Quand on est homosexuel·le, en général, le grand moment, celui qui est décisif, qui fait peur, qui construit, c’est le coming out. Ce temps, souvent multiple, où l’on s’annonce au monde à voix haute. Quelles seront les réactions de la famille, des ami·e·s, puis-je le dire à mes collègues/camarades, comment gérer les émotions des autres en plus des miennes ? Mais pour en arriver à ce point fixe de nos vies, encore faut-il déjà se le dire à soi.
Les amies d’Élodie le savent bien, elle est lesbienne, c’est évident. D’ailleurs, il n’y a pas que ses amies qui le pensent. Beaucoup d’autres filles lui ont fait la remarque. Mais qu’est-ce qu’elles en savent ? Comment pourraient-elles mieux connaître les désirs, les envies d’Élodie qu’elle-même ? Ce trouble à la vue de certaines femmes n’a rien d’ambigu. Cette envie d’être toute proche de cette fille, celle-là, ce n’est qu’une amitié profonde, fusionnelle peut-être, mais rien de plus. Élodie aime les garçons, et un jour elle en trouvera un bien, un beau, et avec viendront le chien, la maison, la barrière et bien sûr les enfants. Pourtant, l’amour hétérosexuel semble lui glisser entre les doigts, et décidément, cette fille, celle-là…
Poursuivant la démarche entamée par son excellent podcast éponyme, Élodie Font, sous le dessin léger et lumineux de Carole Maurel, creuse cette partie bien silencieuse et pernicieuse de l’acceptation de soi qu’est le coming in. Car pour être capable d’assumer ce que l’on est devant les autres, encore faut-il en avoir conscience et accepter de laisser de la place à cette partie de soi que l’on maintenait étouffée très très loin. Il peut y avoir beaucoup de raison à cela. Penser que l’on doit renoncer à ce que le monde entier nous tend comme une vie normale et dire en cela que nous ne le sommes pas, normales. Croire qu’il va falloir se conformer à l’image déformée de ce qu’on nous dit être une lesbienne, car c’est bien connu, quand on est homo, il faut rentrer dans un moule caricatural pour rassurer les bonnes gens et se faire reconnaître facilement. Il faut réussir à sortir de ces peurs imposées, pour ensuite se dire, à soi, que la vie sera légèrement différente, peut-être, mais qu’elle sera la nôtre, vraiment, entièrement. C’est violent, c’est douloureux, c’est intense. C’est une nouvelle naissance pour exister à soi et vivre, finalement.
Le récit d’Élodie Font, subtil et sans fard, raconte avec beaucoup d’émotions ce parcours qui parlera à beaucoup. Magnifiquement illustré par les dessins de Carole Maurel, qui joue sur les textures et les couleurs pour exacerber les pensées, les doutes et les vagues d’émotions qui renversent la narratrice. Profond et drôle, Coming in prend au ventre et montre que s’accepter c’est un combat, parfois long, compliqué, qui demande de la force, mais qui doit être mené pour avoir la chance de se rencontrer.
Pour prolonger : le podcast original, sur Arte Radio
On peut aussi écouter Élodie Font avec Klaire fait Grr, toujours sur Arte Radio, avec la merveilleuse série des Mycose the night, et aussi toute seule dans le très intéressant et fouillé Double vie (toujours sur Arte radio, parce que c’est bien, Arte Radio)
143 pages
Payot graphic / Arte Éditions