune vie ponctuées de rencontres fortes et de moments sombres et sanglants.

    « Nous étions couchés dans les herbes folles qui poussent sur la colline du verger et, de là, nous voyions tout. L’ai était pesant, presque immobile, rempli du bourdon estival des insectes. Autour, il y avait le parfum mêlé des graminées et l’odeur douceâtre des pommes qui mûrissent. Suspendus aux branches chargées de fruits, des charmes d’osselets gravés tintaient mélodieusement pour éloigner les oiseaux et la grêle. Face à nous se dressaient Corne-Colline et les murailles sombres de la cité de Corne-Brune, grassement engoncées dans la poussière que soulevaient les charrettes de la route des quais. Enfin, au bout du chemin sale que nous surplombions, derrière le petit port fluvial, la Brune coulait paresseusement. »

    C’est un retour à la fantasy pour moi, après une pointe de lassitude suite à des séries interminables et souvent interminées, soit par moi, soit par l’auteur, soit par l’éditeur, et donc un brin de frustration. Mais ce cycle de Syffe était sorti avec une aura très enchanteresse et une telle ribambelle de critiques enthousiastes que j’ai eu envie d’y jeter un œil. Et puis il était déjà sur mon étagère quand j’ai appris qu’il y aurait…. 7 tomes. Arf. Bon.

    Mais qu’en est-il finalement ? Et bien, ma foi, cet Enfant de poussière en ce qui me concerne aura très bien fait son office ! L’écriture de Patrick K. Dewdney est absolument entraînante et nous emmène avec elle par le bout de l’esperluette sur les chemins et dans les bois de la contrée de Corne-Brune, et au-delà, avec un plaisir grandissant. Le jeune Syffe, petit héros d’environ 8 ans quand commence notre histoire, fait un protagoniste fort agréable, dans la tradition des jeunes garçons qui ne savent pas d’où ils viennent et se retrouvent au centre d’un bouleversement historique. Les personnages secondaires sont extrêmement bien campés, un peu stéréotypés mais sans facilité dans leur caractère et leurs desseins. L’univers lui-même fourmille de détails, de richesse et de vie, on sent que l’auteur l’a bien pensé et réfléchi, et sait où il nous emmène. On pensera bien sûr à Robin Hobb et Fitz pour ce destin juvénile au long cours qui l’attend, nous avec.

    Alors certes, on ne trouvera, je pense, rien de bien révolutionnaire dans ce premier tome. La trame semble très classique, l’univers médiéval parlera à tous les aficionados du genre tout comme les caractérisations des personnages. Mais tout cela est très bien ficelé, merveilleusement écrit et fort bien mené. Beaucoup de pistes différentes brillent dans cette forêt littéraire, nous n’en sommes encore qu’à l’orée, et on ne peut qu’espérer que les 6 (!) tomes restants n’en laissent de côté aucune  envahies de fougères et garde ce souffle épique et poétique qui fait la richesse de cette entrée en matière.

    Folio SF / Au diable vauvert
    784 pages

  • Le sang de la cité – Guillaume Chamanadjian

    La cité de Gemina, sise au Sud d’une plus vaste région, est divisée en plusieurs quartiers, chacun régi par plusieurs ducs, au blason à la tendance animalière et aux alliances bien évidemment politiques et économiques. Cité maritime, ou tout au moins portuaire, Gemina s’entoure d’une double muraille et ses habitants semblent n’avoir que peu de contact avec l’au-delà, si ce n’est quelques marchands, notamment venus de Dehaven, la grande cité du Nord.

    Nohamux, plus couramment appelé Nox, est un jeune commis d’épicerie qui vit sous la protection du duc de la Caouane, la tortue de mer. Passionné de poésie, par l’histoire de la cité et joueur de Tour de garde, variation ouverte et à tendance collectionneuse des échecs, il est connu comme le loup blanc de par son passé et son métier, ce dernier lui donnant l’avantage de connaître et d’arpenter la ville qu’il aime tant.

