La vie d’une vache – Juan Pablo Meneses

la vie d'une vache

Juan Pablo Meneses est un journaliste chilien free-lance et itinérant. Après avoir vécu en Espagne, il s’installe à Buenos Aires en 2002, ce qui n’était pas la meilleure période pour atterrir en Argentine. Mais au milieu des troubles, des affrontements et des crises, il y a une chose à laquelle chacun semble pouvoir se raccrocher, une chose qui reste stable, droite et fumante au milieu des fumées : l’asado. C’est donc tout naturellement que Juan Pablo décide de se pencher sur le cœur battant de l’Argentine : la viande de bœuf.

En ce moment même, des millions de vaches broutent dans le monde entier tandis que des barquettes contenant des morceaux de viande congelée vont et viennent d’un quartier, d’une ville, d’un pays, d’un continent à l’autre. Les chiffres de la consommation explosent et les virements entre comptes connectés se multiplient ; la production ne s’arrête devant aucun obstacle, peu importe l’heure, l’époque de l’année, l’endroit du monde, la température de la planète ou les chamboulements sur Terre. Il y a des vaches sur le point d’accoucher ou des veaux qui sont sevrés ou marqués ou castrés ou vendus ou vaccinés ou clonés. Sur les routes, des camions transitent en transportant des cadavres de vaches, vachettes, veaux, taurillons et taureaux, avec pour destination des marchés, grands et petits, où ils seront mis en vente au cours des prochaines heures. Il y a des commissaires-priseurs qui donnent des coups de marteaux et des consignataires qui acquièrent une nouvelle cargaison d’animaux. Dans les abattoirs, le bétail entre vivant pour y mourir, avant d’être pendu à des crochets où il sera lentement dépouillé, au fil du couteau, des diverses parties de son corps, puis stocké dans des chambres froides.
Quelque part, il y a un enfant qui est en train de manger le premier morceau de viande de sa vie et autre part, il y a un vieillard qui en mâche pour la dernière fois.

Si tu ne sais pas ce qu’est un asado, je te laisse chercher dans ton moteur de recherche préféré pour t’en rendre compte. Ici je te dirai que c’est un barbecue, mais je crois que ça serait quand même mal pris… C’est un rituel, en tout cas, qui va au-delà du plaisir de se réunir pour partager un repas. Il est l’aboutissement de la passion argentine pour la viande, la cause (la conséquence ?) de la réputation de la viande d’origine argentine dans le monde. L’industrie de la viande est le cœur battant du pays, et Juan Pablo Meneses a décidé de voir ça de l’intérieur. Pour ça, il a acheté une vache.

C’est l’histoire de cette vache, la sienne, La Negra, et de tout ce qui se cache derrière qu’il nous conte par le menu. Dans le monde, la viande bovine c’est environ 320 millions de tonnes de viande par an avec une projection à 465 millions d’ici 2050. Le bétail c’est 15% des émissions de gaz polluants. 1 300 millions d’emplois, 40% de la production agricole mondiale (en 2015). Les chiffres donnés au fil des pages par Juan Pablo donnent le vertige, ils rendent presque insaisissables leur réalité tant ils voltigent au-dessus des valeurs appréhendables. Mais la grande originalité de ce texte, et sa force, c’est qu’en devenant propriétaire d’une génisse, Juan Pablo va découvrir chaque étape de l’élevage, s’impliquer dans chaque moment clé de la croissance d’une vache destinée à l’abattoir, rencontrer toutes les personnes qui participent d’une manière ou d’une autre à sa valorisation future sous forme de steak. De l’arrivée des vaches en Amérique du Sud à leur vente au XXIème siècle sur le marché aux bestiaux de Liniers, il profite de chaque étape dans la vie de sa vache et dans le parcours de la viande pour creuser son histoire et ses protagonistes, ses rouages économiques, sociaux, sociétaux tout en décortiquant son rapport personnel à la question, lui qui avait écrit une nouvelle sur la boucherie plusieurs années auparavant, vécu en colocation avec une allemande végétarienne en Espagne, mangé des burgers en cachette. Il montre la puissance de cette industrie construite en déséquilibre sur une base faite autant de grandes fortunes, que d’agriculteurs qui courent après la rentabilité ou de villes et villages abandonnées.
C’est aussi la manière dont notre rapport à la viande et aux animaux transpire sur notre perception, ce qui découle de la vision des femmes quand on les compare à des animaux ; quand on se focalise sur une vache que l’on présente au monde et qui devient unique.

Que se passe-t-il à la fin ? La Negra finira-t-elle en pièces de choix sur l’asado ? Juan Pablo deviendra-t-il végétarien, voire vegan ? Un Chilien a-t-il le droit de devenir, le temps d’une journée, un asador ?
Toutes les réponses à ces questions et bien plus encore dans cette enquête passionnante, première étape de la trilogie Cash dans laquelle l’auteur décortique le capitalisme et sa possibilité folle d’acheter tout pour en faire ce que l’on veut.

Traduit de l’espagnol (Chili) par Guillaume Contré
Éditions Marchialy
302 pages

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