Héctor Germán Oesterheld était un auteur argentin de bande-dessinée prolifique, connu et reconnu qui a notamment collaboré avec Hugo Pratt, Solano Lopez ou encore Breccia. Militant chevronné, membre d’un groupe péroniste de gauche (définissez le péronisme : vous avez vingt ans), marié, père de quatre filles, propriétaire d’une petite maison de bois dans la banlieue de Buenos Aires, HGO est une figure importante des cercles littéraires, intellectuels et politiques de l’Argentine sous dictature. Lui et ses filles, tout aussi engagées dans la lutte, seront arrêté-es et rejoindront la longue liste des desaparecidos, avant que leurs corps assassinés ne rejoignent l’autre longue liste des victimes des dictatures militaires argentines.
En 1969, à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, puis sur les écrans de cinéma de Buenos Aires, on a pu découvrir le film Invasion, premier long-métrage d’un cinéaste argentin de trente ans, Hugo Santiago.
Invasion est un film bizarre, qui tient à la fois du polar, du conte fantastique et du récit de science-fiction. Il s’inscrit dans le sillage de la Nouvelle Vague française, lorgne du côté de l’Alphaville de Godard, sorti quelques années plus tôt, et évoque la veine fantastique d’Alain Resnais.
Santiago en a coécrit le scénario avec Jorge Luis Borges, écrivain déjà âgé et déjà légendaire, sur une idée d’Adolfo Bioy Casares, le fameux double et complice du nouvelliste aveugle.
Pour la présentation du film aux journalistes cannois, Borges a rédigé un petit synopsis qui, s’il n’est pas entièrement fidèle à la trame du film, est parfaitement cohérent avec l’idée que l’on peut se faire de l’univers et du style de cet auteur :
“Invasion est la légende d’une ville imaginaire ou réelle, assiégée par de puissants ennemis et défendue par quelques hommes qui, peut-être, ne sont pas des héros. Ils lutteront jusqu’à la fin, sans se douter que leur bataille est infinie.”
Lectrice, lecteur, mon amoureuse errance, peut-être ne le sais-tu pas, mais je kiffe grave Léo Henry. J’ai peu eu (pris) l’occasion d’en parler en ce lieu, mes lectures précédentes étant un peu plus lointaines que ce jeune site, mais vraiment, Léo Henry, c’est super. Rappelle-moi de t’en reparler bientôt.
Ici, Léo Henry part à Buenos Aires sur les traces laissées par Héctor Germán Oesterheld, cet auteur célèbre notamment pour la bande-dessinée El Eternauta, racontant, un peu comme Invasion, l’arrivée d’extra-terrestres sur Buenos Aires qui viennent soumettre et dominer, et le parcours de l’un des résistants, Juan Salvo. Publié une première fois en 59 avec Francisco Solano Lopez, El Eternauta est repris dix ans plus tard par le même Oesterheld et avec un nouveau dessinateur, Alberto Breccia. L’intrigue générale de la bd est une métaphore à peine voilée des régimes militaires qui se succèdent et se ressemblent, ne sachant qu’être plus violents les uns après les autres.
À Buenos Aires, Léo Henry va tenter de retracer l’histoire de HGO, ses convictions, ses luttes et ses intentions. Il va parcourir les lieux communs chargés de sang, revivre à travers ses bâtiments l’histoire dictatoriale de la capitale, redessiner les liens ténus et ambigus des grandes figures littéraires du pays avec les grandes figures politiques, de Perón à Videla en passant par le voisin chilien, Augusto Pinochet. Il nous rappellera au passage le rôle joué par la France, qui a formé avec enthousiasme les militaires argentins aux meilleures formes de tortures testées en Algérie.
Remplissant les vides avec de la fiction, il joue avec les genres comme jamais, et interroge la figure de l’écrivain/artiste en société, en politique, avec la mise en miroir de ces deux figures : HGO, le Montonero habité par une idéologie qui ne s’est peut-être jamais incarnée que dans les fantasmes de certains plutôt que dans les rêves de Perón ; Borges la statue, l’idole, l’incarnation de la littérature argentine, qui ira recevoir de Pinochet quelque médaille et soutiendra les dictatures militaires argentines. Le fantasme politique intouchable contre la concrétude de l’ordre, et pour nous la statue du commandeur littéraire. La garder, la renverser, changer de focale, peut-être ?
Héctor, c’est le récit d’une ville dont les ruelles et avenues garderont la mémoire des êtres, les vivants et les morts, dans leurs plaques, leurs excavations, leurs bâtiments dont les noms ne résonneront plus jamais de la même manière, porteurs des cris étouffés, des noms disparus, des corps jamais rendus.
Héctor, c’est une exploration littéraire pour tenter de comprendre comment les gens vivent puis s’évanouissent dans l’embouchure du Río de la Plata, ce qu’il en reste ensuite, quand le fleuve, les pierres, les tortionnaires sont encore là, et les victimes toujours absentes.
Éditions Rivages
192 pages