    Mais qui dit sous la protection d’un duc dit, forcément, problèmes à venir. Et Nox n’y échappera pas, malgré son envie d’une vie simple, il se retrouvera au cœur des intrigues politiques de la ville. Il va aussi découvrir une partie de la cité qu’il ignorait et qui dissimule de sombres choses dans la brume…

    Une pièce d’argent pour un conte en or.
    C’est de cette manière que les histrions et les poètes apostrophent les passants. Il est rare qu’ils obtiennent ainsi plus d’une pièce de cuivre, mais la formulette est pour ainsi dire traditionnelle. Elle existait avant que leur congrégation déambule dans les rues avec un bandeau sur les yeux, avant les maisons. Certains disent avant même la création de la Cité.
    Une pièce d’argent pour un conte en or.
    Des dizaines de milliers de poèmes et chansons commencent ainsi. Des dizaines d’entre eux parlent de la ville, quelques dizaines du duc Servaint. Et une petite poignée parmi ceux-là a cru bon de me mentionner.

    Garçon très attachant et assez omnipotent, Nox fréquente donc toutes les sphères de la ville, aime la poésie, est attaché aux valeurs de l’amitié, de la franchise, de l’honnêteté et de la fidélité. C’est donc un garçon (un peu trop ?) bien. Il développe un lien particulier avec sa ville, dont il sent le rythme, les battements, les vibrations. Les mystères urbains, qu’ils soient issus de la stratégie humaine ou bien de la mythologie millénaire, vont bien vite mettre à bas ses idéaux et lui mettre le nez dans la violence du monde qui l’entoure.

    Le sang de la cité est le premier tome d’une saga ambitieuse et qui était attendue avec impatience par les fans du genre ! Le cycle va se répartir entre Gemina et Dehaven, chaque ville ayant droit à trois tomes, leur histoire étant sous la responsabilité de deux auteurs différents. Guillaume Chamanadjian a donc sous sa plume la vie de Nox, de sa bande, et surtout l’histoire de Gemina.
    Un premier tome très prometteur, qui met sur le devant de la scène un héros certes un peu lisse, mais dans un univers assez intrigant et très bien posé, dont les ramifications lancées mettent en bouche un goût de sel et d’épices, dont on reprendrait bien une cuillère.

    S’il faudra attendre un an pour retrouver la capitale du Sud, le prochain tome est prévu, lui, pour cet automne, et nous emmènera à Dehaven, la ville du Nord, sous la plume de Claire Duvivier (oui oui, le merveilleux Long voyage), et là, j’ai vraiment, mais vraiment hâte !

    405 pages
    Aux forges de Vulcain

  • L’année suspendue – Mélanie Fazi

    Après un premier essai-témoignage qui a inauguré la collection non-fiction des formidables éditions Dystopia dans lequel elle partageait son long cheminement personnel sur les normes sociétales de la vie amoureuse, sexuelle, en couple, qui l’ont amené à chercher et expliquer en quoi cela ne lui correspondait pas et pourquoi ce n’était pas anormal, Mélanie Fazi a confié à Dystopia un second cheminement, encore plus personnel, directement issu du premier.

    Se découvrir autiste à 40 ans. Étonnant, pourrait-on penser, tant les idées et images préconçues sur l’autisme sont nombreuses et chargées. Pourtant une proportion non négligeable de la population, surtout chez les femmes, seraient sur le spectre sans le savoir. Et Mélanie Fazi, après avoir été confrontée à cette éventualité, a décidé qu’elle voulait savoir. Après le long travail qui l’avait amenée à Nous qui n’existons pas et la libération de vivre enfin en se connaissant mieux, c’est une nouvelle plongée dans le flou auquel elle fait face. Et c’est ce très long parcours du combattant qu’elle partage désormais avec nous. Cette année suspendue doit, à terme, lui donner une réponse non seulement sur ce qu’elle est, une nouvelle fois, mais aussi expliquer comment elle est, ce qu’elle ressent, donner un sens à cette impression de vivre à côté des autres, sur un rythme décalé. Avec beaucoup de recul et une analyse quasi ethnographique, Mélanie Fazi nous décrit ses questionnements et la démarche qu’elle a suivi pendant un an, jusqu’au diagnostic.

    Ça ne va jamais s’arrêter. Ce fut, je crois, ma première pensée quand les mots furent prononcés.

    Ce récit très personnel, et qui se veut comme tel, prend néanmoins une dimension universelle sous sa plume. Comme dans Nous qui n’existons pas, Mélanie Fazi nous pousse à nous interroger sur notre rapport au monde, aux normes, aux autres. C’est aussi et surtout un témoignage précieux sur un trouble dont on parle beaucoup à tort et à travers, qui fait l’objet de nombreux clichés et d’idées reçues alors qu’il est à lui seul tout un univers et déploie son spectre sur de multiples échelles. C’est un récit important sur le parcours complexe et ardu qui mène au diagnostic, sur la prise en charge et la connaissance même de celui-ci par les corps médicaux.

    L’année suspendue est finalement une plongée en soi qui va au-delà de l’autisme. Avec ce regard extérieur sur elle-même, Mélanie Fazi nous fait don d’un beau récit sur l’altérité, le rapport aux normes et à l’intime qui parlera en creux à tout·e·s, nous rappelant nos différences et l’empathie dont nous rêvons au quotidien. Le monde est vaste, nous sommes foison, et de cette multitude naît notre humanité. Témoignage important et remuant, L’année suspendue met non seulement en lumière la difficulté de prise en charge et de suivi des personnes sur le spectre de l’autisme, mais nous propose aussi de regarder le monde d’un autre œil : le sien, le nôtre aussi, diffracté, celui de l’ami·e qu’on ne comprend pas toujours, du collègue étonnant… Tous ces regards ne seront jamais tout à fait les mêmes et apporteront leurs richesses à notre besoin de sens.

    297 pages
    Dystopia Workshop

  • Les affaires du club de la rue de Rome, Janvier-Août 1891 – Adorée Floupette

    À la fin du XIXème, dans le Paris décadent, les artistes les plus en vogue se retrouvent rue de Rome, chez Stéphane Mallarmé, roi des poètes et hôte des célèbres Mardis de la rue sus-nommée. Mais en plus de dandys décadents qui donnent le pouls du Paris de Montmartre, le Maître s’occupe aussi d’occultisme et combat avec acharnement le fanatisme. Tête pensante et grand organisateur mystérieux, il déploie ses équipes aux quatre coins de la ville pour déjouer les plus terribles complots ourdis par des créatures démoniaques, arrachés aux mœurs dissolues ou au folklore et nous emmenant, la peur au ventre et l’aventure au cœur, dans les tréfonds des rues et des sous-sols du Paris hausmannien.

    De tous les mystères qui entourent la vie et l’œuvre d’Adorée Floupette (1871?-1949), le plus grand est certainement l’ampleur de sa bibliographie romanesque, qui mêle à des livres publiés sous son nom de naissance quantités d’autres parus sous des identités d’emprunt.

    Pour en savoir plus sur Adorée Floupette, je te renvoie, chère lectrice, cher lecteur, à cette fabuleuse séance de Mauvais Genre, en plus de la préface de l’ouvrage ici évoqué. Sache que derrière cette plume mystérieuse, tu ne trouveras rien de moins que la cerise sur le gâteau de la littérature : Léo Henry, Raphaël Eymery, luvan et Johnny Tchekhova.
    Si je maitrise mal Raphaël Eymery (mais son méfait ici donne envie de se pencher sur son œuvre précédente), j’avais découvert Johnny Tchekhova par son œuvre sonore Loubok, que tu peux découvrir ici.

    Faut-il encore présenter les deux autres ? Léo Henry, prolifique auteur et merveilleux co-réateur de l’inoubliable Yirminadingrad, qui nous régale à chaque sortie par son imagination et son inventivité. luvan, poétesse parmi les écrivain.e.s, artiste aux talents multiples, le maniements des mots et leur intrication n’était pas parmi les moindres. En ces temps pandémiesques pendant lesquels on ne peut pas compter sur grand-chose, un texte de Léo Henry ou luvan est comme une étreinte rassurante et chaleureuse, nous rappelant que quelque part des choses meilleures nous guettent.

    4 nouvelles donc, qui vont nous faire parcourir Paris aux côtés d’Alphonse Allais, Gustave Moreau, Ernest Dowson et Octave Mirbeau. Ces grands noms de l’art français seront accompagnés de side-kick comme Jane Avril, Berthe Weill, Maria Iakountchikova, side-kick qui, comme il se doit, se révéleront bien plus malignes et efficaces que leurs augustes et paternalistes partenaires. Entre cauchemar gothique et créatures mythiques, vengeances, complots ou expériences, les enquêtrices et enquêteurs de la rue de Rome nous entraînent dans la frénésie créatrice de la fin du XIXème, ses cabarets, sa misère et sa colère qui gronde dans l’industrialisation crépitante, ses abus et ses excès portés par la fée verte.

