La cinquième saison – N.K. Jemisin

La Terre, ou une planète qui y ressemble, dans un futur relativement lointain. Les continents se sont rapprochés jusqu’à retrouver une structure pangéenne que les habitants appellent le Fixe. Ce qui est cocasse, car on découvre très rapidement que ce continent est un peu trop fréquemment traversé par des tremblements de terre. Parsemé de villes plus ou moins grandes appelées des comms, les habitants sont reconnus par leur ascendance qui leur donne bien souvent leur place dans la société. Parmi eux, les Orogènes, qui ont le pouvoir de « sentir » la terre, de pouvoir la contrôler, la calmer quand elle tremble, ou de l’agiter.

Nous allons y suivre Essun, Damaya et Syénite, trois Orogènes, à des moments charnière de leur vie et à trois époques différentes.
Essun quitte sa comm à la poursuite de son mari qui s’est enfui avec leur fille, orogène comme sa mère, et a tué leur fils de trois ans, qui commençait à montrer les premiers signes d’orogénie. Le tout alors que commence une cinquième saison.
La jeune Damaya, elle, est recueilli par un Gardien pour être emmené au Fulcrum, «l’école» des Orogènes à Lumen.
Syénite est une jeune femme quatre-anneaux (l’équivalent des étoiles militaires en gros, qui indique le niveau de maîtrise d’un orogène sur ses pouvoirs) à qui le Fulcrum confie deux missions : partir avec Albâtre, le plus puissant des orogènes, seul dix-anneaux, à Allia pour un travail précis, et se reproduire avec le même Albâtre, pour obtenir un enfant puissant.

Commençons pas la fin du monde – pourquoi pas ? On en termine avec ça, et on passe à quelque chose de plus intéressant.
D’abord une fin personnelle. Une pensée lui tournera dans la tête encore et encore, les jours suivants, quand elle s’imaginera la mort de son fils en essayant de trouver un sens à ce qui en est aussi foncièrement dépourvu. Elle posera sune couverture sur le petit corps brisé d’Uche – sans lui cacher le visage, parce qu’il a peur du noir – et elle s’assiéra à côté de lui, engourdie, indifférente au monde qui, dehors, touche à sa fin. Il l’a déjà atteinte en elle, et ce n’est pas la première fois qu’il en arrive là, ni dehors ni en elle. Elle a l’expérience de ce genre de choses. Voilà ce qu’elle pense à ce moment-là et plus tard : au moins, il était libre« 

Tout cela est un peu perturbant ? Ce n’est pas complètement faux… Reprenons du début, déplions nos cartes et chaussons nos lunettes.

Ce continent appelé le Fixe est soumis à des mouvements telluriques soudains et dévastateurs qui, de temps en temps, prennent une ampleur imprévue et se termine souvent par l’apparition d’un super-volcan dont l’éruption va provoquer pluies acides, nuages de cendres, incendies… dont la persistance peut aller de quelques mots à plusieurs décennies. Une cinquième saison désigne donc cette période de survivalisme qui suit une énorme catastrophe naturelle dont les conséquences causent non seulement des milliers de morts immédiats, mais transforment également la planète et les manières de vivre des populations.

Autant dire que la vie est plutôt rude. Surtout pour les Orogènes. En effet, ces femmes et hommes doté·es de ce pouvoir de ressentir et influer sur les mouvements terrestres sont perçus comme des monstres par le reste de la population et sont bien souvent, dans certaines régions, réduits en esclavage voire assassinés sans qu’il n’en soit dit quelque chose. Les plus chanceux seront repérés et emmenés au Fulcrum, un centre de formation à l’orogénie situé à Lumen, la capitale. Mais là-aussi, aucun n’est vraiment libres, et la moindre faiblesse ou erreur est puni de mort par la main d’un Gardien. Ils sont envoyés et répartis, selon leur puissance, à différents endroits du continent pour y apaiser et contrôler la terre.

Comment des personnes dont le pouvoir peut rendre aux autres une certaine insouciance quotidienne peuvent-ils être traités de la sorte ? C’est là l’un des points principaux de ce roman (et sans doute de la suite, celui-ci étant le 1er d’une série de 3). En effet, la force principale de cette histoire tient aux propos forts et engagés de l’autrice sur de nombreuses thématiques, avec beaucoup de finesse et d’intelligence. On peut voir, à travers la répression à l’encontre des orogènes, la ségrégation de nombreux peuples et minorités. Elle traite dans ce premier volet ce rejet et cette violence sous plusieurs axes qui nous apportent une vision plus générale des croyances des populations. Elle y met également en avant les dogmes qui rythment la vie des différentes comms. Le quotidien pouvant s’effondrer à n’importe quel moment, chaque instant de la vie, voire de la journée, est marquée par une sentence de la lithomnésie, un dogme faits de proverbes et maximes égrenés comme un chapelet et gravés dans le marbre qui annonce la bonne conduite à tenir pour survivre. Nos protagonistes, déjà confrontés à la violence de leurs contemporains et de la société qui les exploite, vont progressivement s’interroger sur la cohérence de ce qui est présenté comme une sagesse ancestrale qui a permis à l’humanité de survivre à de nombreuses cinquièmes saisons. Est-ce vraiment le seul chemin, la seule manière de vivre ?

La cinquième saison est un premier tome brillant, original et passionnant qui nous immerge dans un univers sombre et dur (âme sensible, fais attention, des fois c’est vraiment pas rigolo du tout) et questionne ses personnages et ses lecteurs sur ce dans quoi il les embarquent. Un roman très immersif et remuant qui arrive à parler directement de sujets complexes sans les dénaturer ou les caricaturer. Une très grande réussite !

Traduit de l’anglais par Michelle Charrier
J’ai Lu
543 pages

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