Floralies – István Örkény

Áron Korom est un jeune réalisateur ambitieux de la télévision hongroise. Pour montrer son talent et sa vision moderne et avant-gardiste, il propose à son supérieur un programme ambitieux, qui devrait révolutionner le petit monde de la télévision : il va filmer la mort de 3 personnes. Il démarche, rencontre et propose à des malades inconnus ou des amis qui profitent un chouïa trop des bonnes choses de les accompagner sur le chemin vers la dernière demeure. Áron veut montrer à ses concitoyens la vraie vérité de la mort, dépouillée de tout artifice, dans sa grande simplicité. Mais la mort elle-même finit par se soumettre aux desideratas de la télévision !

István Örkény m’avait déjà régalée de son sens de l’absurde dans le plutôt foutraque Les boîtes, qui donnait déjà bien envie d’y revenir (je t’en parlerai sans doute un de ces quatre tiens, ça fait longtemps que je ne l’ai lu !), c’est donc en toute confiance que je me suis saisie de ce Floralies et de son histoire bien tant moderne, pour un récit des années 70 ! Après le déferlement et l’omniprésence de la télé-réalité depuis le début des années 2000, en tant que show mais aussi comme manière de mettre en scène à peu près tout et tout le monde, le sujet semble presque anachronique dans la Hongrie 70’s. Et pourtant…
Örkény pointe avec malice les manies d’une industrie télévisuelle qui déjà se regarde produire des images qu’elle rêve novatrices et dévastatrices, bouleversantes et addictives, mais aussi d’une société dont les individus, très centrés sur eux-mêmes, voient également leurs intérêts et ne sont pas aussi naïfs et purs que le voudrait Áron. Finalement, qui de la télévision ou de la société est le plus cynique ?

« Monsieur le ministre,
Veuillez me pardonner de déranger un homme d’État important et chargé de responsabilités pour une affaire d’allure si insignifiante, mais cela fait trois ans que je travaille à la télévision comme assistant de réalisation, et on ne m’a encore jamais confié aucun programme sérieux ; et quand c’est moi qui fais une proposition, on la rejette. C’est ainsi, par exemple, que l’on vient de me refuser le tournage du documentaire Notre mort.  D’après mes supérieurs, la mort n’est pas un bon sujet, car tout le monde en a peur, alors que d’après moi, nous la craignons précisément parce que nous n’en parlons jamais, et que donc nous ne la connaissons pas. Depuis que le nombre des croyants a baissé et que nous avons perdu la perspective réconfortante de la vie dans l’au-delà, nous pesons à l’inéluctable, impuissants et désorientés, comme à quelque chose d’horrible et d’épouvantable. »

Court et efficace, ce roman est un vrai plaisir d’humour noir et d’absurde comme l’Europe centrale sait nous en écrire et montre à quel point certaines absurdités modernes l’étaient déjà il y a quelques décennies, et que cela ne nous empêche pas de nous y jeter les yeux fermés…

160 pages
Traduit par Jean-Michel Kalmbach
Éditions Cambourakis

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