Paletó et moi – Aparecida Vilaça

paleto et moi

Aparecida Vilaça est une ethnologue et professeure d’anthropologie sociale brésilienne, dont le terrain se situe dans la forêt amazonienne, non loin de la frontière avec la Bolivie. Elle a passé de nombreux séjours là-bas, pendant des années, auprès des Wari’, à partir des années 80. Parmi eux, Paletó, non seulement témoin à la parole et la mémoire précieuse pour l’ethnologue qu’elle est, mais aussi « père » indigène dans cette famille de cœur qu’elle rejoindra au gré de ses enquêtes et études.

Quand j’ai réalisé qu’il commençait à se faire vieux, je me suis surprise à me demander si je serais capable de pleurer sa mort ainsi que le font les Wari’, par l’alternance d’un chant en l’honneur du mort et de crises de larmes.
Dans ce chant, les proches se souviennent des moments et des repas partagés, des soins et des attentions échangés avec le défunt de son vivant. Certains se posaient la même question que moi et me demandaient si je serai là à sa mort lorsqu’ils me voyaient à ses côtés, remarquant peut-être la tendresse du regard que je posais sur cet homme dont j’étais devenue la fille.
Je n’étais pas là. Il est mort au cœur de l’état du Rondônia, dans le nord du Brésil, alors que j’étais à Rio de Janeiro, à m’imaginer son corps, les poils de barbe blancs épars sur son menton, ses bras puissants. Je me souviens de tous ces détails avec une précision absolue et je ne parviens pas à me les imaginer sans vie. Ils bougent, brillent et me parlent encore.

Lectrice, lecteur, secret de ma forêt, ceci n’est ni vraiment une biographie, ni vraiment un essai ethnologique. Aparecida Vilaça a passé plus de trente ans auprès des Wari’, un peuple autochtone de la forêt amazonienne, l’un des derniers à avoir rencontré l’homme blanc, et pas de la meilleure des manières (étonnant, non ?). Paletó fait figure de vieux sage, chasseur, un peu chamane, qui a eu l’occasion de croiser les blancs de multiples manières et notamment lors des premiers contacts. Il a connu de son peuple (en réalité un peuple multiple, mais je ne voudrais pas 1/ te gâcher le plaisir de cette rencontre et 2/ le raconter n’importe comment) la vie isolée et traditionnelle, puis la fracture de l’arrivée des blancs, en l’occurrence des seringueiros, les ouvriers qui venaient saigner les hévéas pour en prélever le latex ; ensuite les échanges plus apaisés notamment avec des missionnaires catholiques et évangélistes et enfin le contact plus régulier avec les villes et villages plus peuplés de blancs, les anthropologues, les administrations chargées de réguler les territoires indigènes.
Aparecida fait ses premiers vrais d’ethnologue auprès de Paletó et son groupe. Auprès d’eux elle étudiera leur langue, leur mode de vie, leurs traditions, leurs coutumes. Elle se passionnera pour le chamanisme et les sorts, liés aux animaux qui prennent possession des êtres et ensorcellent les victimes ; elle retrouvera son chemin dans la pelote de nœuds des noms de chacun, qui changent au fil de leur vie ; elle découvrira le fonctionnement des cellules familiales, celles du sang et celles de l’affection, et qui fera d’elle la fille de Paletó, au même titre que ses enfants biologiques. Ces liens forts qui se forgent au fil des années avec Paletó lui permettront de connaître son histoire à lui, et à travers elle celle de son peuple au mitan du XXème siècle. L’enfance, les chasses, les traditions, les épidémies et les massacres lorsque les seringueiros débarqueront sur leurs terres.
Intégrée dans le groupe, Aparecida y séjournera régulièrement, seule d’abord, puis avec ses enfants qui grandiront avec cette deuxième famille. Elle accueillera également Paletó à plusieurs reprises chez elle à Rio de Janeiro, transformant le sujet d’étude en ethnologue urbain ^^

Ce livre est autant le récit qu’une ethnologue construit sur ses souvenirs que le témoignage de l’anthropologue aguerrie qui regarde la manière dont son érudition s’est construite, ce que le terrain fait du et sur le-a chercheur-euse. Il est aussi l’histoire d’une tribu qui a vu son existence complètement bouleversée par l’arrivée d’une société prête à rayer leur existence pour son profit et celle d’un homme au cœur de ce chambardement. C’est enfin la vie d’un homme racontée avec beaucoup de tendresse et d’émotion,

Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhoz
Éditions Marchialy
273 pages

2 thoughts on “Paletó et moi – Aparecida Vilaça

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *