Il y a trois cents ans, la Grande Nuit s’est abattue sur le monde, et il ne resta que Sheltel, île seule au milieu d’une mer immense. C’est du moins ce que pensent les Sheltes.
De l’autre côté de la lorgnette, et sur un bateau au milieu du grand Désert Mouillé, des pirates ont la grande surprise (et la très grande joie assoiffée) de voir apparaître là où les cartes des trois continents n’indiquaient rien, une île, semblant sortir du fond des mers et d’un autre temps. Après trois cents ans sans contact avec l’extérieur, les Sheltes sont-iels prêts à retrouver le reste du monde ?
Le matin où les étrangers arrivèrent sur l’île, la Main de Sheltel fut la première à les voir.
Elle allait revêtir son masque quand, par la fenêtre, elle aperçut un point sombre à l’horizon. Un mirage, crut-elle ; un tremblement de la chaleur sur l’eau. La mer était vide, bien sûr. Rien ne venait jamais de l’océan.
Elle ne lança pas l’alerte.
Désert des tortues plutôt que des Tartares, Sheltel se pense seule au monde depuis trois cents ans et ne peut donc décemment croire que ce bateau est vrai. Et pourtant. Après une mise en quarantaine le temps de savoir quoi en faire, les navigateurices, leur capitaine en tête, débarquent sur l’île, tout aussi étonné-es de l’existence de l’île et de son fonctionnement.
Sur Sheltel, tous les habitants ou presque sont détenteurs d’un don, plus ou moins utile, plus ou moins puissant, allant de la capacité à allumer sa clope sans feu à celui de faire jaillir une source d’eau pure à travers le sol, en passant par le déchaînement des vents et le pouvoir de voler. Ces dons doivent être au service de la communauté, régie elle-même par le Natif, un roi héréditaire qui tient son pouvoir des écailles qui recouvraient ses ancêtres, mais de moins en moins leurs descendants. C’est Arthur Pozar qui régule les dons des habitants et décide qui fait quoi et qui, le cas échéant, ne fera rien du tout.
La Main, celle qui incrédule n’a pas donné l’alerte, est la détentrice du droit de vie et de mort sur l’île, littéralement. Elle accompagne les naissances, autorise les mariages et les grossesses et prend les vies, maintenant un équilibre tant génétique qu’économique. Car sur cette île perdue, toutes les ressources sont précieuses car limitées et surtout l’eau, qui par période vient à manquer, provoquant sécheresse et révoltes.
Ce qui s’est passé lors de la Grande Nuit, nous ne le saurons pas, ni comment s’est développé le monde qui les Sheltes croyaient mort. Ici, ce qui intéresse l’autrice, c’est la rencontre et comment elle vient bouleverser une société. Sheltel évolue depuis des siècles dans un régime féodal auquel s’adosse le culte de la Bénie. Les habitants se divisent en deux peuples, les Sheltes, présents sur l’île lors de la catastrophe, et les Ashims, issus d’un navire naufragé sur l’île peu de temps après la Grande Nuit. Ces derniers, ostracisés, sont reclus sur une partie du territoire et les deux peuples ne se mélangent guère. Tous, néanmoins, subissent le joug de la dynastie du Natif et son pouvoir de plus en plus dur tandis que les ressources viennent à manquer. Chaque protagoniste va voir dans l’arrivée de ces pirates, annonciateurs d’une nouvelle ère, un potentiel d’enrichissement ou d’effondrement qu’iel tentera de mettre à profit pour sauver sa peau.
Entrecoupés de petits textes reproduisant de extraits de journaux, d’encarts publicitaire et autres communiqués nous laissant deviner une autre perception des intrigues ainsi que le futur de l’île, le roman raconte la fin d’un monde qui voit non seulement ses bases s’effriter mais son destin lui échapper, les chemins des possibles soudain si nombreux qu’ils en deviennent illisibles. Prenant et original, Derniers jours d’un monde oublié est une très belle découverte dans l’univers de la fantasy française et laisse espérer de beaux jours pour la suite !
Folio SF
352 pages