Lauren Oya Olamina, jeune fille afro-américaine, vit dans une petite communauté de Californie, à quelques encâblures de Los Angeles. Elle habite dans une maison avec jardin, entourée de son père, sa belle-mère et ses trois demi-frères. Ses voisins, amis, et connaissances forment une communauté soudée et aidante. Leur quartier est ceinturé d’un mur et fermé par un portail dont peu ont la clef, car derrière, le monde devient fou. Le nouveau président des États-Unis rajoute de l’essence sur un feu déjà bien lancé, à base de grande sécheresse, de pauvreté galopante, de capitalisme guerrier et de drogues de synthèse. Lauren et sa petite communauté ont donc bien du souci à se faire…
En sus, Lauren est une jeune fille particulière, elle est hyper-empathique. Elle ressent, subit la douleur des autres, ce qui n’est pas d’une grande aide lorsque l’on vit dans un monde hyperviolent où mort cruelle et torture longue font partie des amusements courants. Mais elle a autre chose à laquelle se raccrocher, pour garder espoir : sa foi. Fille de pasteur, cela peut sembler logique, mais elle remet à plat les préceptes dans lesquels elle a été élevée et commence la rédaction de sa propre doctrine : Semence de la Terre. En parallèle de ça, elle se prépare à devoir quitter son foyer en catastrophe, persuadée que leurs murs ne les protègeront pas indéfiniment.
Nous suivons le quotidien de Lauren par les pages de son journal intime, qu’elle remplit régulièrement et parsème d’extraits de Semence de la Terre. Le quotidien lourd, sur lequel pèse non seulement la crainte de manquer de nourriture et d’eau, denrée rare et hors de prix, mais aussi la peur d’une attaque venue de l’extérieur, est à peine allégée par les moments plus doux auprès de son petit ami ou de ses ami·e·s, car pour ces jeunes gens l’avenir n’est que flammes et douleurs. Survivre jusqu’à 50 ans serait déjà formidable, y arriver en étant entier et entouré·e de ses proches quasi-miraculeux. La société états-unienne s’effondre, le travail est rare et les entreprises libres de mettre en place leurs propres règles, qui ressemblent à s’y méprendre à un retour de l’esclavage. À côté de ça, les drogues de synthèses connaissent un boum retentissant, notamment la pyro, qui provoque chez les usagers une fascination morbide pour le feu.
C’est donc ce monde brutal et sans repère que Lauren va devoir dompter pour survivre. Mais son ambition est plus grande. Avec Semence de la Terre elle espère, un peu, le changer.
« Samedi 20 juillet 2024
Ce rêve, toujours le même, est revenu la nuit dernière. J’aurais dû m’y attendre. Il me vient quand je me débats, suspendue à mon crochet personnel, et m’efforce de faire comme s’il ne se passait rien d’inhabituel. Il me vient quand je m’efforce d’être la fille de mon père. C’est notre anniversaire aujourd’hui – cinquante-cinq ans pour lui, quinze pour moi – Demain, j’essayerai de lui faire plaisir, à lui, à la communauté et à Dieu. La nuit dernière, donc, j’ai refait ce rêve qui n’est qu’un mensonge. Il me faut le raconter parce que ce mensonge-là me trouble trop profondément. »
Dur et bouleversant, La parabole du semeur l’est déjà parce que ce qu’Octavia E. Butler nous raconte ne paraît pas si loin de nous. Une Terre violentée par le réchauffement climatique, des populations abandonnées, victimes d’une dérégulation économique sauvage qui laisse un contrôle total aux entreprises et creusent de plus en plus les écarts entre les couches sociales. Les riches sont incroyablement riches et le reste a le choix, pour survivre, entre le vol, le meurtre, les drogues et l’esclavage. Quelques communautés, comme celle de Lauren, vivote en s’attachant à des valeurs de travail et d’honnêteté, mais on comprend vite, quand Lauren nous l’explique, que cette situation est tout aussi précaire.
Elle l’est aussi grâce à son incroyable héroïne. Lauren Oya Olamina, est une jeune fille exceptionnelle. En tant que jeune femme noire, elle est encore plus consciente des dangers qui l’entourent et guettent sa famille. Comme hyper-empathique, elle comprend d’autant mieux la valeur de la vie et la brutalité du monde. Mais point de bienveillance bisounours ici. Pour vivre, il faut parfois tuer, et Lauren veut vivre. Elle veut que Semence de la Terre essaime et créé des communautés fortes de sa pensée, pour tenter, doucement, de changer un peu les liens entre les gens, en attendant que l’humanité aille semer dans le vaste espace.
Octavia Butler tient ici un discours percutant, remuant et malgré tout encourageant sur l’avenir de l’humanité. L’effondrement des sociétés sous le poids des violences issues des conflits de classes, de l’exploitation des minorités et de l’épuisement des ressources naturelles trouve son opposé dans l’espoir d’une jeune femme pour qui tout reste encore possible. Si la Terre est perdue, l’humanité peut encore trouver son salut dans les étoiles en retrouvant des valeurs de partage, d’entraide et de respect de l’altérité. Une dystopie marquante et un grand roman contemporain.
Au Diable Vauvert
Traduit par Philippe Rouard
362 pages