Le chant des survivants – Paul Tremblay

Natalie et son mari Paul attendent impatiemment l’arrivée de leur premier enfant. Enceinte de 8 mois et demi, Natalie patiente en enregistrant des messages pour son bébé sur son téléphone portable. Mais ces dernières semaines sont plutôt mouvementées : une épidémie de rage s’étend sur le Massachussetts. Virulente et encore incontrôlée, elle a provoqué un confinement de la population. Mais en ce beau matin d’automne, un homme malade force la porte de leur maison, tue Paul et mord Natalie. Commence alors pour elle une course contre la montre pour obtenir un vaccin, avec l’aide de sa meilleure amie Ramola

Prélude

En des temps anciens,
Lorsque les vœux se réalisaient encore

Ceci n’est pas un conte de fées. Du moins pas le genre qui a été aseptisé, homogénéisé et disneyifié, anémique dans tous les sens du terme, peuplé de monstres aux griffes arrachées, aux canines émoussées, où les enfants sont retrouvés sains et saufs, des leçons difficiles tirées de vies tout aussi difficiles, perdues puis oubliées, et ce à dessein.

Ceci n’est pas un conte de fées. Ceci est un chant.

La veille, on avait demandé aux habitants d’éteindre les lumières -s’agissait-il d’une recommandation ou d’une obligation en accord avec le couvre-feu imposé par le gouvernement ? Après que son mari, Paul, se fut endormi, au lieu d’allumer une bougie, Natalie se rendit aux toilettes en s’éclairant avec la lampe de son téléphone portable. Elle avait de plus en plus de mal à se déplacer et ne s’imaginait pas traverser la maison une flamme à la main.
À présent, il est onze heures et quart et, oui, elle est aux toilettes à nouveau. Avant que Paul s’en aille, trois heures plus tôt, elle lui a dit qu’elle devrait songer à y installer un lit de camp et un bureau. Les toilettes sont au rez-de-chaussée, la fenêtre donne sur le jardin semi-privé et la palissade qui, blanchie par le soleil, aurait besoin d’une nouvelle couche de peinture. L’herebe a succombé depuis des mois à la chaleur d’un énième été aux températures record.
L’épidémie sera imputée à la chaleur. Un tas d’autres méchants seront désignés, et quelques héros, aussi. L’arbre phylogénétique du virus mettra des années à être établi, et même alors, il subsistera des douteurs, des détracteurs, des politiciens à l’opportunisme cynique. Comme toujours, certains s’entêteront à ignorer la vérité.

Tout ceci te rappelle quelques souvenirs, lectrice, lecteur, ma rage au cœur ? C’est normal, ça n’est pas fini, mais heureusement limité au contexte. La rage qui sévit dans l’état du Massachussetts se distingue non seulement par la rapidité de son affection mais aussi par la violence qu’elle provoque chez les malades, qui succombent ensuite rapidement.
Natalie sait ce qu’elle a pu entendre aux infos et lire sur les réseaux sociaux. Du vrai, du pas sûre et beaucoup de rumeurs souvent bien fausses. Sa meilleure amie Ramola, elle, est par contre bien mieux informée. Pédiatre, elle a été réquisitionnée pour rejoindre les équipes d’intervention d’urgence à l’hôpital de Boston dès le lendemain, et elle connaît les protocoles, elle voit les questionnements, les inquiétudes des médecins et les théories qui se construisent à l’observation sur le mécanisme de la maladie. Et pour le moment, on a vu des patients déclarer la rage une heure post-exposition.
C’est donc un sprint qui attend nos deux héroïnes. Alors prends une grande inspiration avant de plonger. Repense au printemps 2020, au confinement, l’inquiétude, l’inconnu, les lieux fermés, la police, la panique. Tu y es ? Maintenant ajoute une maladie bien plus rapide et surtout qui peut transformer la personne assise à côté de toi en quelqu’un d’une violence incontrôlable qui veut te faire du mal et ton chien en Cujo. Des routes fermées, des hôpitaux débordés, des gens agressifs sans être malades, d’autres qui pensent en savoir assez pour régler le problème eux-mêmes en milice, plongeant dans les théories complotistes d’un deep state et de grands remplacements.
Paul Tremblay mène sa barque avec un talent tout cinématographique. Chaque nouveau défi est un risque terrible pour Natalie et Ramola, et la dramaturgie va crescendo, sans que l’on sache parfois nous-mêmes ce qui serait le mieux à faire. Fort·es de notre expérience covidienne, riche d’une nouvelle sagesse épidémique, le bon sens se heurte parfois violemment à notre raison, comme cela arrive à Ramola qui, pour sauver la vie de son amie et son enfant à naître, sera prête à tout ou presque.
Thriller à l’arrière-chant de conte, chant d’une odyssée macabre et brutal, Le chant des survivants nous ramène à notre basse humanité, pleine de contresens, de brutalité, de choix, mais aussi de soutien et surtout de comptines.

Sorti aux États-Unis en juillet 2020, Le chant des survivants prend a posteriori des allures de conte d’un printemps perdu et, comme tous les contes, d’un avertissement glaçant aux lecteurices.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Juliane Nivelt
Éditions Gallmeister
322 pages

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