À Nuuk, capitale du Groenland, 5 jeunes gens tentent de trouver leur place et leur identité. Fia, en couple avec Piitaq, est sur le point d’exploser sans comprendre vraiment pourquoi. Son frère, Inuk, lutte contre qui il est et la trahison de sa meilleure amie, Arnaq, qui elle, de fête en fête, goulot à la bouche, papillonne d’histoire d’un soir en coup d’une nuit. Ivik doute de qui elle est et n’est pas, et Sara, pleine d’émotions et vide de sens, cherche un moyen de s’apaiser.
Nos projets
1. Mes études terminées et nos revenus assurés, nous achèterons une maison avec beaucoup de pièces et un balcon.
2. Nous nous marierons.
3. Nous ferons trois-quatre enfants.
4. Tous les jours, nous irons faire nos courses après le travail et nous rentrerons en voiture.
5. Nous vieillirons et nous mourrons.
Piitaq. Un homme. Trois ans. Des milliers de projets. Des millions d’invitations à dîner. Séances d’aspirateur et de ménage qui tendent incessamment vers l’infini. Sourires faux qui s’enlaidissent. Baisers secs qui se figent comme du poisson séché. Il faut éviter le mauvais sexe. Mes orgasmes simulés sont de moins en moins crédibles. Mais nous continuons à faire nos projets.
Les journées s’assombrissent. Le vide en moi s’agrandit. Mon amour n’a plus aucun goût. Ma jeunesse vieillit. Ce qui me maintient en vie se dirige uniquement vers la mort. Ma vie s’est usée, flétrie. Quelle vie ? Mon cœur ? C’est une machine.
Chacune des voix qui s’exprime dans le livre de Niviaq Korneliussen est à un croisement de sa vie. Et ce croisement est assez terrifiant. C’est un gouffre sombre, une forêt épaisse, deux morceaux de banquise qui se rapprochent en grondant. Et pourtant, c’est un saut à prendre, une traversée à faire. Celle qui demande sans doute le plus de courage et de solitude. Nos cinq voix vont devoir se confronter à elles-mêmes, à leurs amours, leurs émois, leur âme.
Niviaq Korneliussen nous fait visiter leurs pensées intimes dans un style allant du tranchant de la résignation désespérée et pourtant inacceptable à la poésie de la chute prochaine et irrémédiable. Elle raconte avec une grande précision et beaucoup d’empathie la complexité d’exister tel que l’on se (re)sent lorsque la norme écrase de tout son poids le champ des possibles, la soudaineté brutale d’une compréhension floue qui tombe sur le coin de l’œil et dont on devine qu’elle va tout chambouler, qu’il s’agisse d’un regard avec cette fille pendant une soirée ou de la distance que l’on met avec son ou sa partenaire. Tous ces moments qui tremblent, vibrent et obligent à la décision, à un choix qui viendra de très loin, avec beaucoup de douleur sûrement, mais peut-être beaucoup de beau et de sérénité, après.
Choisir c‘est renoncer, choisir c’est s’affirmer, et les personnages de Niviaq Korneliussen ont leur vie à hurler sur les toits. Un cri primal pour des thèmes on ne peut plus contemporains et une autrice à suivre.
Traduit du danois par Inès Jorgensen
Éditions 10/18 – La Peuplade
190 pages