    Chacun.e ici parvient à nous immerger dans son univers avec ses intérêts et son style, tout en contribuant à la cohérence générale de l’ouvrage. Il en ressort un recueil qui se dévore d’une traite comme un roman, formidable de bout en bout. On en espère d’autres !

    Éditions La Volte
    400 pages

  • Susto – luvan

    Le réchauffement climatique a poussé les populations du monde à fuir, et nombre d’entre elles ont trouvé refuge en Antarctique. Sur l’île de Ross a été fondée la ville de Susto. Sur la brèche, la ville vit suspendue à la respiration de l’Erebus et aux palpitations de sa population.


    Susto est une ville cosmopolite, on y retrouve des grecs, des japonais, des russes… Tout ce beau monde, descendants des migrants climatiques qui prirent pénates au pied de l’Erebus, échange en espéranto, aime, se bat, s’exploite, cherche du sens, cherche d’autres survivants, plus loin après l’océan. Les frustrations, les rêves et les peurs couvent et grondent et l’Erebus s’en fait l’écho.

    Les protagonistes de Susto, héro.ïne.s involontaires d’une destinée incontrôlable, tentent de trouver de la lumière et de l’air dans l’ombre du volcan. Malgré la présence lointaine d’autres colonies de réfugiés sur les terres de Victoria et de Dumont-d’Urville, ils sont seuls, vestiges de sociétés disparues, sourds et aveugles à ce qui peut être advenu sur les continents abandonnés depuis longtemps. Des prophétesses et des vengeurs, des colporteurs et des mineurs, des grands-mères et des petits-enfants, chacun porte en lui son rapport à Susto, à son impermanence, les espoirs et le futur que l’on pourrait y projeter se briseront, quand il le décidera, sur les flancs flamboyants de l’Erebus.

    Roman choral poétique, Susto se raconte par tous les moyens possibles : mots, verbes, pages, signes et blancs. La toile de ses habitants nous emmène des hauteurs volcaniques aux profondeurs minières, entremêle les souvenirs de révoltes populaires et d’éruption destructrices, qui, faisant table rase, semble autant une chance de renouveau qu’une chute vers le recommencement. Chacun est porté par ses obsessions : le volcan, des histoires, une filature, un ailleurs, le volcan, une révolution, le pouvoir, l’amour, le volcan. Car c’est bien l’Erebus qui se fait l’exutoire de toute cette vie. Nommé d’après l’expédition Ross, l’Erebus se fait le pouls de cette ville inquiète, en proie à toute sorte d’angoisse qui tantôt la fige et tantôt la pousse à vivre. Signe constant de vie et menace incessante, l’Erebus sera peut-être le châtiment et la libération, qui poussera enfin les Sustoïtes à affronter leurs peurs et leurs désirs.

    Ça pourrait commencer aujourd’hui.
    Waldmann n’a pas terminé de compiler les mesures du spectromètre.
    Le soleil rasant du printemps grlel, qui projette à son tour, sur le cahier noirci de chiffres, un filtre couleur boue.
    À l’horloge, c’est déjà l’aube. Laure a oublié son briquet. Waldman l’empoche, s’étire, saisit sa tass et lance un regard hébété à la cour du Cloître, aka l’Université Schakleton.
    Dehors, des corneilles. Des feuilles mortes, sur le gravier, raclent comme le couteau contre une pierre à aiguiser.

    La Volte
    320 pages

  • Un long voyage – Claire Duvivier

    Alors qu’il n’est qu’un enfant, Liesse est donné, sous un archaïque contrat d’esclavage, à des fonctionnaires impériaux de Tanitamo. Il apprendra à lire et écrire en armique et découvrira les rouages de l’administration impériale. Lorsque Malvine Zélina de Félarasie, jeune et fougueuse haute fonctionnaire envoyée sur l’île pour faire ses preuves, lui propose de la suivre vers son nouveau poste à l’autre bout de l’empire, Liesse n’hésitera pas. Il part pour un long voyage qui dessinera sa vie et celle de l’empire.

