Après un premier essai-témoignage qui a inauguré la collection non-fiction des formidables éditions Dystopia dans lequel elle partageait son long cheminement personnel sur les normes sociétales de la vie amoureuse, sexuelle, en couple, qui l’ont amené à chercher et expliquer en quoi cela ne lui correspondait pas et pourquoi ce n’était pas anormal, Mélanie Fazi a confié à Dystopia un second cheminement, encore plus personnel, directement issu du premier.
Se découvrir autiste à 40 ans. Étonnant, pourrait-on penser, tant les idées et images préconçues sur l’autisme sont nombreuses et chargées. Pourtant une proportion non négligeable de la population, surtout chez les femmes, seraient sur le spectre sans le savoir. Et Mélanie Fazi, après avoir été confrontée à cette éventualité, a décidé qu’elle voulait savoir. Après le long travail qui l’avait amenée à Nous qui n’existons pas et la libération de vivre enfin en se connaissant mieux, c’est une nouvelle plongée dans le flou auquel elle fait face. Et c’est ce très long parcours du combattant qu’elle partage désormais avec nous. Cette année suspendue doit, à terme, lui donner une réponse non seulement sur ce qu’elle est, une nouvelle fois, mais aussi expliquer comment elle est, ce qu’elle ressent, donner un sens à cette impression de vivre à côté des autres, sur un rythme décalé. Avec beaucoup de recul et une analyse quasi ethnographique, Mélanie Fazi nous décrit ses questionnements et la démarche qu’elle a suivi pendant un an, jusqu’au diagnostic.
Ça ne va jamais s’arrêter. Ce fut, je crois, ma première pensée quand les mots furent prononcés.
Ce récit très personnel, et qui se veut comme tel, prend néanmoins une dimension universelle sous sa plume. Comme dans Nous qui n’existons pas, Mélanie Fazi nous pousse à nous interroger sur notre rapport au monde, aux normes, aux autres. C’est aussi et surtout un témoignage précieux sur un trouble dont on parle beaucoup à tort et à travers, qui fait l’objet de nombreux clichés et d’idées reçues alors qu’il est à lui seul tout un univers et déploie son spectre sur de multiples échelles. C’est un récit important sur le parcours complexe et ardu qui mène au diagnostic, sur la prise en charge et la connaissance même de celui-ci par les corps médicaux.
L’année suspendue est finalement une plongée en soi qui va au-delà de l’autisme. Avec ce regard extérieur sur elle-même, Mélanie Fazi nous fait don d’un beau récit sur l’altérité, le rapport aux normes et à l’intime qui parlera en creux à tout·e·s, nous rappelant nos différences et l’empathie dont nous rêvons au quotidien. Le monde est vaste, nous sommes foison, et de cette multitude naît notre humanité. Témoignage important et remuant, L’année suspendue met non seulement en lumière la difficulté de prise en charge et de suivi des personnes sur le spectre de l’autisme, mais nous propose aussi de regarder le monde d’un autre œil : le sien, le nôtre aussi, diffracté, celui de l’ami·e qu’on ne comprend pas toujours, du collègue étonnant… Tous ces regards ne seront jamais tout à fait les mêmes et apporteront leurs richesses à notre besoin de sens.
297 pages
Dystopia Workshop
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