ruby moonlight – Ali Cobby Eckermann

Le clan de Ruby a été massacré par les colons. Survivant seule dans la forêt, elle finit par repérer un homme, un blanc, seul aussi. D’approches lointaines en rapprochements, les deux solitaires finissent par s’aimer dans un paradis d’ermite, loin des siens à elle, loin des siens à lui. Car l’amour entre un blanc et une aborigène ressemble plus à un appel au meurtre qu’au début d’une belle histoire.

Nature
          la nature
                peut
                     tourbillonner

          comme
                     une feuille
                            morte

          parfois

                 se faire
                          papillon

          ou endeuillée à terre

                 se faire
                            poussière

Nous sommes à la fin du XIXème siècle dans le bush australien, et les colons, comme partout ailleurs, s’en donnent à cœur joie. L’île-bagne devient territoire à dominer, pour la puissance de la couronne et la jouissance de conquérir. Ruby va voir son clan décimé et n’en réchappe que de justesse. Son errance dans les bois l’amène près de Jack, ermite barbu, et là, dans leur Eden fragile, les différences se muent en partages, en attendant la chute, qu’ils ne pourront éviter. Entre les menaces des blancs, pour qui Jack le traître vient salir le sang, et celle d’un autre clan aborigène, qui fait comprendre à Ruby où est sa place, leur amour passager restera le symbole enfoui et méprisé de la violence coloniale.

C’est une expérience de lecture étonnante et très forte que celle de ce roman en vers libres. Chaque chapitre est un poème, un tableau de la vie de Ruby, puis Jack, puis les deux. La fuite, la survie, la rencontre, les obstacles, tous ces éléments constitutifs du roman et d’une histoire d’amour se transforment, transfigurés, ramenés à leur essence par la forme choisie. Ali Cobby Eckermann tire la substantive moelle de ces jalons et remet ainsi sur le devant le vrai fond, non pas une autre histoire d’amour tragique, mais l’histoire d’un amour qui se déroule pendant une tragédie, celle de la colonisation et de l’extermination des aborigènes d’Australie. La forme poétique libre libère l’autrice de son thème pour se concentrer sur son sujet et sa langue et chaque tableau, précipité romanesque, retrouve au cœur de sa composition les odeurs, les sensations, les spécificités de cette histoire-là.
Ramenée à l’essentiel donc, minimaliste sans minimaliser, l’histoire de Ruby Moonlight contient tout : l’amour, la rage, la haine, la peur, la beauté et la simplicité évanescente d’un amour fantasmé, à peine l’esquisse d’un espoir. Elle nous dépeint la conquête de l’Australie et la tentative d’arracher un bout de liberté perdu.

Traduit de l’anglais (Australie) par Mireille Vignol
Éditions Au vent des îles
81 pages

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