    Un long voyage commence comme une chronique de la vie d’un homme humble qui s’est retrouvé presque par hasard aux côtés de la femme qui a marqué son temps, continue comme la biographie de cette incroyable femme qu’est Malvine, et de l’empire pour lequel elle œuvre, se poursuit par une invasion inimaginable et de funestes moments et se termine en nous interrogeant sur ce qui fait peuple, sur l’histoire d’un pays, la construction de son identité propre et de l’identité collective dans un éclat d’humanité, d’émotion et de beauté. Les aventures de Malvine et les bouleversements que vit l’empire sont d’une inventivité brillante et terrifiante. La langue de Claire Duvivier, poétique et drôle tout en restant simple, à l’image de Liesse, nous mène par le bout du nez d’une histoire tranquille aux côtés de personnages vibrants et vivants à un chamboulement historique complètement fou. Ses personnages sont d’une beauté incroyable, Malvine une figure fascinante et Liesse un narrateur qui retranscrit merveilleusement bien les ambiances, tensions langagières et culturelles de cet étrange monde archipélagique.
    Ce long voyage, est-il celui de Liesse, narrateur omniprésent et témoin malgré lui d’un changement de paradigme dans un empire dont les rouages étaient gravés dans le marbre ? Est-ce celui de Malvine, au destin brillant tout tracé et pierre angulaire de ces bouleversements ? Est-ce enfin, peut-être, celui d’un pays, d’un empire confronté à son histoire, ses traditions, qui doit s’examiner à l’aune du chemin parcouru avant de continuer ?

    Gémétous, ma hiératique, c’est pour toi que j’allume cette lanterne, que je sors ces feuilles, que je trempe cette plume dan l’encre. À vrai dire, je me lance dans cette entreprise sans savoir si je pourrai la mener à bien : il y a fort longtemps que je n’ai pas couché des mots sur le papier et, même à l’époque où cette tâche m’était quotidienne, mes œuvres se limitaient à des rapports et des procès-verbaux. Mais après tout, ce n’est pas une épopée que tu m’as demandé ; toi, tu veux la vérité sur Malvine Zélina de Félarasie, et je suis l’un des derniers en vie à l’avoir connue.

    C’est à coup sûr l’un des plus beaux voyages littéraires que tu peux faire, lectrice, lecteur, un roman sublime et indispensable !

    Aux Forges de Vulcain
    240 pages

  • Souviens-toi des monstres – Jean-Luc André d’Asciano

    Raphaël et Gabriel sont les derniers-nés d’une famille uni-maternelle mais multi-paternelle et complètement matriarcale. Ils ont le talent miraculeux de chanter aux anges et aux ténèbres, et sont, accessoirement, frères siamois.
    Habitants de la petite île de Sainte-Marie des deux-mers, île de pirates, d’apostats et autres renégats, ils grandissent sous la protection de Sofia, grande sœur aussi silencieuse que forte, et de leurs frères, du 1er au 4ème. Chef de famille, religieux fou, protecteur de constellations ou fine lame, les frères rythment la vie de la petite île et de ses habitants, Agrigente, faux prêtre (ou vrai repenti) et son fils Giovannito, Begher le marionnettiste-anarchiste, les filles du bordel, Raspoutine… Toute cette clique haute en couleur va vivre des événements fantasmagoriques et révolutionnaires, des batailles, des passions et des spectacles.

    Dans une Italie plus proche de Pinocchio et Calvino que de Berlusconi, les frangins magiques et leur tribu vont aller de révélations inouïes en rencontres folles, et nous suivons leurs aventures, emportés par l’esbrouffe la plus totale. Tout est grand, majestueux, presque caricaturalement italien, et nous n’en avons jamais assez ! La langue est mirifique, alliant poésie, argot et insulte avec une aisance naturelle, et les péripéties, les révélations de la troupe de personnages incongrus, entre destinée picaresque et représentation biblique, ne sont jamais assez énormes pour nous lasser. On pleure beaucoup, on rit tout autant et on tremble à chaque page pour ces personnages beaux, brillants, humains ou non mais qui tous débordent d’émotions.

    Mon frère vient de sombrer dans le coma, à moins qu’il ne me faille le considérer comme mort. Si cela est vrai, nous accomplissons alors un miracle de plus, une obscénité nouvelle, celle d’être à la fois mort et vivant.

    Ça vit, ça aime, ça saigne, ça tue, ça ne s’arrête jamais, c’est une déferlante de vie et c’est merveilleux !

    Aux Forges de Vulcain
    520 pages