Cora a quitté son Brésil natal pour étudier la mode à Paris. Elle a laissé là-bas, à Porto Alegre, sa mère, son père, sa nouvelle femme et leur futur enfant. Simultanément, son père lui propose de revenir passer quelques temps au pays pour la naissance de son demi-frère et Julia, son amie d’étude, refait surface après des années de silence. Un road-trip dans les tréfonds du Rio Grande do Sul avait été fantasmé dans leur jeunesse, ne serait-il pas temps de le réaliser ?
Tout ce qu’on a fait, c’est prendre la BR-116, passer sous des ponts avec des publicités pour des villes qu’on n’avait pas la moindre intention de visiter, ou des messages annonçant le retour du Christ et le compte à rebours avant la fin du monde. On a laissé derrière nous les routes de banlieue, qui commencent comme des voies rapides pour finalement se perdre au milieu d’une zone industrielle, de taudis jetés le long d’un ruisseau, où des chiens errants traînent sans presque jamais aboyer, puis on a tracé, tracé jusqu’à ce que la ligne droite devienne virage. C’est moi qui conduisais. Julia avait les pieds sur le tableau de bord. Je n’avais pas souvent la possibilité de la regarder. Quand elle ne connaissait pas les paroles d’un morceau, elle fredonnait. « Tu as changé de coiffure », lu ai-je dit après un rapide coup d’œil sur sa frange. Julia a répondu : « Il y a plus ou moins deux ans, Cora. » On a rigolé tandis qu’on attaquait la route de montagne. C’est comme ça qu’on a commencé notre voyage.
Ma voiture était restée sans rouler un bon bout de temps, sous une bâche argentée – tel un secret qu’on n’arrive pas à cacher ou un enfant qui essaie de disparaître en mettant ses mains devant les yeux -, entourée de tout un bric-à-brac, dans le garage de ma mère.
Cora rentre donc au Brésil, non pas tant pour la naissance du petit frère, dont elle ne sait pas tellement quoi faire, que pour Julia et son surgissement improbable et imprévu. Alors que Cora revient de Paris, Julia atterrit depuis le Canada et les deux se lancent sur les routes du Rio Grande do Sul, région du sud du Brésil, frontalière avec l’Uruguay et l’Argentine. De la pampa, des plantations immenses de soja, des mines… un autre monde que Porto Alegre, ou même Soledade, et à des lieues de l’Europe ou du Canada. Mais les retrouvailles entre les deux jeunes femmes soulèvent d’autres questions. Lors de leurs études, elles sont passées d’amies à amantes, des sentiments assumées par Cora, dont la bisexualité était connue de ses proches, mais niés par Julia pour qui la situation était difficile à définir. Une rupture brutale avant son départ au Canada avait achevé de blesser Cora, qui revient donc sans vraiment comprendre ce retour soudain dans sa vie.
Raconté du point de vue et par la voix de Cora, On adorait les cow-boys est un road-trip à plusieurs étages.
Le premier étage, géographique, nous emmène avec les deux jeunes femmes dans le Rio Grande do Sol, grande région de cet immense pays qu’est le Brésil. On quitte les grandes villes pour des plus petites, des forêts, d’anciennes mines, la pampa, la frontière proche. Rencontres étonnantes qui s’égrènent au fil des jours, dessinant le tableau d’un Brésil varié et diffracté entre grandes propriétés, anciennes mines, paysages dévastés et gauchos, bien sûr.
Le second étage sera plus temporel. Cora comme Julia ont connu des jours compliqués, entre divorce parental, reconstruction familiale et secrets de famille. Les longues heures sur la route et les rencontres qu’elles provoquent, la solitude et l’isolement seront l’occasion pour chacun de se confier, de partager des histoires tues pendant longtemps et de comprendre l’autre et soi-même un peu mieux.
Le dernier étage nous emmène dans ce road-trip plus intime, fusion de la géographie et du temps, et qui conduira les deux jeunes femmes à laisser voyager leurs désirs et leurs émotions pour savoir jusqu’où elles iront, ensemble et chacune de leur côté. Trouver son rôle au milieu des chambardements familiaux, affirmer la place que l’on veut au risque de perdre l’autre, se trouver et s’accepter en allant à l’encontre des pensées familiales et affronter la fragilité provoquée par tous ces tremblements.
On adorait les cowboys est un roman sensible et incisif, un voyage complexe et subtil dans la vastitude de la vie, sa vacuité parfois, baignée dans une nostalgie lente et poétique qui garde un œil rivé sur l’espoir de la suite.
Traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec
Éditions Belfond
188 pages